Gary Sherman – « Réincarnations / Dead and Buried » (1981)

Réincarnations (titre peu flatteur, on lui préfère largement sa version originale : Dead & Buried) est un film culte et apprécié des connaisseurs, pour preuve, il est fréquemment rediffusé en festivals spécialisés. Néanmoins, la notoriété du deuxième long-métrage de Gary Sherman, tout en perdurant dans le temps, ne semble paradoxalement pas dépasser son cercle d’initiés. À regarder de plus près, nombreuses œuvres de ce cinéaste méconnu ont inspiré les générations ultérieures. Son survival urbain précurseur Le Métro de la Mort (1972) est une influence revendiquée par le Britannique Christopher Smith pour Creep (2005). Son thriller métropolitain très « mannien » dans le style, Vice Squad (1982), a récemment été ouvertement cité par Ti West sur MaXXXine et peut-être même, dans une certaine mesure, par Paul Thomas Anderson sur Une Bataille après l’autre. Cependant, Réincarnations est aussi – et peut-être avant tout – le fruit d’un duo de scénaristes emblématiques de l’époque, eux aussi peu connus du grand public : Ronald Shusett et Dan O’Bannon, alors auréolés du succès d’Alien de Ridley Scott. Il s’agit ici de l’adaptation d’une histoire née de l’imagination de deux auteurs venus du monde de la bande dessinée, Jeff Millar (Tank McNamara) et Alex Stern. Cette intrigue a attiré l’attention de Shusett qui prit en charge les réécritures. Son comparse O’Bannon, alors très malade, se contenta d’apporter sporadiquement des idées. Le duo étant plus vendeur que ses individualités, les deux hommes sont crédités ensemble au générique afin que le binôme d’Alien puisse figurer sur l’affiche. Peu importe si Dan O’Bannon se révélera plus tard très peu satisfait du résultat final. Un autre talent montant prend part à l’aventure en la personne de Stan Winston, qui a commencé à faire ses gammes au cours des années 70 dans le maquillage et les effets spéciaux pour la télévision (il a reçu un Emmy Award pour Gargoyles en 1972). Technicien de plus en plus sollicité dans le cinéma de genre, il se spécialise dans la conception de créatures et les effets de maquillage prothétique. Il est reconnu mais n’a pas encore explosé auprès du grand public : Terminator, Aliens et Predator viendront ultérieurement. Dead and Buried arrive ainsi comme une opportunité inouïe pour peaufiner son style et sa technique. Cette alliance d’artisans sincères du genre deviendra un petit phénomène de vidéo club avant disparaître partiellement dans les limbes. Introuvable en France si ce n’est via un vieux DVD de piètre qualité uniquement pourvu de la version française, Réincarnations a enfin droit à ses lettres de noblesse en haute définition dans nos contrées grâce à ESC qui s’est donné les moyens de ses ambitions avec un superbe combo incluant Blu-Ray, DVD et livret pour une édition limitée. Une copie restaurée et une flopée de suppléments inédits pour découvrir ce bijou méconnu dans des conditions optimales ! Le shérif d’une petite bourgade mène une enquête sur une série de meurtres mystérieux. Le plus étrange est que certains témoins affirment revoir les victimes plusieurs jours après le drame.

Réincarnations © 1981 BARCLAYS MERCANTILE INDUSTRIAL FINANCE LIMITED. ALL RIGHTS RESERVED.

Avec Dead & Buried, Gary Sherman s’éloigne de la ville et des environnements urbains pour poser sa caméra dans un petit village de campagne. Son introduction, inoubliable et tétanisante, nous plonge en quelques minutes du paradis à l’enfer. Des notes de piano et une musique douce accompagnent un paysage qui se révèle au moyen de photos en noir et blanc. Une tristesse étrange imprègne ces premières secondes tandis que le titre, évocateur, apparaît en rouge vif. La couleur et la vie imbibent l’écran juste après que l’on ait pu lire Dead and Buried (ironie quand tu nous tiens !). Rien ne laisse présager l’horreur qui sommeille. Cette ouverture intronisant un photographe de passage a des airs de mélodrame côtier (tendance La Fille de Ryan de David Lean). Sherman souligne son identification au personnage, sa mise en scène épouse son point de vue à travers ses cadrages. L’entrée en scène d’une créature de rêve et le début d’une rencontre idyllique opèrent un premier changement de dynamique : cela semble trop beau pour être vrai. Les ressorts sont quasiment ceux d’une comédie romantique, à moins qu’il ne s’agisse d’une relecture bisseuse (la nudité casse la sagesse des images) de Brève Rencontre (David Lean, encore lui). Une nouvelle rupture de ton brutale parachève la séquence lorsqu’une violence soudaine amorce un passage à tabac. Les locaux massacrent cruellement l’étranger avant de l’immoler vivant. Durablement traumatisant, ce prologue fonctionne comme un court-métrage à part entière. Une question se pose néanmoins : sur quel pied reprendre après cela ? « Potters Bluff : Une nouvelle façon de vivre », un panneau au cœur de la ville remet une couche d’ironie tandis que la violence crue et frontale laisse place à une atmosphère plus énigmatique. Une enquête éthérée débute, son rythme flottant (pour ne pas dire déstabilisant) se double d’une structure déconcertante entremêlant ironie et éruption de sauvagerie. Le cinéaste explore un territoire filmique inédit avec un intérêt modéré pour son récit. Ce n’est pas tant l’intrigue ou son suspense qui l’intéressent que les possibilités plastiques et techniques qu’elle lui offre. Le réalisateur développe une identité visuelle rétro, jusque dans le choix des standards musicaux combinée avec une élégance formelle en contraste avec la brutalité de certains de ses plans.

Réincarnations © 1981 BARCLAYS MERCANTILE INDUSTRIAL FINANCE LIMITED. ALL RIGHTS RESERVED.

Réincarnations se plaît à confronter des éléments très concrets à une investigation parsemée d’inconnues. Le scénario oppose continuellement le théorique et le pratique, le rationnel et l’irrationnel, une narration relativement patiente et des crimes expéditifs. Gary Sherman entretient savamment son suspense en le parsemant de morts brutales, comme pour mieux retarder ses révélations. Dans un humour noir assumé, il raille en creux la tranquillité supposée des petites villes, tout aussi imprévisibles et inquiétantes que le foisonnement des grandes métropoles. Son atmosphère brumeuse (formellement et scénaristiquement) imbibe également la photographie des lieux intérieurs à l’instar de l’hôpital. Le scénario stricto sensu captive moins que l’ambiance énigmatique et les mises en abyme que propose le réalisateur. Le film assume son statut de série B et sa dimension possiblement mineure pour se faire une ode à l’artisanat et aux petites mains du genre, tel un making of d’une petite boutique des horreurs. Une séquence de transformation d’une jeune fille assassinée est en cela emblématique : on assiste à sa résurrection au sens figuré puis au sens propre. La scène se clôt sur un regard face caméra : nous sommes pris à partie, le magicien fait mine de nous dévoiler son tour. Le cinéaste, avec la complicité décisive de Stan Winston semble mettre à nu des techniques de maquillages et d’effets spéciaux. La nécessité pour les assassins de photographier leurs victimes les impose en avatars possibles de Sherman alors que le légiste, véritable artiste en mesure de redonner une seconde vie aux morts, convoque forcément Winston et son travail saisissant sur le long-métrage. Le twist final, que nous taierons, est révélé par un film en noir et blanc, faisant du cinéma outil de vérité dans un monde factice, induisant aussi le rapport en haute estime du metteur en scène à son médium. Derrière sa modestie apparente, Dead and Buried, outre bénéficier d’un fascinant soin technique, sans chercher le sens à tout prix, se pare de plusieurs niveaux de lecture supplémentaires. Une dimension analytique qui n’entrave en rien un plaisir primaire et généreux, dont certaines visions ont trouvé un écho par la suite. On pense notamment à cette infirmière tueuse et ce plan d’une seringue plantée dans l’œil de la victime, qui fait autant à penser à L’Emmurée Vivante de Lucio Fulci qu’à Planète Terreur de Robert Rodriguez. D’un même élan, Sherman trompe les attentes et sert le genre, dans une entreprise collective à la paternité multiple qui continue de faire son effet plusieurs décennies après sa réalisation. 

Outre le plaisir de redécouvrir le film dans une belle copie HD, l’édition proposée par ESC s’accompagne de nombreux suppléments. On pense notamment à Dan O’Bannon, épouvante et SF par Alexandre Jousse, un document assez scolaire dans sa facture mais très instructif et riche dans son contenu. L’édition, en totale cohérence avec le film tend à valoriser des artisans de l’ombre à l’image de Juan-Manuel Costa à qui l’on doit la bande-annonce française du film qui revient sur son travail, mais aussi à l’affichiste Michel Landi dans un entretien avec Jacques Ayroles, ancien directeur du fond d’affiche de la Cinémathèque Française, à la galerie Ciné-Images. Du travail sérieux pour un film de qualité qui a bien mérité sa résurrection en vidéo, l’attente en valait la peine. 

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A propos de Vincent Nicolet

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