Pour qui ne connaît de Bruce Beresford que le multi-oscarisé Miss Daisy et son chauffeur ou le thriller honnête Double Jeu, la découverte de L’Attaque des fourgons blindés (Money Movers) risque de surprendre. Cela dit, il n’est pas le seul cinéaste australien à s’être – non pas perdu – mais trop bien adapté au système hollywoodien, livrant des produits techniquement impeccables mais dénués de personnalité.

Copyright Badlands

Sixième long métrage du cinéaste, L’Attaque des fourgons blindés sort tardivement sur les écrans français en 1986, dans une certaine indifférence, à la suite du succès d’estime de son premier et meilleur film américain à ce jour, Tender Mercies. On pouvait lire sous la plume de Pascal Mérigeau dans La Revue du cinéma : « Money Movers est un agréable petit polar, grâce auquel le futur auteur de Tender Mercies et de The Pring Dwellers semble s’être fait la main. »
La critique, bienveillante, ne rend pourtant pas justice à la réussite d’une œuvre magistrale qui va bien au-delà de l’exercice de style et du produit de consommation bien fabriqué. Surtout, cette appréciation véhicule un contresens. Ce polar, véritable prototype dans son pays, n’a rien d’« agréable ». Il est brutal, douloureux et glaçant. Le film possède une âpreté et une complexité qui ne le rendent pas si facile d’accès. Il exige de la part du spectateur une adhésion qui ne coule pas de source. En effet, le récit démarre sur les chapeaux de roue, multipliant les personnages sans que l’on parvienne à les identifier immédiatement. Ils incarnent une fonction et ne s’étoffent qu’à travers leurs actes. Cette confusion fait partie intégrante du projet : il ne s’agit nullement d’une maladresse.

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Le film s’ouvre sur l’attaque d’un fourgon appartenant à une compagnie de convoyeurs de fonds. Une lettre anonyme adressée au chef d’entreprise, Lionel D’Arcy, annonce un nouveau braquage au sein de la société. Qui se dissimule derrière la préparation de ce coup d’envergure impliquant, a priori, des salariés, des représentants de la loi et la mafia locale ? Tout le monde est potentiellement suspect dans ce jeu de chat et de souris où la frontière entre voleurs et policiers devient poreuse.
La duplicité des personnages, poussée à son paroxysme, reflète une société viciée de l’intérieur, un univers contaminé par la corruption. Derrière son revêtement de série B efficace – ce qu’il est objectivement –, L’Attaque des fourgons blindés demeure aussi une critique exacerbée du capitalisme et du masculinisme que l’on retrouve souvent dans le cinéma de genre australien, à commencer par le mythique Wake in Fright de Ted Kotcheff.
Personne n’est vraiment ce qu’il paraît être dans ce théâtre où la quête absurde de l’argent révèle les pires instincts de l’être humain. Syndicalistes, parrains locaux, flics véreux et politiciens s’affrontent dans une logique de la violence qui atteint son point de non-retour dans un final ultra-sanglant. L’expérience n’est pas de tout repos, d’autant que la mise en scène viscérale prend en charge cette histoire sordide avec une âpreté et une virtuosité singulières, transcendée par la sécheresse d’un montage alterné qui décuple les points de vue. Bruce Beresford s’empare en apparence d’une esthétique télévisuelle, sans artifice, qui lui permet d’éviter toute forme de complaisance ou d’afféterie inutile. La lumière crue, presque rebutante, capte un monde froid et déshumanisé, évoluant dans des décors cliniques, entre les extérieurs urbains et les intérieurs blafards.

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Finalement, le cinéaste – qui, d’ailleurs, n’était pas très fan de son film, qu’il jugeait excessif – aborde son métrage selon la logique implacable du récit d’espionnage désenchanté à la John Le Carré, filmé en vase clos, encapsulé dans un environnement viriliste voué à sa perte. Beresford n’a aucune fascination ni empathie pour ses tristes silhouettes, rouages d’un système sauvage. Ce regard clinique n’a rien de cynique : il n’est qu’un constat amer de la chute de l’homme civilisé, réduit à sa brutalité, qui s’exprime le plus souvent dans un langage ordurier, quand il n’est pas purement fonctionnel. Les femmes, à l’exception d’une ou deux employées, sont quasi absentes du récit.
Loin du côté ludique du film de casse traditionnel, L’Attaque des fourgons blindés décline un spectacle fascinant et éprouvant, portrait peu reluisant d’une Australie que l’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran. Il faut enfin mentionner l’incroyable casting, peuplé de vraies gueules de cinéma – parmi lesquelles on reconnaît Bryan Brown –, point d’ancrage avec la tradition du film noir hollywoodien. Une vraie découverte, et pour beaucoup, le meilleur film de son auteur avec le très antimilitariste Héros ou salopard, réalisé l’année suivante. Une réussite éclatante.

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Restauré à partir d’un master 4k, le film bénéficie d’une superbe copie que certains ont pu découvrir en salles, notamment dans de nombreux festivals. Le Blu-Ray est accompagné de nombreux bonus, parmi lesquels on retrouve Melvin Zed, exègèse de la série Mad Max, qui revient sur Bruce beresford (Bruce Beresford, le marginal) et la ozploitation (L’Ozploitation à contre-courant). Ses interventions, documentées et éclairantes, replacent L’Attaque des fourgons blindés dans le contexte effervescent du cinéma australien des années 1970, tout en redonnant à Bruce Beresford sa juste place d’auteur en marge du système. Il analyse avec précision la singularité du film, à la croisée du polar, du film social et de l’Ozploitation, soulignant sa noirceur morale et son regard désenchanté sur la société australienne. Enfin, dans Count Your Toes (Making-Of), réalisé en 2004, Bruce beresford et plusieurs acteurs reviennent sur  les conditions de tournage, les choix esthétiques et la dimension documentaire du film.

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