Dans ce théâtre du vide (une station de ski hors-saison) où le silence, l’absence et le souffle du vent dominent le désenchantement, il y a Laurent, parasite et solitaire gringalet prêt à tout pour trouver non pas sa place, mais une place, ici ou là, amoureux ou froid manipulateur, un jour présent, un autre indifférent. Au gré du hasard et de ses improbables rencontres, guidé d’une lose feintant le magnifique, Laurent est systématiquement à contre-courant, à la fois apparition bienfaitrice et raclure profiteuse, sauveteur et tueur, amant et squatteur, ami et traître, prêt à se soumettre à un destin étripé puis s’y refusant, prêt à tout, mais surtout à magouiller ses désirs pour aspirer à enfin être accepté. Ce qui est certain, c’est que ce Laurent, paumé en plein vent, attachant et détestable petit être aux confins des marges avec sa diction monotone, ses trois accords de guitare qui l’empoignent (répondant aux quelques notes de piano de Hong Sang-soo) tout semble avec lui à côté, mais l’on doit rapidement s’y résoudre : qu’il va être difficile de ne pas s’y attacher.

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De l’ambivalence nait le trouble de la déraison, le malaise d’aimer ce qui ne peut l’être, se prendre enfin d’affection pour l’échec, l’absence concrète de « projet », cette pernicieuse et déplorable définition de vie qui dicte le contemporanéité d’un monde régit par lui, « le projet », le futur, la construction du présent pour une destination. Quand la question arrive à Laurent, celle de connaitre son rêve à lui, sa réponse est limpide : « Aimé et être aimé ». Car malgré cette amour/haine générée par sa vie parasitaire qui ira jusqu’à feinter un désir homosexuel pour un toit, un accompagnement à la mort pour un lit, une coucherie pour une famille, le calcul est court-termiste, il navigue à vue dans un instinct de survie de salopard manipulateur, absent pour sa sœur (qui l’invective de venir pourtant la voir), pourfendeur de gamin chialeur (hilarante scène de tire-fesse à la Patrice Leconte), traitre à son nouvel ami Santiago (en couchant avec le personnage de Béatrice Dalle, excellente en mère célibataire dévoreuse de chair fraiche). De l’obscurité (et cette glaçante séquence où Laurent jouit du lit d’une morte) nait l’aspérité en définition humaniste, ce qui nous détermine est aussi là, nos vices et déviances calculatrices, celles dont on a honte, et qu’ici Laurent embrasse sans détour. Et c’est probablement aussi la raison de notre inconsidéré amour pour lui, il est la pure représentation de ce que l’on rêve d’être (une apparition humaniste) et ce que l’on est vraiment (un parasite qui s’accroche), le film tire donc plus du côté de Chabrol que de Rohmer, de Malle que de Guiraudie, il déconstruit le mirage pour en dessiner les contours les plus arides, regarde de face notre égoïsme inavouable, notre attrait de la possession, là où la survie devient simple prétexte à la jouissance profiteuse et exploitante. Car Laurent n’est évidemment que le reflet sans miroir de nos propres déviances inavouables, il est ce qu’il est, ce que nous sommes, un petit être qui se bat pour exister dans les yeux d’un autre.

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Il y a avec Laurent dans le vent l’amour des grands espaces, de la marge, d’un hymne à l’ailleurs, à l’échec avec un sens à la fois du tragique parasitaire et de la comédie sans codes. Et puis un désir de simplicité, d’amour simple comme cette conclusion recroquevillée dans sa modestie (« Ca peut rester comme ça toute la vie » énonce le personnage de Beatrice Dalle), accepter d’être aimé et d’aimer, exister enfin par son rapport aux autres dans un anti-héroïsme assumé, et non dans cette intempestive quête de reconnaissance le conduisant bien conscient de ses actions à des odieux agissements. Mais en guise de vœux de bonne année (le film sort le 31 décembre), on peut tout lui pardonner à Laurent, et embrasser sans détour sa modeste destinée avec un joyeux plaisir.
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