Grizzly Bear – Veckatimest (archives)

(Article préalablement publié en juin 2009)

Signé chez Warp Records, oui tout comme les Maximo Park dans un autre genre (celui du rock pétaradant et lettré à costume) le collectif Grizzly Bear signe là son très attendu troisième album après le succès (relatif, à l’échelle du petit monde de l’indie pop) certain du « Yellow house » de 2006. Pas de surprise du côté des ambiances développées mais un bien joli bond en avant qualitativement parlant.

Cet album c’est d’abord un disque qui épate par l’envergure déployée, cette sensation d’un grand panorama à 360° qui s’offre à nous dans un climat proche de la cotonneuse torpeur. L’envergure donc, cette impressionnante amplitude sonore mais avec aussi le plus souvent de la profondeur, comme sur « All we ask » où la méditation prend la forme d’une ascèse musicale et d’une psyché tournoyante. La musique de Grizzly bear est profonde, son écoute devenant (à l’échelle de l’indie-pop) presque une expérience spirituelle. C’est là vous l’aurez également compris un véritable album, et non un galimatias incertain de titres épars collés les uns aux autres au gré du tirage au sort et de la courte-paille. Point de hit-single potentiel ici et puis d’obscurs titres qui feront un tabac dans 10 ans lors de la tournée estivale de reformation auprès des fans die-hard du combo.

Comme toujours dans cette veine indie-psyché-folk-machin-bidule on note un certain travail sur les arrangements bien que ceux-ci ne pètent jamais à la gueule, loin de là, et enveloppent la trame initiale du morceau d’étoffe parfaitement nécessaire, pas plus et pas moins. Une rigueur presque géométrique en fait, tant l’ensemble semble relever de l’exercice de haute voltige et d’équilibre scientifiquement bâti. Jamais pourtant la musique de Grizzly bear ne dégage la moindre artificialité, le moindre sentiment d’exercice de style arty pour victimes de la mode branchouillo-merdisante, toujours ce naturel et cette évidence qui enthousiasment au plus haut point.

Attention toutefois.

C’est un fait.

Voilà un album qui se mérite dans le sens où peu de morceaux sinon aucun ne flatte spontanément l’oreille comme un coton-tige délicieusement ouaté le ferait. C’est plutôt écoute après écoute que le caractère sophistiquée de cette justesse (car leur musique est justesse) se dévoile : ces voix mêlées ou disjointes qui embellissent chaque pièce de l’ensemble, cette acoustique à tendance psychédélique (les chœurs sur ce superbe carrousel enchanté qu’est « Two Weeks » par exemple) cette une chorale à la tranquille assurance et à la salutaire sobriété d’artifices, cette maestria tranquille et pudique, cette musique qui se mérite encore une fois et qui refuse de se dévoiler comme cela au premier inconnu qui passe dans le rayon « rock » (mouarf) de ces supermarchés de la culture (nom de groupe à la con, titre d’album à la con, pochette à la con, titre inaugural sans « nanananana » fédérateur ou au contraire bidouillages bruyants segmentants, passons notre chemin et allons acheter le dernier Phoenix ou mieux encore le disque de Willow).

Le petit miracle de cet album, et disons-le, de ce groupe c’est de parvenir à chercher toujours l’exercice du casse-gueule (soit tenir en équilibre sur trois fils : la matrice acoustique, l’arrangement chiadé et l’expérimentation) sans jamais trébucher et en se permettant même, suprême arrogance des modestes (la seule qui soit à célébrer), de terminer l’exercice par une acrobatie difficile mais réussie avec une insolente facilité, le « Foreground » final et son piano enneigé qu’une poignée de flocons vocaux de givre vient éclairer.

Cela donne envie de citer Théodore de Banville c’est dire :

Clown admirable, en vérité !
Je crois que la postérité,
Dont sans cesse l’horizon bouge,
Le reverra, sa plaie au flanc,
Il était barbouillé de blanc,
De jaune, de vert et de rouge.
(…)
Il s’élevait à des hauteurs
telles, que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines.
Ils le trouvaient décourageant,
Et murmuraient : Quel vif-argent
Ce démon a-t-il dans les veines
(…)
Enfin, de son vil échafaud,
Le clown sauta si haut, si haut
Qu’il creva le plafond de toiles
Au son du cor et du tambour,
Et, le coeur dévoré d’amour,
Alla rouler dans les étoiles

Oui les étoiles.

Si les Fleet Foxes sont sans doute la meilleure chose arrivée en pop, rock et folk depuis le « Funeral » d’Arcade Fire, il est des groupes comme Grizzly Bear qui, sur des fondements en partie similaires, creusent leur propre sillon avec assurance et talent pour au final former à leur tour l’une des 7 couleurs de l’Arc-en-ciel, celui-là même qui magnifie le paysage musical d’aujourd’hui

Le groupe ne date pas d’hier, il a déjà donné son lot de concerts aux quatre coins du monde ou presque, gageons que si par hasard le ramage live s’avérait aussi beau que le plumage de studio alors on aurait sans doute là en la personne de Grizzly Bear l’un des groupes de tout premier plan du moment. Ils seront cet été à la Route du rock, l’occasion de vérifier de visu l’hypothèse et, nous l’espérons fort, de la valider

Concluons ces louanges avec encore quelques mots encore volés au bel et grand Théodore de Banville (m’en fous, il est mort et de toute façon personne ne le connait), l’occasion de dire combien Grizzly Bear par « quelque prodige pompeux » nous fait monter « Jusqu’à ces sommets où, sans règles, Embrouillant les cheveux vermeils, Des planètes et des soleils, Se croisent la foudre et les aigles. »

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