Les films de sport ont cela de passionnant que bien souvent, l’enjeu sportif lui-même, au final, importe finalement bien peu. La clé se trouve davantage dans ce que le sport dit, allégoriquement, des personnages. A ce titre, En Garde se révèle être véritablement un modèle dans le genre.

Petit OVNI en provenance de Taïwan, construit sur des fondations disparates, laissant craindre un éparpillement coupable, le film garde sans faiblir sa cohérence, totalement focalisé sur son objectif : placer une touche finale retentissante. Disons simplement que l’origine du projet, son point central, est l’escrime, que la réalisatrice singapourienne Nelicia Low connaît sur le bout des doigts, l’ayant pratiqué elle-même à haut niveau. A travers son œil, le sabre se révèle être un média idéal pour évoquer la relation complexe qui unit deux frères.

En Garde : Photo

En Garde met en scène un jeune garçon, Zijie (incarné par ce prometteur jeune acteur Hsiu-Fu Liu), bien piètre escrimeur, mais attaché à ce sport car c’est à travers celui-ci que son grand-frère a brillé… avant un tragique accident impliquant la mort d’un tireur. Entre un père décédé des années auparavant d’un cancer et le nouveau prétendant de sa mère, c’est donc en Zihan (charmant Tsao Yu-ning, par ailleurs lui-même ex-joueur international de… baseball), le grand frère donc, que Zijie recherche une figure d’attachement paternelle.

Ainsi le jeune garçon se sent écartelé entre l’amour et l’admiration qu’il porte pour son grand frère, et ses doutes concernant sa monstruosité, dont la genèse est double  : d’une part un terrible accident survenu lors d’une compétition, qui amènera Zihan à être condamné et envoyer derrière les barreaux, et un événement déterminant survenu dans l’enfance entre les deux frères.

Ce tableau familial, dysfonctionnel à souhait, est complété par la mère, figure qui se révèle étonnamment complexe. Chanteuse de vieux standards Américains dans une sorte de cabaret, courtisée par un homme qui semble occuper tout l’espace affectif, c’est en réalité une femme qui se bat contre des peurs intimes. A l’instar d’une escrimeuse émérite, la réalisatrice Nelicia Low masque ses intentions en ce qui concerne ce personnage, laissant le spectateur juger la mise à distance d’une certaine réalité, là où au contraire il ne s’agit au contraire que de protéger son fils cadet.

S’il est attendu que les représentations de personnages de sportif, de l’iconique Rocky aux nageurs du Grand Bain, soient axées sur un combat avant tout contre soit-même, et ce quelque soit le sport pratiqué. En Garde, quant à lui, se sert de l’essence de l’escrime pour en faire un véritable moteur de l’intrigue. A travers le sabre, le mystérieux grand-frère peut exercer une ascendance sur un Zijie admiratif. Avec Zihan, le jeune garçon comprend tout, sur la stratégie bien sûr, mais aussi sur le plan des des relations humaines.

En Garde

Ainsi, Nelicia Low permet au spectateur de tout saisir de son sport, évitant tout didactisme et épargnant ainsi d’assommantes explications. A travers ses feintes, ses mouvements et son rythme, le tireur cherche à deviner les intentions de son adversaire et à contrôler ses réactions. Bien vite, le jeune garçon, comme le spectateur, sera décontenancé, parfois terrifié, par le masque affiché par Zihan, qu’il soit métaphorique ou réel, sur la piste d’escrime.

La métaphore est donc filée sur tous les plans, avec ce choc des lames qui décrit l’amour, dans toute sa complexité, au sein de cette fratrie, et une réalisatrice qui manipule habilement son public, jusqu’au prétexte parfait pour un final glaçant.

Sous ses allures de drame familial, le film, tout en abordant de nombreux sujets (tous traités avec justesse), reste concentré sur la question centrale de l’amour – ici fraternel – dans un enchevêtrement de paradoxes et d’ambiguïtés. Avec beaucoup de finesse et de précision, Nelicia Low, dont c’est le premier long-métrage, prend le fer sans crainte pour mieux – au bout de son geste – sabrer dans le vif.

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de François ARMAND

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.