Festival du film slovène- Cinéma l’Entrepôt, du 20 au 23 novembre.

Au cinéma L’Entrepôt, l’on pourra découvrir, durant quatre jours, une riche sélection de films : quatre longs métrages contemporains, un classique restauré et deux documentaires. Nous avions aimé découvrir la vitalité du film slovène lors de la première édition en 2022. Cette deuxième édition, dans laquelle dominent les regards de jeunes réalisatrices, propose un parcours qui mène des années 60 à aujourd’hui, de la cité aux montagnes de Macédoine, du documentaire caméra à l’épaule à la ballade onirique. Avec quelques grands fils rouges: la jeunesse, ses élans, sa place dans une société plutôt vieillissante mais en pleine mutation; la tension entre les aspirations de l’individu et le poids du collectif.

On Paper Wings de Matjaž Klopčič, donne une idée de la vitalité du cinéma slovène des années 60. La belle restauration exhausse les beautés du noir et blanc. Clairement influencé par la Nouvelle Vague, Godard, Marker mais aussi Vertigo, Klopčič y explore un langage cinématographique fait de photos insérées, ralentis, ruptures de rythme. Le film suit un jeune couple qui se délite sur fond d’effervescence culturelle et de chape de plomb politique : des errances, des conversations suspendues, un ennui habité qui devient matière à cinéma. En (re)découvrant cette œuvre, on mesure combien la recherche sur les formes a été, dès les années 60, un moyen de capter les tensions d’une société en mouvement (mais encore maintenue sous le joug de la Yougoslavie communiste).

Ce lien entre expérimentation, questionnements intimes et cadres sociaux étroits trouve un écho dans Little Trouble Girls, premier long métrage d’Urška Djukić, réalisatrice révélée lors du festival 2022 avec son court métrage La vie sexuelle de ma grand-mère. Elle poursuit ici son exploration des désirs féminins, mais à l’autre bout du spectre temporel: le film est un sensible coming of age dont la très belle idée est d’ancrer l’éveil du désir dans la chorale de filles d’une école catholique. Ainsi, il fait sentir, très concrètement, comment les corps respirent, vibrent et s’approchent, par la bouche et par le souffle. Le folklore et le dogme, la discipline et le trouble, qui confine au fantastique, s’entrecroisent pour dessiner un espace où l’adolescence cherche à se vivre pleinement à l’intérieur même des codes qui l’enserrent.

Dans Ida, la fille qui chantait si mal…d’Ester Ivakič, on retrouve curieusement nombre d’éléments semblables : le chant, l’omniprésence de la religion, un regard farouche et intense de jeune fille. Ida, une gamine dont les parents ne s’entendent plus, que son institutrice maltraite et dont la grand-mère va bientôt mourir, se réfugie dans une belle amitié et nombre de croyances magiques, en premier lieu celle selon laquelle son chant bien peu mélodieux protégerait sa grand-mère de la mort. Le récit tient du conte et de l’initiation, embrassant lui aussi les soubresauts d’un monde en pleine mutation (l’époque est indéterminée, mais on sent le monde communiste proche de la décomposition). Là encore, le désir de la jeunesse — protecteur, magique mais malmené par les adultes et une société encore très autoritaire — en devient le moteur poétique.

Block 5, de Klemen Dvornik, est destiné à un jeune public. On y suit Alma et ses camarades, des gamins d’une dizaine d’années qui s’unissent pour sauver le parc de leur cité. Ils incarnent un joyeux esprit de résistance et la puissance collective de l’enfance. Le film aborde avec discrétion les problématiques sociales contemporaines mais tout y est bien qui finit bien.  Le happy end peut paraître un peu grossier, mais il est réjouissant.  Grâce à l’intensité de ses petits acteurs ( et en particulier de ses petites actrices), à son montage et à sa bande son, à son regard rafraîchissant sur les réseaux sociaux et les portables, ce feel good movie ne sombre pas dans la mièvrerie et offre une bonne dose d’énergie positive.

Family Therapy, que nous n’avons pas pu voir, promet aussi une echappée dans le comique.

Deux documentaires complètent la sélection.

A Woman of God suit une jeune pasteure en plein doute : tandis que remontent à la surface les souvenirs enfouis d’une agression subie dans l’enfance, que le doute s’empare d’elle, que la société semble se détourner du spirituel, Jana envisage de démissionner. Le montage et le cadrage de Maja Prettner semblent parfois un peu frustes dans cet opus qui respecte les codes du cinéma vérité (caméra à l’épaule, absence de musique, etc.) Images prises sur le vif et témoignages face caméra s’y succèdent. Mais le documentaire a le mérite de rendre visible ce que l’on voit rarement : le quotidien, saisi 5 ans durant, d’une « femme de Dieu » confrontée au déclin de la pratique religieuse,  à la solitude des personnages âgées, au doute spirituel. Le monde rural, dont tout le monde semble se désintéresser. La précarité de ceux qui y vivent. La fragilité d’une vie.

The Mountain Won’t Move de Petra Seliškar, adopte au contraire une photographie extrêmement travaillée, presque picturale, et un savant montage pour suivre une fratrie vivant de l’élevage dans les montagnes de Macédoine du Nord. Le terme qui vient à l’esprit est celui de meute, celle que forment les frères et leurs animaux. Le spectateur, comme les héros du film, est sans cesse balloté entre des sentiments contradictoires: ému par la vie simple et les tendres sentiments familiaux, il est aussi confronté aux limites d’une telle existence, à son obsolescence, à son incongruité. Le film accompagne les interrogations de ces jeunes bergers : les montagnes ne bougeront pas, mais eux, doivent-ils chercher d’autres horizons ? Et quel sort leur réserve la ville? On découvre sa proximité à la fin du film, et l’on est ébahi: on se croyait loin du monde, on en est à la lisière.

Le deuxième festival du film slovène offre un beau voyage en terre méconnue. Les équipes des films, présentes lors de certaines projections, sauront à coup sûr y jouer leur rôle de guide avec générosité et intelligence.

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A propos de Noëlle Gires

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