Eclat de rire horrifico-burlesque de la dernière édition de l’Etrange Festival, le quatrième long métrage de fiction d’Antonin Peretjatko, Vade Retro, sort en salles le dernier jour de l’année 2025 et devrait tout à la fois réjouir ceux qui goûtent le cinéma décalé et bricolé au chatterton de leur auteur et laisser froid comme l’hiver ceux qui, justement, le trouveraient trop chétif, se servant de surcroît ici dans les marmites refroidies puis réchauffées d’un certain cinéma français de comédie des années 70/80 (celui-ci même qui fit par exemple triompher les Charlots en leur temps… mais certains plats ne sont-ils pas meilleurs le lendemain ?) qui ne charmeront et n’amuseront que modérément une certaine cinéphilie apôtre d’une norme de bon goût. Mais n’est-ce pas par cette volonté de contre-courant, par ce recours à un mauvais esprit certain et à un comique certes efficace mais pas toujours finaud, par cette économie de cinéma fait de bouts de chandelles que le film de Peretjatko fascine, devenant par son existence même et par son inventivité à laquelle les diverses contraintes ont obligé un geste de contestation larvée envers une comédie française contemporaine devenue usine de confection à la chaîne ?

Personnages typés (P. Tagnati, Estéban) (©Paname Distribution)

Norbert (Estéban) est en difficulté : vampire adulte de trois cent cinquante ans, il est impuissant des dents (premier organe sensuel du corps vampirique, bien sûr) et n’a encore conclu érotiquement avec aucune jeune femme de sang pur à mordre du fait de ses timidités et de ses fragilités. Ses parents aussi aristocratiques que fondamentalement réactionnaires (interprétés par Philippe Duquesne et Arielle Dombasle), lui posent un ultimatum : s’il ne trouve pas sa bien-aimée au Japon où ils l’expédient avec leur domestique Didier (Pascal Tagnati), caractérisé par son dilettantisme dandy et son tabagisme très actif, ils le renieront définitivement. Le bateau transportant son cercueil fait naufrage, et les deux personnages de se retrouver sur l’Ile de Boulet-rouge, où se mêlent chasseuse de vampires, ecclésiastiques prompts à maudire les figures surnaturelles, docteurs véreux trafiquants de sang humain, plantes carnivores et, peut-être, finalement, l’imprévisibilité de l’amour…

Parodie de cinéma d’horreur d’antan, Vade Retro insiste sur l’artificialité de l’ensemble de ses éléments, forcée par son économie (le film s’est tourné pour moins d’un million d’euros) mais participant cependant de l’esthétique voulue par Antonin Peretjatko, brandie comme une sorte d’étendard de la bricole flamboyante. De l’interprétation des acteurs volontairement anti-naturelle aux effets de surimpressions fleurant bon la série Z (le visage de la mère vampire jouée par Dombasle apparaissant dans un chaudron pour communiquer à distance avec son corniaud de fils et l’enguirlander copieusement), de la photographie de Nicolas Eveilleau envahie par un chromatisme baveux évoquant la colorimétrie des couvertures de magazines pulp du genre Terror Tales et consorts à la facticité de cette jungle de Boulet-rouge entre nuit verdâtre et brumes latentes (artificialité montée de toutes pièces : le tournage de Vade Retro eut lieu à La Réunion), de son burlesque échevelé et ses blagues et jeux de mots foireux à son gore crado-rigolo dévoilant tous ses mécanismes (mention spéciale à la consommation par Pascal Légitimus d’un rougail-saucisses assez particulier), tout le film ne recherche en fin de compte qu’une forme achevée de distanciation comique, sans cynisme ni volonté de plaire à tout prix et de flatter quelques bas instincts populistes comme tente de le faire une bonne moitié de la production hexagonale de comédie actuelle, misant sur des récits d’opposition communautaire menés par des castings interchangeables (Bourdon ou Clavier ? Clavier ou Bourdon ?) avec, en ligne de mire, les dimanches soirs de TF1 tronçonnés par la publicité.

Esthétique pulp (P. Tagnati) (©Paname Distribution)

De ce point de vue, derrière sa façade anecdotique, Vade Retro fait montre d’une indépendance totale face aux diktats d’un marché dont il se contrefiche royalement, ne cherchant justement qu’à faire montre de sa légèreté et de son amusement rigolard, ceci jusque dans son casting : Estéban, leader sous le nom de David Boring de l’excellent groupe d’electro-pop excentrique Naive New Beaters et fils de l’un de ces rois de la comédie franchouillarde qu’était l’inénarrable Philippe Clair (réalisateur des fameux Rodriguez au pays des merguez [1979] ou Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir [1982]), au-delà de ses qualités intrinsèques, véhicule en lui cet héritage d’un certain cinéma de comédie déconsidéré (certainement à raison) mais au demeurant conscient de ses limites et, par là même, très attachant. Peretjatko transforme cette médiocrité assumée en geste esthétique libertaire et, par bien des aspects, parfaitement punk, ne faisant par ailleurs pas l’économie de considérer le monde tel qu’il existe (entre saillies, certes lourdaudes, sur les mœurs contemporaines et regard de biais bien plus intéressant sur la bêtise raciste et les dégâts de la colonisation française perdurant dans les DOM-TOM), faisant de son film un geste moins superficiel qu’il n’en a l’air.

Casting décalé (P. Duquesne, Estéban, A. Dombasle) (©Paname Distribution)

Ne pas s’attendre à une grande œuvre, donc, mais plutôt à un divertissement farfelu, volontairement de guingois, faisant du raté une performance ô combien comique (le gag du prodigieux échec du réveil du vampire se levant de son cercueil, en plus d’être programmatique de la drôlerie du film, est certainement l’un des moments les plus hilarants de l’année). Et créant par sa médiocrité totalement fabriquée, donc paradoxalement talentueuse, un remède bienvenu contrant la maladie qui nécrose depuis de nombreuses années le cinéma industriel de comédie en France.

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A propos de Michaël Delavaud

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