Dominique Fischbach – « Elle entend pas la moto »

Après avoir réalisé un florilège de documentaires pour la télévision depuis une vingtaine d’année, la cinéaste Dominique Fischbach réalise son premier long métrage de cinéma, Elle entend pas la moto : celle qui n’entend pas la moto est la protagoniste fétiche de la documentariste, Manon Altazin, qu’elle filme depuis 25 ans, dans son parcours familial et avec la surdité. Dans la famille Altazin, les parents, Sylvie et Laurent, et leur fille aînée Barbara sont entendants, et leurs deux autres enfants Manon et Maxime —disparu brutalement à l’adolescence— sont sourds. À l’occasion de retrouvailles familiales dans un chalet de Haute-Savoie, Dominique Fischbach filme l’arrivée de Manon avec son fils Mathéo, âgé de 2 ans, et plonge peu à peu dans les discussions qui éclosent dans la famille au gré du quotidien des vacances estivales : les réflexions des parents entre eux sur leurs enfants et leur petit-fils, qui leur rappelle Maxime au même âge ; les conversations entre Mathéo et sa mère, mêlant bribes de paroles et rudiments de gestes en langue des signes ; les souvenirs d’enfance échangés entre Manon et son père, notamment autour de la communication et de l’adaptation d’un enfant sourd dans un monde entendant. 

© 2025 Epicentre Films

Le cinéma direct happe immédiatement le spectateur au cœur de la vie familiale, là où l’impromptu du quotidien fait surgir l’émotion, et où les paroles de l’instant sculptent la chronique familiale dans son histoire, convoquant les souvenirs, l’absence et la sensation du temps qui file entre les doigts. Dans le décor de montagne, à l’immensité calme et ensoleillée, la cinéaste capte les rires et les câlins, les mots et les larmes, tissant de scène en scène le récit généalogique et les liens entre parents et enfants et frère et soeurs au cours du temps. Au milieu des images du présent, se glissent des films d’archive, mêlant extraits de courts métrages précédents de Dominique Fischbach, et vidéos d’enfance filmées par Sylvie. Une séquence met d’ailleurs en scène la rencontre entre le saisissement du présent et la (re)découverte du passé, lorsque la famille visionne avec le projecteur des séquences montrant Barbara, Manon et Maxime dans leur enfance, entre moments de poésie, comme lorsque l’on voit les petites Barbara et Manon parlant d’amour, perchées sur un arbre, et moments plus lourds, comme lorsque l’on suit l’hospitalisation de Manon et Maxime le jour de leur intervention pour leur poser un implant auditif. Chaque scène d’enfance convoque un tissu narratif, fait de jeux, de disputes et d’affection profonde, où se créent et évoluent peu à peu les liens familiaux, dont la mise en abyme —Manon adulte et ses parents âgés regardant leur passé projeté— saisit toute l’intensité émotionnelle, qui atteint son paroxysme lorsque le petit Mathéo vient toucher l’écran, sa silhouette en ombre chinoise face au projecteur, s’écriant devant le petit Maxime au même âge.

© 2025 Epicentre Films

Elle entend pas la moto, au-delà d’interroger les enjeux éthiques de la surdité dans le cadre de la (non)accessibilité de la société, de l’éducation et des relations familiales, déploie le documentaire en y intégrant une émotion, une sensibilité intime et une créativité unique de l’instant : le lien entre le sujet —la famille Altazin— et l’objet  —la caméra— devient labile, perméable au surgissement du réel et à l’émotion recueillie, faisant du film un véritable kaléidoscope sensoriel, empli de spontanéité, de gravité et de légèreté, où le poids de l’absence et la douleur du deuil s’inscrivent dans un espoir lumineux, porté par un hommage perpétuel. Des films d’archive visionnés à l’atelier créatif en famille, où Mathéo dispose les figurines dans la maison de poupée ; de Mathéo jouant dans un chantier de sable miniature avec son tractopelle en plastique, puis assistant son grand-père à la construction d’un mur, à la marche finale jusqu’au sommet de la montagne en l’honneur de Maxime ; le film se déploie telle une commémoration vivante et sensuelle. Dans le film de Dominique Fischbach, le jeu, le rapport au temps, les souvenirs, et les différences de perception du monde sensoriel entre la surdité et l’ouïe convoquent un pan de fiction au-delà du calque du réel de la visée documentaire. Le méticuleux travail sur le son permet également l’immersion sensorielle et émotionnelle dans le quotidien de Manon, notamment lors de ces moments où elle retire sa prothèse, et soudain, le silence ; ou lorsque, au milieu des conversations qui fusent, les paroles se confondent dans un brouillard de brouhaha confus et strident qui grésille. 

© 2025 Epicentre Films

Elle entend pas la moto, bien que traitant plus largement du handicap dans la société et l’intrafamilial, illustre avec justesse la profondeur du temps générationnel, sculpté par les silences et les oublis, les incertitudes et les frustrations, les disparitions et les naissances.

Les salles qui sortiront Elle entend pas la moto en national le 10 décembre le sortiront toutes en français sous-titrée en français, et certaines proposeront aussi —à la demande— la version sous-titrée SME ou la version en audio-description.

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