Poursuite du plébiscite des courts métrages sélectionnés en compétition dans le cadre du 31è Étrange Festival, avec dans ce programme dédié aux corps sans maîtrise individuelle ou sous domination totalitaire, tels des miroirs à nos terreurs de perte de contrôle, il y a ce kink sur les doigts, ces extensions digitales pas anodines, aux connotations phalliques, d’asservissement ou de mutation culinaire… comme tributs des protagonistes en signe de soumission aux désirs les plus impérieux. Nous vous mettons en exergue nos films préférés et coups de cœur, dont deux sont des films de fin d’études.

31è Étrange Festival
www.etrangefestival.com
Programme n°5 Corps en chantier : 03/09 • 19h15 & 04/09 • 21h30
- Stomach Bug de Matty Crawford (Grande-Bretagne)
- A Round of Applause for Death de Stephen Irwin (Grande-Bretagne)
- Time to Dilate 확장기 de Kim Nayoung 김나영 (Corée du Sud)
- Mother Clay de Armin Rangani آرمین رنگانی & Raha Amirfazli رها امیرفضلی (États-Unis)
- Weathered de Karina Casañas Invernon & Jáchym Bouzek (Grande-Bretagne)
- The Things We Keep de Joanna Fernandez (États-Unis)
- The World is my Idea de Alexander Wolfgang Smadja (Belgique) ⚠️ lumière stroboscopique
- Holy Heaviness وزن مقدس de Farnoosh Abedi فرنوش عابدی & Negah Fardyardad نگاه فردیار، (Iran)
31è EF – Time to dilate de Kim Nayoung 김나영
Time to Dilate 확장기 de Kim Nayoung 김나영 : la sélection habituelle des films LGBTQIA+++ du festival ne déroge pas à sa curiosité en allant au-delà des sujets de coming-out contrarié ou d’homophobie crasse, être queer n’est pas la problématique, mais plutôt la non concordance aux attentes que l’on a pour soi et l’insatisfaction de l’être aimé, qu’on soit lesbienne ou hétérosexuel·le, la hantise de ne pas combler les désirs de l’autre envahit tout un·e chacun·e : pas assez musclé·e, grand·e, mince, belle… ici une atrésie vaginale (syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser) pour Myung-gi en tant que femme, donc quasi cisgenre, est le problème, son complexe. Construit sur des flashbacks faussement oniriques avec ces séquences d’idylle idéale aux couleurs nacrées et aux motifs clichés (plage, couple isolé seul au monde, musique aérienne, lumières scintillantes…), Myung-gi ressasse et est obsédée par cette crainte car ne pouvant s’épanouir sexuellement avec Do et frustrant cette dernière, elle en sabote leur relation, faisant fuir Do vers d’autres relations. La cinéaste qui avait déjà exploré avec Broken Traces 마음의 제국 la persistance des souvenirs, met en scène le point de vue troublé de Myung-gi avec des plans souvent en caméra subjective ou face caméra. Sa protagoniste veut reconquérir Do, en passant du constat de cet échec à la décision de renaître en femme ‘complète‘ grâce à une vaginoplastie, qui ne pourra se solder par un succès que si elle garde la cavité artificielle en plastique de son vagin par des pénétrations régulières avec un dilatateur lui évitant la sténose, vous imaginez donc le glissement horrifique possible avec cet impératif…Mais au lieu de pencher pour le trash visuel, Kim préfère capter les perceptions angoissées de Myung-gi avec un environnement extérieur totalement réinventé par une direction artistique tranchée et des gros plans sur des accessoires multiples transformés aux textures translucides, irisées et que la matière plastique permet par ses transparences. Et c’était ce qui intéressait la cinéaste, la pollution des océans par les microplastiques peut déformer les organes génitaux des poissons, ici Kim renverse alors cette catastrophe pour donner l’opportunité à Myung-gi de s’accomplir avec cette eau quasi omniprésente par la mer, la piscine, les fluides et sécrétions… Film de fin d’études de l’Université Sejong, il met en avant HAN Cho-won 한초원 ayant collaboré avec des artistes proches des centres d’intérêts de la cinéaste et SONG Ha-jin 송하진, cadette de son école qu’elle a auditionnée, qui fut vue par le public français dans Cicada 매미 de YOON Dae-won 윤대원, elles irradient à l’écran et on sent un plaisir manifeste à jouer avec les maquillages des effets spéciaux et le accessoires conçus par Osal 오살 dans cette fantasmagorie singulière.
Mother Clay de Armin Rangani آرمین رنگانی & Raha Amirfazli رها امیرفضلی : Ce que l’on peut dire d’emblée est que le duo iranien vivant aux États-Unis ne chôme pas et est prolifique en créativité : photographie, peinture, illustration, cinéma (poignant long-métrage Au pays de nos frères در سرزمین برادر de Raha Amirfazli رها امیرافضلی & Alireza Ghasemi علیرضا قاسمی sorti début avril en salles et désormais en VOD)…, alors quoi de plus naturel que se tourner vers le cinéma d’animation en utilisant le logiciel libre et open source Blender pour ce magnifique court-métrage en 3D ? En utilisant la stop-motion, la matière argile prend corps dans un conte horrifique revisitant le mythe d’un peuple esclave d’une croyance en une divinité contrôlée par un souverain craint. C’est par l’entremise de l’escapade d’une vieille femme et d’un enfant guidés par le seul être encore libre, un volatile, que l’espoir semble renaître dans cet enfer. Les thèmes universels de la manipulation, vénération, tyrannie, liberté et rébellion ne sont pas étrangers à Rangani & Amirfazli, originaires d’Iran, ils connaissent intimement cette oppression, c’est loin d’être une allégorie, leur pays natal secoué par des régimes autoritaires sanglants réprimant toute contestation vit son lot de violences arbitraires depuis des décennies. Si bien que malgré la noirceur de cette fable, les corps argileux tordus et cabossés de ces ilotes et les exactions barbares commises à leur encontre, la direction artistique éblouissante par ses décors et ses couleurs rappelant les comics et jeux vidéo, subjugue et en peu de temps capture notre attention. Chaque petit oiseau, même embroché et flambé à la chaîne dans ce calvaire, qui surgit est signe d’une rébellion possible.
31è EF – The world is my idea de Alexander Wolfgang Smadja
The World is my Idea de Alexander Wolfgang Smadja : Comment vivre avec son démon, qui vous consume tel un despote, jusque dans vote âme et votre chair ? Avec ce film de fin d’études de la LUCA School of Arts, Smadja nous fait vivre la soirée chaotique de Rocco, jeune serveuse dans le restaurant du chef Giuseppe della Coccinella, ressemblant plus à une cour des miracles peuplée d’énergumènes, qu’à la terrasse de Chez Gusteau ! avec une clientèle chic tirée à quatre épingles. Cette odyssée mouvementée nous fait traverser les tourments de chacun·e : drogue, alcool, bouffe… toute dépendance tournant à l’obsession pathologique se transformant en quête désespérée pour l’obtention du Graal qui soulagera ces esprits endoloris par le manque. La mise en scène aime à maltraiter ses personnages par une frénésie stroboscopique et des effets de répétitions martelées en doctrine consumériste : la mère de Rocco lui rabâchant qu’il faut ‘travailler pour son bonheur, faire des sacrifices, monter les échelons, fonder une famille, acheter une voiture, un appartement, un chien’, ce qui ne comble assurément par la fille désemparée d’être prise en étau par cette matrone et son démon lui réclamant un plat chinois piquant, donnant lieu à un ping-pong verbal avec des énumérations de boissons et plats alternatifs par Rocco, son démon et Giuseppe, ou bien par des cadres intégrant les visages en doubles focales jusqu’à les fusionner, évitant ainsi un champ/contre-champ hystérique, décidément tout·e·s iels s’entendent mais ne s’écoutent pas. La souffrance est aussi mise en images par une direction artistique foisonnante avec des textures organiques débordant des corps ou les cloîtrant : dégoulinures, vomi, boursouflures, barrière, cages… on passe de huis-clos en huis-clos (chambre, cuisine, terrasse, cave..), un monde confiné et désolé par la superbe photographie d’un noir et blanc sublimement contrasté faisant ressortir le désespoir de Rocco en prise avec la vacuité qu’elle ressent et le non amour pour sa mère. À défaut de monter visuellement une ascension dans la psyché, le cinéaste nous fait descendre à la cave, endroit honni du restaurant, plongée qui permettra à Rocco de s’abîmer totalement dans la psychologie des profondeurs jungienne et découvrir ce dont elle est capable face à son démon. Ce court met à l’honneur Raphaëlle Damilano ayant déjà une belle carrière performative derrière elle et vue notamment dans Se dit d’un cerf qui quitte son bois, et à ses côtés Fabienne Mainguet en démon ogresque toute aussi désopilante que terrifiante dans l’un des films les plus perchés vus jusque-là et qui a bien sa place dans le festival.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).