À l’occasion d’une première partie de compte-rendu, nous sommes revenus sur l’exaltante programmation et sur les différentes rétrospectives auxquelles nous avons pu assister, et qui nous ont ravis. Du point de vue de la fréquentation, cette 17ᵉ édition a également été une réussite : 185 000 festivaliers recensés, 419 séances et 158 films programmés dans 45 lieux de la métropole. C’est une année record, avec 137 000 billets payants édités et 10 000 visiteurs pour les expositions proposées.
Le festival est parvenu à attirer une nouvelle génération de spectateurs sans perdre son noyau dur, grâce à des événements ambitieux, des invités de premier plan et des cycles séduisants. Cette édition a permis d’élargir le public et de toucher des spectateurs qui, peut-être, ne se retrouvaient plus dans les propositions des années récentes.
L’édition 2025 trace une voie pour la suite et régénère un festival incontournable qui pouvait, par aspects, donner l’impression de fonctionner en vase clos ou de s’ouvrir insuffisamment à certains cinémas. Cette année est venue tordre cette idée. Épiphénomène ou nouveau cap ? L’avenir nous le dira.
En attendant, prenons le temps de revenir sur les temps forts et les master class auxquels nous avons assisté.
Soirée d’ouverture – Samedi 11 Octobre 2025
Comme chaque année, la Halle Tony Garnier a accueilli la soirée d’ouverture du festival. Un moment de partage où plus de 4000 spectateurs (célébrités comme anonymes) se sont réunis afin de découvrir une présentation de l’édition riche et éclectique au travers de courts films résumant les différentes programmations et hommages. Parmi eux, un formidable montage résumant l’histoire du cinéma, à la manière du final de Babylon, de La Sortie des usines Lumière à Avatar en passant par Lawrence d’Arabie ou Le Labyrinthe de Pan. L’occasion était ainsi parfaitement trouvée de rendre hommage aux disparus de l’année écoulée. Quelques plans suffirent à se remémorer l’hallucinante carrière de Robert Redford ou à frissonner lorsque le thème de Jill tiré d’Il était une fois dans l’Ouest résonna, accompagnant le visage de la regrettée Claudia Cardinale. Une soirée, entre déférence envers le passé et regard résolument tournée vers l’avenir, qui s’est achevée par la projection de Vol au-dessus de coucou en copie restaurée.
Master class Shu Qi – Dimanche 12 Octobre 2025

The Adventurers © Koch Media GmbH
Quelques années séparent notre découverte adolescente de Shu Qi en deux facettes distinctes : d’abord Le Transporteur (2002) de Louis Leterrier, écrit et produit par Luc Besson, puis Millennium Mambo (2001) d’Hou Hsiao-hsien. Objectifiée dans le premier (elle est au départ un simple colis que doit livrer le héros) avant de prendre tardivement part à l’action (faire de l’ombre à Jason Statham aurait été une hérésie !), sujet d’étude insalissable dans le second : elle révélait déjà un paradoxe. Le Transporteur n’est pas une anomalie dans sa filmographie, c’est plutôt Hou Hsiao-Hsien qui est une exception.
Invitée d’honneur du festival, elle participait à un hommage au maître taïwanais ainsi qu’à l’avant-première de Girl, son premier film en tant que réalisatrice. La discussion qui s’en est suivie, dense et intéressante, a duré près d’une heure et demie. Shu Qi y est longuement revenue sur son passage à la réalisation et sur ses différentes collaborations avec HHH, figure essentielle qui a profondément modifié la trajectoire de sa carrière. Ce moment fut riche et captivant, mais un bémol demeure : la conversation a largement négligé la partie cinéma populaire, pourtant dominante dans sa filmographie.
Avant d’être l’égérie de l’auteur de The Assassin ou plus récemment de Bi Gan (Resurrection), a connu plusieurs vies et carrières, de l’érotisme (Sex and Zen II) aux superproductions locales (Jackie Chan à Hong Kong, Confessions of Pain, Journey to the West: Conquering the Demons). L’histoire de cette actrice taïwanaise, qui s’est imposée à Hong Kong comme une superstar, méritait d’être davantage mise en lumière. Bien que ce regret persiste, l’échange resta captivant, mais aurait gagné à aborder plus de facettes de sa carrière. D’ailleurs, l’une des rares digressions vers ses incursions grand public, une allusion à la série The Resurrected sur Netflix (sortie quelques jours auparavant), est venue de l’actrice elle-même, preuve qu’elle était d’humeur à un dialogue plus large !
Master class Sean Penn – Lundi 13 Octobre 2025

Une Bataille après l’autre © Copyright Warner Bros.
C’est dans une ambiance décontractée que Sean Penn s’est prêté au jeu de la masterclass. Plus d’une heure durant, l’acteur a abordé sa jeunesse et les cinéastes qui l’ont bercé. Des influences forcément seventies, où se croisent Martin Scorsese, Al Ashby, Bob Fosse, John Cassavetes (il tourna d’ailleurs dans l’adaptation d’un scénario du réalisateur, She’s So Lovely) ou encore Terrence Malick. Le comédien en a d’ailleurs profité pour témoigner de son admiration pour l’auteur de Tree of Life (qu’il considère comme « l’un des plus beaux poèmes en langue anglaise »), pour lequel il tourna à deux reprises, tirant ainsi un trait sur les mésententes entre les deux hommes. Autres metteurs en scène sous la direction desquelles le comédien a brillé, Clint Eastwood et Brian De Palma eurent une place d’honneur parmi les expériences les plus importantes de sa carrière. D’un côté, il aborda l’humanisme de l’auteur de Mystic River au travers d’anecdotes de plateau, de l’autre, la rigueur de celui de L’Impasse et Outrages, soulignant au passage la fierté qu’il avait ressenti de partager l’affiche avec Al Pacino.
La rencontre fut aussi l’occasion pour lui de revenir sur ses méthodes et son rapport au métier d’acteur. Il a revendiqué son besoin de ressentir physiquement ses rôles, d’éviter toute intellectualisation, employant à de nombreuses reprises un jargon militaire pour exprimer ses préparations. Un choix de mots amusant quand on sait que son rôle le plus marquant de ses dernières années est celui d’un colonel dans Une bataille après l’autre. Un autre champ lexical que Penn utilisa fut celui de la musique. Avant toute chose, c’est la musicalité qu’il recherche chez un cinéaste, considérant que Woody Allen et Paul Thomas Anderson sont les maîtres de cette discipline. Profondément humble, il salua le talent de certains de ses confrères, de Stephen Graham (qui l’a bouleversé dans la série Adolescence) à Jack Nicholson, qu’il dirigea à deux reprises dans Crossing Guard et The Pledge. Enfin, Sean Penn n’a pas manqué d’évoquer son propre travail de metteur en scène. Citant Eric Gautier, son chef op sur Into The Wild, il a par exemple revendiqué son besoin de retrouver l’énergie et le naturel des tournages des films des années 70. Des influences décidément omniprésentes pour celui qui a dédié The Indian Runner, son premier passage derrière la caméra, à Ashby et Cassavetes.
Master class Natalie Portman – Mardi 14 Octobre 2025

May December © Copyright May December Productions 2022 LLC
C’était l’une des invitées les plus attendues de l’édition, en témoigne la file d’attente à l’entrée du cinéma un mardi matin pour espérer décrocher une place de dernière minute. Natalie Portman, au lendemain d’un échange à l’Auditorium précédant une séance événement de Black Swan, venait discuter au Pathé Bellecour dans un échange modéré par le journaliste Didier Allouche. La discussion a duré 1h20 chrono, un temps rigoureux qui n’a pas empêché une exploration vaste de sa carrière, interrogeant son rapport au cinéma, ses références, ses figures de mentors mais aussi son activité de production ou l’éventualité de la revoir un jour dans un film français.
Celle qui assume avoir grandi avec un cinéma populaire (Pretty Woman, Le Roi Lion, Dirty Dancing) avant de devenir actrice, a avoué avoir découvert des cinéastes tels que John Cassavetes, Robert Bresson, Michael Haneke ou Wong Kar-wai au contact des réalisateurs avec qui elle a travaillé. Un discours qui n’était pas sans rappeler celui d’Isabelle Huppert lors de sa conférence de presse de 2024 pour la précédente édition du Festival Lumière. Natalie Portman a revendiqué une diversité de goûts héritée de cet apprentissage, elle qui n’a jamais cessé d’alterner œuvres grand public (Star Wars, Thor…) et films d’auteur (Vox Lux, Black Swan…).
Parmi les performances qui l’ont marquée et continuent de la nourrir, elle a cité Gena Rowlands dans Une femme sous influence (« la meilleure de tous les temps »), Isabelle Huppert dans La Pianiste, Julianne Moore dans Safe de Todd Haynes, Nicole Kidman dans Prête à tout de Gus Van Sant, ou encore Reese Witherspoon dans L’Arriviste d’Alexander Payne. Elle a par ailleurs pris un temps pour parler de Diane Keaton, disparue deux jours plus tôt : « La première à avoir défini à l’écran des rôles de femmes aussi complexes que des rôles d’hommes. Elle avait une étrangeté merveilleuse. »
Elle a également parlé d’une expérience décisive qui l’a changée en tant qu’actrice : une adaptation de La Mouette au théâtre mise en scène par Mike Nichols, où elle a pu observer Meryl Streep ou Philip Seymour Hoffman, puis s’inspirer de leurs méthodes pour développer sa propre technique. Elle a décrit Nichols comme le mentor le plus généreux qu’elle ait rencontré, un homme qui fut sans doute un guide pour cinquante autres personnes qu’elle, et avec qui elle a retravaillé plus tard au cinéma dans Closer.
Outre la richesse globale du discours, c’est la simplicité avec laquelle l’actrice s’est prêtée à l’exercice, entre sincère envie de partage et humilité, qui nous a conquis. Une véritable proximité s’est établie tout au long de la discussion qui s’est conclue sur ces mots que la Natalie Portman de 2025 adresserait à l’enfant qui s’apprêtait à débuter dans Léon : « Play. Have fun ! ».
Remise du Prix Lumière à Michael Mann – Vendredi 17 Octobre 2025

Hacker © Universal Pictures
En purs manniens, il nous était évidemment impossible de manquer la remise du 17ᵉ Prix Lumière à l’Amphithéâtre 3000. Nous avions déjà fait l’impasse sur sa master class plus tôt dans la journée, au profit des projections de Collateral et de La Forteresse Noire, être présents à cet hommage semblait indispensable.
Cependant, la soirée s’est révélée trop longue et insuffisamment habitée. Avant d’en arriver à la remise du prix et à la projection de Ferrari, il fallut traverser une succession de montages (pertinents mais déjà vus lors de l’ouverture du Festival) ainsi que deux chansons de Camélia Jordana, dont le lien avec le cinéaste primé nous a échappé. Quelques extraits de suppléments vidéo non inédits, ils provenaient des éditions DVD et Blu-Ray de films de Michael Mann, vinrent ponctuer le tout, sans parvenir à combler une impression persistante de déjà-vu.
Le panel d’invités, pour la plupart des habitués de la manifestation, manquait de résonance directe avec l’œuvre de Mann. Saluons toutefois la présence d’Alice Diop, invitée à la demande du réalisateur, d’Isabelle Huppert – dont l’adresse à Michael Mann fut l’un des moments les plus inspirés de la soirée – et de Raphaël Quenard, accueilli avec une ferveur immédiate par le public. On aurait aimé entendre John Woo, également présent, évoquer le travail de Mann et les parallèles entre leurs œuvres respectives, mais soit : inutile de refaire le match.
Le véritable inédit – et le vrai motif de satisfaction – fut la redécouverte de Ferrari sur grand écran. De ce côté-là, en revanche, nous avons été pleinement servis.
Conférence de presse avec Michael Mann – Samedi 18 Octobre 2025
En guise de conclusion à cette grande fête annuelle, l’occasion de s’entretenir avec Michael Mann dans le cadre d’une conférence de presse s’imposa comme la cerise sur un gâteau déjà conséquent. Le maître répondit aux questions des journalistes internationaux présents, évoquant tour à tour sa carrière passée, mais également ses projets à venir.
Nous avons ainsi pu glaner plusieurs informations concernant Heat 2, adaptation de son propre roman, qui explore la jeunesse de Neil McCauley et de Vincent Hanna, ainsi que le destin de ce dernier quelques années après les événements du premier film. Si certaines informations ou rumeurs plus ou moins fiables circulent déjà au sujet du casting, Mann s’est surtout attardé sur l’ambition d’un tournage international. Un premier contraste dans la mesure où le long-métrage de 1995 ne se situait qu’à Los Angeles. Il a également évoqué la possibilité de recourir à l’intelligence artificielle pour gérer le rajeunissement numérique des acteurs. Une déclaration qui n’a rien de surprenant de la part d’un réalisateur qui a toujours mis un point d’honneur à se tenir au courant des nouvelles avancées technologiques, mais qui tranche radicalement avec les propos d’un autre auteur présent à cette édition (et grand fan de Mann), Guillermo Del Toro.
Le metteur en scène est également revenu sur l’état de la politique états-unienne actuelle. Grand portraitiste des tourments de l’Amérique ultra libérale, il n’a pas manqué de déplorer la situation de son pays, louant au passage l’audace de Trey Parker et Matt Stone, créateurs de South Park.

Le Solitaire © Park Circus
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