Le 7 janvier 2015, la France découvre avec stupeur la nouvelle qu’un effroyable attentat terroriste a décimé une grande partie de l’équipe de Charlie-Hebdo. Le jour même des tragiques événements, Thierry Clech apprend le décès de « son » producteur, Thierry de Ganay avec qui il collabora de manière houleuse pendant une bonne dizaine d’années. Deux nouvelles très différentes qui se télescopent et offrent à l’écrivain le loisir de revenir sur cette époque de sa vie.

Lorsqu’il rencontre Thierry de Ganay, Thierry Clech sort d’une expérience de critique aux Cahiers du cinéma. Désappointé et un peu amer face à l’évolution du septième art (« « Non pas que les Cahiers du cinéma m’eussent désenchanté (quoique), mais la fréquentation assidue des salles que requérait l’exercice de la critique me fit prendre conscience que le cinéma et moi commencions à ne plus tout à fait nous reconnaître. Disant cela, je me place dans une situation d’égalité avec lui, et je vois bien ce qu’il y a de présomptueux à procéder de la sorte. Mais si je puis témoigner, à regret, de mon désamour pour le cinéma, je peux symétriquement l’accuser du désintérêt qu’il manifesta à mon égard, son entêtement à s’accointer avec les idéaux majoritaires et le culte des banalités, dédaignant par conséquent les solitaires et la quête du singulier. » ), il croise néanmoins à nouveau son chemin en se voyant proposer un travail de scénariste pour de Ganay.

Le producteur s’est essentiellement fait connaître dans l’univers de la publicité où il a su développer un petit empire, faisant tourner des cinéastes de renom comme Patrice Leconte, Jean-Paul Goude ou Bertrand Blier. Mais l’homme cherche également à élargir son spectre et rêve au cinéma avec un grand C. Son premier film en tant que producteur est Traquée de Ridley Scott (un cinéaste venu, lui aussi, de la pub). Puis il offre à Patrice Leconte de tourner Le Mari de la coiffeuse et produira par la suite deux longs-métrages du cinéaste (Le Parfum d’Yvonne d’après Modiano et Les Grands Ducs) ainsi qu’un court-métrage (Le Batteur de Boléro).

A Thierry Clech, après diverses tâches de réécriture et de retouche de scénarios, il propose d’adapter le roman de Mildred Davis La Chambre du haut. Et c’est là que le récit s’enclenche vraiment, succession de revers, d’espoirs, de rencontres avortées (Molinaro, Nathalie Baye…), de disputes et de réconciliations…

Raconter de cette manière, le lecteur peut craindre une énième autofiction sur les aléas et la précarité au cœur de la grande machine à broyer que semble être le cinéma. Mais Thierry Clech a l’élégance d’éviter le règlement de compte post-mortem ou l’hommage componctueux que l’on doit aux défunts. Il raconte d’abord une histoire profondément humaine, faite de doutes et de joies, de hauts et de bas… Le portrait n’est ni flatteur, ni destructeur : si aucun des défauts de Thierry de Ganay n’est tu, on sent constamment une profonde affection chez le narrateur et une forme d’admiration tempérée par de fréquents éclats.

Mais les reproches que Thierry Clech fait au cinéma (d’avoir perdu une forme d’aura et son flou fantomatique en adoptant l’image froide et réaliste, sans profondeur, du numérique), on aurait pu être tenté de les appliquer à son portrait s’il s’était contenté de cette « justesse » et d’une image photographique vériste, aussi subtile soit-elle. Or Mon producteur est plus que ça. Cette image de Thierry de Ganay, à mesure que le récit s’en approche, semble constamment se dérober. Tout se passe comme si Thierry Clech cherchait moins à saisir la vérité de l’homme que son devenir fantôme. Au-delà d’un aspect que l’on pourrait penser anecdotique, l’auteur nous livre une émouvante méditation sur le temps qui file et la difficulté à fixer des images en perpétuel mouvement. En ce sens, ce livre s’inscrit dans la droite lignée des très beaux romans de Thierry Clech (Sur ses traces, Alone in Tokyo…) et parvient, par un jeu très habile de correspondances, de coïncidences, de boucles à se nimber d’une forme d’onirisme. Comme si l’art du portrait gagnait en profondeur, en rêverie mélancolique et en une tentative, forcément vouée à l’échec, d’invoquer les fantômes.

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Mon producteur (2015) de Thierry Clech

Éditions  L’Incertain, 2025

ISBN : 978-2-4881-1003-7

193 pages – 18€

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A propos de Vincent ROUSSEL

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