Jupiter & Okness, le nouveau son de Kinshasa
Jupiter est la planète la plus massive du système solaire. Son immense tache rouge à sa surface, connue depuis longtemps a révélé, cette année seulement, une partie de ses mystères, avec le survol de la zone par la sonde Juno. C’est une tempête qui fait rage à la surface de cette géante. Une tempête séculaire aux vents soufflants à plus de 700 km/h.
C’est un peu l’impression que laisse Jupier & Okness en concert. Une tempête d’énergie brute qui soulève tout sur son passage. Impossible de ne pas en être balayé pour entrer en danse comme en transe. Venu du Congo, le groupe est dans la digne filiation des musiques d’Afrique de l’Ouest, dont le plus grand représentant est le christ noir de l’Afro beat : Fela Anikulapo Kuti[1].
La voix rauque de Jupiter n’est pas sans rappeler celle de Umbañ Ukset du groupe parisien éphémère West African Cosmos :
Jupiter Bokondji est né en 1965 à Kinshasa. Son père qui travaille pour l’ambassade se fait muter en Allemagne ce qui donne au jeune homme alors, une connaissance particulière et privilégiée du monde occidental. Il ne garde néanmoins pas ce privilège pour lui, et quand il rentre au Congo, il fonde le groupe Okwess International en 1990. Six ans plus tard, alors que le groupe tourne déjà, la première guerre civile éclate dans le pays. Mobutu Sésé Seko est destitué au profit du leader rebelle, Laurent-Désiré Kabila. Assassiné en 2001 au cours de la deuxième guerre du Congo, c’est son fils Joseph qui lui succède, dans un Congo déchiré et ravagé par les conflits. Alors que certains membres du groupe de Jupiter de réfugient en Europe, il décide de rester à Kinshasa.
Jupiter apparait alors dans ce documentaire en 2006 ce qui le conduit à rejoindre l’African Express tour, le producteur de Hotel Univers et jouer, en 2013, au Glastonbury estival[2].
Rencontrer Jupiter, c’est poser le pied sur le sol d’une des planètes de l’harmonie des sphères[3].
Jupiter : Pour moi c’est tout à fait normal de venir présenter ma musique ici. J’ai l’habitude de sortir du Congo pour présenter ma musique, mais cette fois, je viens pour présenter les changements de la musique Congolaise. C’est un peu ma mission.
VK : Quels sont ces changements ?
J : Le nouveau son de Kinshasa ! C’est le bofenia rock.
VK : Qui vient souffler le Kwass kwass et la Rumba Soukous ?
J : Mon grand pays a plus de 450 ethnies, chaque ethnie a une sous ethnie. Nous sommes 900 ! Chacun avec pratiquement 10 à 15 rythmess de musique. Mais on nous a toujours raconté que le Congo, c’était le Rumba. Nous, de génération consciente, nous nous sommes dit : « nos aînés nous ont trompé. ». Le Congo n’est pas singulier, il est pluriel. Nous avons une diversité culturelle immense, inexploitée et inépuisable. Nous nous sommes dit c’est le moment de nous mettre en orbite pour que le monde sache que le Congo est pluriel.
VK : Comment tu as appris la musique ?
J : Je n’ai pas appris la musique, c’est la musique qui m’a happé. C’est un peu bizarre à expliquer. Ma grand-mère était guérisseuse. Quand j’étais gosse elle m’emmenait dans ses cérémonies, mais je ne comprenais rien. Puis je me suis retrouvé en Allemagne, à Berlin Est. Là j’écoutais les Rolling Stone, Zappa, la musique occidentalea. Dix ans plus tard je rentre au Congo. Ma grand-mère avait laissé un tam-tam exprès dans ma chambre. J’ai commencé à taper, j’avais tous les rythmes dans mes mains ! Impossible à expliquer. Puis je me suis intéressé à la musique traditionnelle. Je me suis mis à fréquenter les cérémonies de deuil. A Kinshasa, il y a toutes les ethnies et donc toutes les cérémonies. Comme j’ai la tête bien faite, je me suis documenté. Je connaissais plus l’histoire de l’Europe que celle de mon pays, tu imagines ! A Berlin Ouest, il y avait une Mlle Simone qui nous donnait des cours. Elle me disait toujours, quand j’étais turbulent : « vas, retourne en Afrique. Il y a des singes, des lions, des éléphants. » . Pour moi dans ma tête, je ne savais pas qu’il y avait une civilisation. J’étais un gosse. Une fois rentré en Afrique, j’ai découvert tous les mensonges qu’on m’avait racontés. Je me suis retrouvé à la rue, parce que moi et mon père nous nous battions. Il ne voulait pas que je fasse cette démarche artistique. Il a convoqué une grande réunion avec toute la famille. Il a demandé deux choses, que je sois rayé de la famille parce que j’en étais la honte si je n’arrêtais pas la musique. Et que je retourne en Europe pour terminer des études. J’ai tout nié. J’ai pris le large et j’ai commencé à devenir un enfant de la rue. Nous étions en 1981. Je suis resté deux ans comme ça. Je cherchais des endroits où il y avait deuil, pour dormir en sécurité. D’une pierre deux coups, j’écoutais ce qu’il se passait. Tous les sons que j’avais entendus en écoutant la musique Occidentale, ils étaient là d’une manière brute. On croit être ailleurs mais le monde est carré. On est toujours dans la source. Il fallait faire quelque chose, donc je suis devenu musicien à Kinshasa !
VK : Comment cela s’est-il passé ? Une rencontre ?
J : C’est mon destin ! En 1983 avec des amis nous créons un groupe de musique, « Congo folk ». Il est issu de la transformation d’un groupe dans lequel j’étais rentré, « the famous black ». On jouait de tout. Rock, Reggae, Disco…
Ma philosophie était de jouer la musique de peule. Il fallait donc changer de nom. Nous avons créé « Bongo Folk » avec des amis. En 1995, ces amis sont partis, et le groupe est devenu Okwess.
VK : Comment va le Congo aujourd’hui ?
J : ça va dans le cœur des gens. Politiquement ça ne va pas, mais le peuple est optimiste.
VK : Quel rôle joue votre musique dans le Congo ?
J : Nous voulons poser une musique qui déstresse les gens. Les paroles sont universelles ; nous parlons de l’injustice, de liberté, nous parlons de la femme, de l’homme, du matériel et de l’immatériel.
VK : Quel style de musique est un remontant pour vous ?
J : Bob Marley ! Ou bien quelque chose, un style, que je n’ai jamais écouté.
VK : Quels sont vos projets ?
J : Vous savez quand vous demandez leurs projets à des gens, ils vous diront, une maison, une belle voiture. Un artiste vous dira, un bel album, un concert grandiose. Personnellement, j’ai ouvert une porte pour la génération future. Ma mission est tellement vaste et inépuisable. Je veux juste ouvrir le chemin pour la relève. Il avait une scène musicale riche au Congo avant la guerre. Le régime de Kabila a voulu refaire des choses, petit à peti. Le Congo est un pays jeune. Il faut lui laisser le temps. Il souffre de l’exploitation des richesses de son sous-sol. Il souffre encore du colonialisme culturel. Quand un producteur Belge vient te voir et te dis, « non non non, il faut jouer de la Rumba…. »,il poursuit le colonialisme.
Le Congo, si tu regardes une carte, est comme une gâchette.
Le Congo, tout vient de là !
Et maintenant allons danser !
Pour continuer la route :
https://www.facebook.com/JupiterAndOkwess/
https://www.amazon.fr/H%C3%B4tel-Univers-Jupiter-Okwess-International/dp/B00CDCPDE6
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fela_Kuti
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Glastonbury_Festival
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Harmonie_des_sph%C3%A8res
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