Zoyâ Pirzâd – « C’est moi qui éteins les lumières »

Lorsque Clarisse observe le pot de fleurs sur le rebord de fenêtre de la cuisine, elle a quelque chose de Laura Brown dans « The Hours » et cela ne tient pas uniquement à son prénom, identique à celui de Mrs Dalloway. Une cuisine rutilante, un papier-peint à motifs, un quotidien bien huilé et tout pour être heureuse, ou presque. La journée, diverses activités s’offrent à elle : courses, cuisine, ménage, repassage, jardinage, voire quelques minutes de lecture. Quand son aîné et les jumelles rentrent de l’école, elle entre en scène jusqu’au soir où elle retire son tablier et s’assied dans le fauteuil vert qu’elle affectionne. Un peu plus tard, chaque jour, elle demande à son mari si elle doit éteindre les lumières ou s’il s’en chargera. Et ainsi de suite.
Desperate housewife ? Pas tout à fait, puisque Clarisse aspire humblement à la tranquillité et à l’harmonie de son foyer en dépit d’une mère envahissante et d’une sœur hystérique : « j’étais heureuse de partager le bonheur de mes enfants ». Pourtant dès lors que la famille Simonian emménage dans le pavillon d’en face, c’est une véritable lame de fond qui bouscule cette petite communauté arménienne d’Abadan, en Iran, et pour Clarisse, un léger changement de perspectives s’opère tandis qu’une voix intérieure s’élève : « En attendant que grille le pain et fonde le fromage, je me demandais combien de goûters j’avais préparés jusqu’ici. Combien de déjeuners ? De dîners ? (…) Pourquoi personne ne pensait à moi ? Pourquoi personne ne me demandait ce que je voulais ? »

Il n’y a pas à attendre de rebondissements à la Madame Bovary dans ce roman de Zoyâ Pirzâd. Contemplative et délicate, l’écriture coule lentement jusque dans les petits détails du quotidien de Clarisse, les fleurs du jardin ou les péripéties de ses enfants. Plutôt qu’un éveil, c’est davantage un questionnement qui s’installe chez cette mère au foyer, un léger pincement qui l’amène à s’interroger sur l’authenticité de ce bonheur apparent et assumé. Mystérieuse sans être bouleversante car suggérée, l’intrigue se déroule progressivement à travers les yeux de cette héroïne attachante qui perçoit plus qu’elle ne partage, comme le remarque sa nouvelle voisine : « Tu fais attention à certaines choses que la plupart ignorent. Tu accordes de l’importance à ce que toutes les autres négligent. En cela, tu me ressembles, du moins quand j’étais jeune. » En filigrane, se dessine la condition féminine en Iran : « les jumelles l’une après l’autre me demandèrent : « Mama, c’est quoi les droits de la femme ? » « Vous comprendrez quand vous serez plus grandes. » » « C’est moi qui éteins les lumières » est un roman agréablement fin et sans prétention, un de ceux dont le parfum singulier flotte encore quelques jours dans l’atmosphère une fois le livre refermé.

Paru aux Editions Zulma.

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A propos de Sarah DESPOISSE

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