31è Étrange Festival www.etrangefestival.com

L’Étrange Festival a comme chaque année disséqué le pire et le meilleur du cinéma de genre pour en proposer une sélection fidèle à son public. Certains films de cette 31e édition reposent sur la mission dans laquelle sont embarqués leurs personnages : Gibier, Lesbian Space Princess et Karmadonna.

Gibier

En sélection Mondovision, Gibier, d’Abel Ferry, la mission est traitée sous le prisme de la désobéissance civile. La traque d’activistes écologistes par des chasseurs à la suite de récupération de caméras cachées dans un abattoir, augurait du meilleur sur le papier, et tourne vite au vinaigre dans les faits. Dès les premiers plans sur des cochons d’élevage, on sent déjà que le film sera un tunnel sans fin pour son point de vue très neutre de réalisation, mais pas qu’il sera aussi mal joué – on ne saisit d’ailleurs pas non plus grand-chose aux répliques, mal articulées. Le scénario émousse en outre très vite les pistes qu’il entame : conscience militante, liens entre secteur privé et vie politique, sens du devoir contre sens des responsabilités… Entre des commandos pieds nickelés dirigés par le candidat aux municipales du village, et les quatre militants en cavale, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre en termes de densité psychologique.

À part dans sa capacité à entrer assez vite dans le vif du sujet, on a du mal à trouver quoi que ce soit à défendre dans ce Délivrance pour les nuls, sans grande tension, qui ne concentre finalement son propos qu’autour d’une Gopro ayant des images compromettantes (quoique moins que ce qu’elle n’a pas filmées ensuite). Ni haletant, ni intéressé par son sujet, ni même soucieux de cohérence – ça court criblé de balles, ça se transporte d’une rive à l’autre de la rivière comme par magie –, Gibier attriste davantage qu’il ne consterne, que de si nombreux talents réunis n‘arrivent pas à faire émerger le moindre intérêt de spectateur, qu’un tel nanar ne soit même pas volontairement drôle. Le dernier quart d’heure assume un peu plus le gore du survival. C’est un peu tard, au vu de la vaine soupe qui a été servie plus tôt et qui ne risque pas de faire changer les mentalités circonspectes sur le cinéma de genre français.

Lesbian Space Princess

Mission sauvetage dans le film d’animation Lesbian Space Princess (« Nouveaux Talents »), qui annonce d’emblée son côté queer – dans une programmation assez discrète sur la thématique, à L’Étrange Festival – et spatial. Il décoiffe par la multitude de sujets qu’il traite, sa densité folle et ses couleurs stimulantes, tout en sachant rester d’une drôlerie constante. Sur la planète Clitopolis, où ne vivent que des femmes, et donc des femmes qui s’aiment et élèvent des enfants filles, la timide Saira vient de se faire plaquer par sa copine. Quand celle-ci est enlevée par des mExtraterrestres (« mAliens », en langue originale. Le jeu de mot est amusant dans les deux cas), hétérosexuels blancs cisgenres carrément incel, Saira est prête à traverser plusieurs galaxies et à découvrir d’autres cultures pour la délivrer, en espérant tout de même obtenir un regain d’attention de son ex… Les réalisatrices et scénaristes Emma Hough Hobbs et Leela Varghese privilégient les répliques qui claquent en pleine face du patriarcat, et sans temps mort.

Le voyage, psychédélique et irrévérencieux, est un précis assez exhaustif de masculinité toxique, qui sait aussi se moquer des biais ou des stéréotypes LGBTQIA+. De planète en planète, de rituel initiatique saphique en acceptation de soi, l’imagination débordante de ses créatrices réussit à faire éclater les pensées de chaque protagoniste. Personne n’est vraiment gentil ou méchant puisque tous·tes ont reçu une éducation compartimentée selon leur planète d’origine. Chacun·e est  le fruit de sa propre communauté et de ses cercles restreints, du vaisseau spatial d’un autre temps à la patronne drag d’un improbable club intergalactique, en passant par le gardien juteux des mExtraterrestres. Emma Hough Hobbs et Leela Varghese rappellent le long processus de tolérance que doivent encore embrasser les sociétés (du futur, et par conséquent aussi d’aujourd’hui) pour un meilleur vivre-ensemble. Et sous ses fausses allures foutraques, ses outrances volontaires, ses chansons accrocheuses et ses jeux de mots poilants, Lesbian Space Princess tape juste, en n’oubliant jamais d’assurer le divertissement et le plaisir des yeux.

Karmadonna

On était tout émoustillé à l’idée de découvrir (en Compétition internationale) Karmadonna, la première réalisation d’Aleksandar Radivojevic, co-scénariste du culte A Serbian Film. Ici, la mission est affaire de contrat faustien imposé : Yelena, enceinte, reçoit sur son téléphone l’appel d’un dieu omniscient « créateur de contenu » l’enjoignant à tuer un certain nombre de personnes selon des critères plus ou moins obscurs, afin que son futur enfant soit sûr de naître et puisse mener une vie moins mauvaise dans une Belgrade débarrassée de ses parasites. D’abord réticente, la quadragénaire se plie aux exigences de la voix. Elle croisera (entre autres) sur sa route des policiers corrompus, des producteurs de télé sans éthique, des influenceurs condescendants, des patrons violents, dans une nuit sans fin. Si Karmadonna reste autant en tête après vision, c’est pour sa misanthropie assumée et ses ruptures formelles. Aleksandar Radivojevic n’aime décidément pas notre époque, et tire à balles réelles dans ce film défouloir assez foisonnant qui sait toujours donner un os à ronger au spectateur.

Si le procédé du téléphone et de la prise d’otage à distance n‘est pas nouvelle, le réalisateur en tire du neuf. La caméra capte une saleté répulsive, se glisse dans l’air ambiant se colle aux visages, déforme les volumes, c’est-à-dire filme l’humanité comme avec un filtre enlaidissant se spulsions. Elle semble attiser la violence par sa seule présence, voire justifier l’escalade meurtrière d’Yelena ou de ses adversaires. Dans les trois premiers quarts du film, les meurtres individuels se suivent très efficacement sans radoter. Puis, un studio d’enregistrement rebat les cartes. La topologie de la violence devient collective, prise d’un élan de transe. Scénaristiquement, le long-métrage n’y gagne pas. En revanche, la mise en scène peut se déployer encore plus loin, encore plus rouge. Et l’impression d’avoir perdu le cap initial est rattrapé par une virée badass dans laquelle on se sent bien. À l’instar des parties de corps mélangées dans un mixeur par un des personnages, Aleksandar Radivojevic rassemble tous les éléments qu’il a exposés plus tôt, en un patchwork qui rend ce premier film plus qu’original.

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A propos de Thibault Vicq

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