Claire Diterzi – « Tableau de Chasse »

Bronze, velours et mazurka

Non, la chanson française n’est pas pétrifiée. On a un peu les jetons, quand même, en voyant ce qui entre puis sort du moulin star-académicien et autres usines à prémâcher, on se demande qui arrivera à délivrer Excalibur et portera au firmament notre fierté linguistique. En tout cas on sait que pour faire du zèle il ne faut pas compter sur les gratouilleurs ou les quiches en vogue, qui se reproduisent plus vite que des lapins et s’auto-congratulent jusque sur scène. Au-delà de ces ennuyeux repas de famille, on attend au tournant les élus qui sortent du royaume de la mélasse complaisante. Pour ma part, je me prosterne devant les acrobates qui jouent sur les mots en toute impertinence, et je porte aux nues les bienheureux qui évitent l’écueil de trop peser leurs mots au détriment de la musique.

Si vous voulez des noms, allez donc voir à Zamosc si j’y suis, ici on est là pour parler de Claire Diterzi et on ne peut pas dire qu’elle voyage léger. La damoiselle a plus d’une breloque à son arc, c’est peu de dire que son « Tableau de Chasse » est bien garni. Ses créations musicales ont badiné avec la danse, le théâtre et le cinéma, ses chansons évoquent la sculpture et la peinture, elle manipule la langue avec autant de poésie que de fantaisie, c’est une drôle de diva malicieuse et accomplie qui barbote joyeusement au pays des arts. Quant à son univers musical, imaginez une ratatouille savoureuse dont les ingrédients seraient une bonne base acoustique farcie de trip-hop dans laquelle on aurait versé une bonne rasade médiévale, une pincée de voix bulgares, un soupçon de jeu vidéo, un poil de Piaf, un zeste de cloche et le jus d’un cor de chasse bien mûr. Un plat atypique à déguster dans un cadre tantôt dépouillé, tantôt rococo, qui s’arrose à la vodka. Nazdrovié !

Vous me direz que tout ça sonne un peu bobo, qu’il y en a marre des initiés qui s’astiquent la pelote, qu’on n’est pas obligé de porter une crinoline pour lancer des cotillons. Je vous avouerais que pour l’occasion, j’ai sorti mon dictionnaire avant de me mettre à danser la passacaille, que dans la foulée j’ai fait des recherches iconographiques sur Fragonard, Rodin, Camille Claudel, Turner, Lucian Freud, Ingres, Toulouse Lautrec et j’en passe, histoire d’être sûre de revêtir mes plus beaux atours. Et alors ? Toutes les occasions sont bonnes pour se cultiver, maintenant je peux briller en société sans être obligée de porter un bikini à paillettes. Ah oui, parce qu’en voguant sur les flots de la Vistule, j’ai omis de vous préciser que chaque chanson de l’album tire son inspiration d’un tableau, d’une sculpture, d’une installation ou d’une photographie, le tout dans un registre assez sensuel.

Suspendez vos offenses, tout ça n’est pas gratuit. Sonnez plutôt l’hallali, Claire Diterzi tire à boulets rouges et or sur la télé, les clips et la variétoche, l’Eglise ne l’emporte pas au paradis et les bimbos peuvent aller se rhabiller. Un peu d’engagement dans les viscères, ça nous change et ça l’en rend d’autant plus sympathique. Un oiseau rare, donc, cette Claire Diterzi, qui relève avec brio l’échine de la chanson française de qualité sur un ton astucieusement libertin qu’on retrouvait jusqu’ici plus souvent chez les hommes. Une voix de femme qui chante et dessine la femme d’aujourd’hui dans toutes ses facettes, capable de revendiquer et de se pochetronner comme de roucouler, parfois mal embouchée, qui s’offre à son galant sans jouer les madones pourvu que le lit soit à baldaquin.

(En gras : champ lexical diterzien)

odalisque

 

« L’Odalisque » par Jean-Claude Lardrot / (c) Jean-Claude Lardrot


Prochaines dates de concert dans toute la France à partir du 16 janvier 2009 (plus de détails sur son site)

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A propos de Sarah DESPOISSE

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