la parole aux « Mutins de Pangée » – salon de l’édition dvd indépendante 2014

Culturopoing est partenaire du salon de l’édition DVD indépendante, dont la troisième édition se tiendra une nouvelle fois dans les locaux du Cinéma la Clef (Paris, 5e arr.), le premier week-end de décembre, samedi 6 et dimanche 7, de 14h à 20h. L’entrée est libre et gratuite.

A quelques jours de l’évènement, nous profitons de cette occasion pour rencontrer les éditeurs présents – dont nous chérissons particulièrement les sorties, les débroussaillages et les soutiens en tous genres – et les questionner sur leurs politiques, leurs goûts, et leurs conceptions respectives de l’édition vidéo…

Aujourd’hui, un deuxième épisode avec « Les Mutins de Pangée », coopérative audiovisuelle et cinématographique, éditeur dvd et plateforme Vod, mais aussi producteur et distributeur en salles.

Les Mutins défendent un cinéma engagé (René Vautier, Avi Mograbi, Pierre Carles, Jean-François Gallotte…) et une ligne éditoriale sans concession (histoire des luttes ouvrières ou sociales, critique de l’économie et des médias, documentaires sur Noam Chomsky et Howard Zinn…).

C’est Brice Gravelle qui nous répond au nom du collectif des Mutins. Nous l’en remercions.

Qu’est-que cela signifie pour vous d’être un éditeur « indépendant » ?

Cette question de l’indépendance se pose pour nous pour l’ensemble de nos activités, que ce soit l’édition, la production, mais aussi la distribution. Notre principale indépendance, c’est une indépendance vis-à-vis des chaînes de télévision françaises. Aucun de nos films n’a été diffusé par une chaîne de télévision française, et ce malgré certains succès dans les salles de cinéma. Nous avons donc pris le parti de fonctionner sans la télévision française, ce qui nous enlève des contraintes de formatage non négligeables : formatage au niveau de la forme (la règle du 52 minutes), mais aussi au niveau du fond. Cela nous donne une certaine liberté mais nous oblige à trouver des financements autres pour nos films. Ainsi pour Chomsky et Cie, le film de Olivier Azam et Daniel Mermet, nous avons fait appel à un système de souscription auprès du public qui a très bien fonctionné. C’est plus difficile aujourd’hui puisque de nombreux sites reprennent ce système. Mais pour nous, être indépendant de la télévision mais dépendant de notre public, est une force. On a appris à se construire sans la télévision et c’est presque devenu une marque de fabrique : quand les gens viennent sur notre site, ils savent qu’ils vont y trouver des films qu’ils ne pourront pas voir sur les chaînes françaises.

Comment définiriez-vous votre ligne éditoriale ?

Ce qui rassemble les différents membres de la coopérative, c’est la défense d’un cinéma engagé. Engagé d’abord sur la question de la mémoire populaire, l’histoire de luttes sociales souvent oubliée du grand public et absente dans l’histoire officielle. Les films de la coopérative accordent également une importance à la question de la liberté d’expression et des médias. Plusieurs membres de la coopérative sont d’ailleurs issus du « mouvement des télés libres » (dont Zalea Tv de 1999 à 2007). Et puis, ce qui nous anime dans nos différents projets, c’est un certain esprit libertaire et frondeur. Au final, malgré des sujets très différents dans nos films, on retrouve une certaine cohérence…

Comment se décident les choix (un comité, des envies mises en commun…) ?

Cela se fait de façon assez naturelle. On reçoit pas mal de films à visionner, pas mal de propositions, et on fait aussi bien entendu des recherches de notre côté. Quand quelque chose plait particulièrement à un des membres de la coopérative, il fait circuler le film aux autres et on en discute. Souvent, la décision est prise assez simplement car on a tous une vision très proche du cinéma et de notre ligne éditoriale…

Avez-vous un « public » d’acheteurs en particulier ?

 Je sais pas si on peut parler d’un public d’acheteurs en particulier, mais ce qui est sûr, c’est qu’on a un public de fidèles qui se retrouve dans notre ligne éditoriale, et avec qui on échange régulièrement. Le fait de proposer à la fois des éditions Dvd, des films en Vod, mais aussi des entretiens avec des intellectuels mis en lignes gratuitement sur le site, cela crée une activité régulière et des échanges permanents avec notre public. Et ce public, on sait qu’il nous suit parce qu’on a une ligne éditoriale sans concession. Le pire pour nous, ce serait de proposer des films qui laissent indifférents…

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Est-ce qu’il vous arrive d’aller à la rencontre du public pour promouvoir et expliquer les œuvres ?

C’est même une partie importante de notre travail auquel on est très attachés. On est présents tous les ans sur différents évènements (la fête de l’Humanité où on tient un stand, le salon du livre libertaire ou encore le salon de l’édition Dvd indépendante). Pour nous c’est l’occasion de rencontrer « physiquement » notre public, d’échanger avec lui directement sur nos différentes éditions, nos projets à venir, etc.

Et puis, on reste très attachés à la projection en salle, qui est pour nous le meilleur moyen d’échanger avec le public, et de débattre des films. Pour la sortie de notre livre-dvd Afrique 50 par exemple, on a organisé différentes soirées-débats, dont une à la Maison des Métallos. A chaque fois, la salle était pleine et les débats animés…

Est-ce difficile d’exister et d’avoir une visibilité commerciale ?

C’est évidemment un souci permanent pour nous : qu’un maximum de personnes voie nos éditions. On essaye à tout prix de ne pas tomber dans une sorte d’élitisme qui voudrait balayer d’un revers de la main le succès commercial d’une édition. Si on édite un film, c’est parce qu’on a vraiment envie qu’un maximum de personnes voie le film, parce qu’on croit vraiment qu’il vaut le détour.

Quelle est votre distribution ?

Pour rendre visible nos différentes éditions à un maximum de personnes, nous avons plusieurs canaux de distribution. Tout d’abord, via notre boutique en ligne sur notre site. Nous avons environ 20 000 personnes qui suivent nos actualités via notre newsletter et sont ainsi avertis avant tout le monde de nos sorties Dvd et autres actualités. On a mis en place un système de précommande qui permet de presser des dvds au plus près de l’intérêt qu’ils suscitent avant leur sortie, et donc, qui nécessite moins de stock et de besoins en trésorerie. C’est un principe coopératif assez proche du modèle des AMAP. Et puis ça ajoute une étiquette de postiers à nos multiples activités.

On est aussi présents dans les différentes librairies indépendantes via le diffuseur Les Belles Lettres.

Enfin, nous sommes distribués dans les Fnac et autres grands magasins par un autre diffuseur, Arcadès. Ce sont des lieux qu’on apprécie évidemment moins que les librairies, mais dont on ne peut pas se passer si on veut toucher un public le plus large possible.

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Est-ce que l’édition d’un titre n’est qu’une mise sur support, l’adaptation d’une édition étrangère, ou cela implique-t-il des opérations plus complexes ?

L’édition est un processus bien plus complexe qu’une simple mise sur support. D’abord, on essaye de faire un gros travail de graphisme pour présenter un « bel objet ». Et puis le travail d’édition, c’est aussi de trouver des partenaires en amont, d’organiser différentes projections au moment de la sortie, etc. Si c’est juste une galette dans un étui, fin de l’histoire, ce travail ne nous intéresse pas.

Croyez-vous que l’édition vidéo va de pair avec un complément informatif ?
Quelle part accordez-vous à l’objet, à son identité visuelle, et aux compléments : livret, bonus ?

 On essaye d’apporter un complément informatif dès que le film s’y prête. C’est le cas notamment pour notre collection Mémoires Populaires, une collection de livres-Dvds qu’on a lancée avec Afrique 50 et qui va se poursuivre très bientôt avec l’édition de The People Speak, un livre-Dvd avec des textes inédits de l’historien Howard Zinn. Au départ, The people Speak, c’est un spectacle filmé de lectures de textes de l’historien Howard Zinn par les « stars hollywoodiennes » (Matt Damon, Sean Penn, Bob Dylan, etc.). Très intéressant, mais on a voulu compléter ça avec un livre de textes inédits de Zinn.

Plus généralement, la plupart de nos éditions DVD comprennent au minimum un livret, permettant de contextualiser l’œuvre, d’apporter des éléments sur les réalisateurs, etc.

Comment voyez-vous le support vidéo par rapport à la sortie salles : un rattrapage, un prolongement, une autre manière de découvrir ?

C’est difficile de répondre à cette question tant les cas sont différents. Au strict minimum, une édition en Dvd est pour nous un moyen de rendre visible des films qui ont eu une très brève existence au cinéma. On le constate, on a un public qui n’a pas forcément accès, pour des questions géographiques, à des salles de cinéma indépendantes. L’édition Dvd est donc un moyen de rattraper ce manque.

Mais l’édition Dvd peut aussi être pour nous l’occasion de donner vie à un film qui n’a pas trouvé sa place en sortie officielle en salles. On a par exemple édité en début d’année un documentaire incroyable, Sur les toits, qui parle des révoltes dans les prisons de Toul et de Nancy dans les années 70 contre les conditions de détention. Une histoire incroyable, complètement oubliée. Le réalisateur Nicolas Drolc est venu nous voir avec son film fini, qu’il a intégralement autoproduit, pour nous demander si ça nous intéressait. On a d’abord essayé de trouver un distributeur pour sortir le film en salles, et face aux différents refus, on a décidé d’éditer le film en Dvd. Depuis, Nicolas Drolc organise lui même sa petite tournée ; Siné, Le Canard Enchaîné ou encore Noel Godin, ont parlé de son film, et il y a peu de temps encore, il était en débat à Bruxelles avec Jean-Marc Rouillan. Bref, l’édition Dvd n’a été que la première étape de la vie du film…

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Avez-vous des succès commerciaux ? Votre « meilleur » titre ?

 Le plus grand succès commercial de notre coopérative est indéniablement le film Chomsky et Cie réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet, ainsi que la suite Chomsky et le pouvoir. Succès en salles de cinéma (avec 70 000 entrés), mais aussi succès ensuite de l’édition du double Dvd.

Plus récemment, nous sommes très satisfaits de l’édition de notre livre-Dvd Afrique 50, autour du premier film anticolonial de René Vautier. C’était pour nous une première expérience que de se lancer dans l’édition d’un livre-dvd. Cela nous a conforté dans la formule.

Celui dont vous êtes le plus fier ?

 C’est difficile de répondre à cette question. Dès lors qu’on se lance dans une édition Dvd, c’est que l’on estime que le film doit être vraiment vu et connu par un maximum de personnes. Mais dans nos éditions récentes, on est particulièrement fier de l’édition en coffret des films de René Vautier en Algérie dont son film phare Avoir 20 ans dans les Aurès. René Vautier, c’est un cinéaste incroyable qui a connu la censure sur pratiquement toute son œuvre et qui reste encore incroyablement inconnu du grand public, alors qu’il devrait être étudié dans toutes les écoles du cinéma. Ce coffret de 15 films dont 14 inédits, on en est vraiment contents…

Vous arrive-t-il de persister dans la diffusion de certaines œuvres, ou certains auteurs, malgré des faibles ventes ?
Y-a-t-il  un équilibre à trouver ?

C’est toujours un équilibre difficile à trouver : d’un côté des œuvres qui nous plaisent beaucoup, et de l’autre, l’exigence aussi que ces œuvres rencontrent leur public. Il ne faut pas avoir à la fois le nez braqué sur l’audimat, et dans le même temps avoir la posture inverse qui reviendrait à proposer des éditions très élitistes touchant 50 personnes…

Des projets à venir, des sorties, des choses qui vous tiendraient à cœur ?

Nous avons plein de projets à venir pour l’année 2015. D’abord, la concrétisation d’un projet entamé depuis 5 ans maintenant : notre film Howard Zinn, une histoire populaire américaine réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet. Au départ, c’est un projet un peu fou, un film sur le livre Une histoire populaire des Etats-Unis, 800 pages où Zinn parle de ceux qui ne parlent pas dans l’histoire officielle : les esclaves, les Indiens, les déserteurs, les ouvrières du textile, les syndicalistes, et tous les inaperçus en lutte pour briser leurs chaînes. Au final, c’est devenu un projet colossal. On s’est rendu compte qu’il était impossible de raconter tout ça en un seul film. Résultat : 5 ans de boulot, mais quatre films à la clé dont les deux premiers pour 2015. Pour nous, c’est l’occasion de revenir au cinéma. On va aussi participer à la codistribution et à l’édition Dvd de Louise, une fiction de Jean-François Gallotte qu’il a réalisée avec très peu de moyens. Le résultat est bluffant et le film sortira en salles en mars.

Côté édition, on a aussi un projet de livre-Dvd avec Ciné-Archives, une association qui gère le fond audiovisuel du Parti Communiste. Ce livre-Dvd sera consacré à l’histoire du journal l’Humanité et de sa fête, avec des archives inédites et des textes d’historiens. On a encore d’autres projets d’édition mais il est encore un peu tôt pour parler…

Comment voyez-vous le développement de la VOD ? Est-ce une concurrence, un « service » différent, ou forcément, quelque chose qui va vous amener à repenser votre pratique ?

Au départ, notre projet de plateforme Vod partait d’un constat : on voit beaucoup de films circuler qui nous plaisent beaucoup, mais qu’on ne peut pas toujours éditer en Dvd. Ces documentaires circulent souvent en festival, passent parfois mais très rarement à la télévision et passent ensuite aux oubliettes. Pour nous, le principe d’une plateforme était de redonner une vie à ces documentaires, mais aussi d’offrir la possibilité de découvrir davantage de films qu’uniquement par le biais de nos éditions Dvd. On a donc bossés pendant 6 mois, à la fois sur le contenu futur de la plateforme que sur son développement technique.

Au final, on a lancé notre plateforme en février dernier. Depuis, de nouveaux films sont ajoutés régulièrement en partenariat avec différentes sociétés de production (CP Productions, Les Films d’Ici, Doc and Films etc…).

Et puis la Vod, c’est pour nous l’occasion de proposer des films pas chers (entre 3 et 4 euros le film), mais aussi d’expérimenter de nouvelles choses (par exemple, certains de nos films sont en prix libre). Au final, on se rend compte que ça ne concurrence pas du tout le Dvd mais permet au contraire d’accrocher un autre public.

C’est encore expérimental mais on compte bien poursuivre le développement de la plateforme…

 

Brice Gravelle pour les Mutins.

 

… le site des Mutins de Pangée, c’est ici : www.lesmutins.org/

… et le site du Salon, c’est par là : www.salondvd.fr

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