Autour du film « L’intérêt d’Adam » : la personnification de l’hôpital

Dans l’œil-caméra de Laura Wandel, l’hôpital est décrit comme la mine sous la plume de Zola. Le lieu devient un personnage à part entière ; il suffit à définir celui qui y vit, ici l’infirmière, ou là le mineur de fond. Filmé in situ à l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, l’endroit apparaît comme un labyrinthe fait de couloirs, de portes (que l’on ne peut pas toujours franchir), de sas, d’ascenseurs et d’escaliers. A l’intérieur, extraire le charbon ou la souffrance des patients devient un sacerdoce sans fin. Dans L’Intérêt d’Adam, l’infirmière-mineur lutte au plus profond des entrailles de l’établissement, tel Jonas dans le ventre de la baleine. L’hôpital se révèle être une sorte de monstre, terriblement indifférent. En sortir semble impossible.

Pour incarner toute la complexité liée à un rapport au travail forcément particulier – car il s’agit de soigner – quel meilleur choix que celui de Léa Drucker pour jouer Lucie, infirmière-chef du service de pédiatrie ? A l’instar du mineur, si attaché à son puits de mine malgré la silicose qui ronge ses poumons, Lucie ne semble jamais pouvoir quitter son travail, lequel par sa nature humaine, l’atteint directement, l’oppresse et finit par la constituer.

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Car les boyaux de la mine-hôpital ont absorbé le petit Adam (sacré premier rôle pour le jeune Jules Delsart), quatre ans, le bras cassé et refusant de s’alimenter. En cause, – la coupable éternelle – sa maman Rebecca (Anamaria Vartolomei), laquelle semble projeter ses névroses sur son enfant jusqu’à le rendre malade. Bien sûr, tout commence avec les services de protection de l’enfance et la judiciarisation qui en découle. Ainsi l’infirmière devient, à l’instar de la société, un tiers séparateur et prend le spectateur comme témoin de la situation.

Pour raconter cette garde particulière (ou peut-être justement dramatiquement banale), Laura Wandel choisit la grammaire cinématographique du malaise, avec ses plans qui n’en finissent, ne laissent rien respirer et ne donnent aucune perspective sinon celle des coursives du lieu, et de suivre la course désespérée de Lucie par dessus ses épaules. Le film ne dure que 1h13, mais par son dispositif se révèle d’une intensité rare.

A la croisée des Rougon-Maquart et de The Wire, – série culte usant du même procédé consistant à projeter le spectateur au cœur de situations sur laquelle aucun élément n’a été expliqué – le film renoue avec la tradition naturaliste et dépeint des réalités multiples, démontrant encore une fois la puissance de la fiction. Sans tomber dans le piège du pathos, des beaux discours ou des jugements superflus, L’Intérêt d’Adam raconte à la manière d’un thriller une histoire tragiquement humaine.

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A propos de François ARMAND

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