Saul Geôlier porte bien son nom puisqu’il est gardien de prison dans une sorte de no man’s land noyé dans la brume et la pluie. Loyal, résigné aux tâches monotones, il officie au rez-de-chaussée, où il surveille des individus emprisonnés pour de courtes peines, condamnés pour de petits délits. Un beau jour, un détenu à perpétuité parvient à s’échapper de son étage réservé (le « Paradis ») et Saul le retrouve en train de violer un autre prisonnier sous les douches. Le sang du gardien ne fait qu’un tour et il tue le criminel. Craignant des représailles (licenciement ? placement sous les verrous?), il est convoqué par son directeur qui lui offre une promotion : il officiera au « Paradis » et surveillera les criminels les plus dangereux…
La force du roman de Florian Quittard, c’est de parvenir à instaurer en quelques pages une atmosphère à la fois oppressante et cohérente. Son héros est un personnage taiseux, solitaire qui vivote sans réels plaisirs mais en s’acquittant de manière consciencieuse de son travail. L’univers décrit est à la fois réaliste, bien que tous nos repères sont sapés puisque le récit prend corps dans un lieu et une époque qui ne sont pas définis. Comme dans tout bon roman fantastique qui se respecte, le glissement vers le surnaturel a lieu par petites touches. Saul découvre d’abord qu’il a une sorte de pouvoir de s’immiscer dans les âmes des détenus et qu’il peut leur faire avouer la vérité. Par ailleurs, un prisonnier disparaît de sa cellule, sans que personne ne puisse l’expliquer. S’agit-il d’une évasion, a priori impossible ? D’un enlèvement ?
Quittard se plaît à déjouer nos attentes. Lorsque son personnage est muté, on peut d’abord penser que le roman va nouer des intrigues au sein de cette unité spéciale de la prison (ce fameux « Paradis ») mais très vite, Saul découvre une brèche et se trouve embarqué dans une aventure loin du cabanon où il loge et du centre de détention.
La dimension fantastique du livre prend alors toute son ampleur et l’auteur renoue (soulignons-le tout en nous gardant d’en dévoiler trop) avec la tradition du savant fou et mégalomane dans la lignée de L’Île du docteur Moreau de Wells. Là encore, c’est l’atmosphère décrite qui séduit en premier lieu : île baignée dans le brouillard, habitants patibulaires qui voient l’arrivée de Saul d’un mauvais œil, nouvelles tâches de fossoyeur imposées à notre geôlier… Sans parler des mystérieux dispositifs techniques qui révéleront de bien étranges secrets…
Le fantastique qui advient dans ce roman est toujours fortement amarré à la « réalité », même si cette réalité s’avère totalement imaginaire. Florian Quittard, par la grâce d’une écriture d’une neutralité assez glaciale (les dialogues sont assez rares), parvient à faire exister cet univers qu’il a construit et à nous faire partager les états d’âme de son maton. Cet univers frappe à la fois par son côté archaïque (d’aucuns ont évoqué Jean Ray et c’est assez juste) et très moderne (la question du transhumanisme est traitée de manière originale). Il est surtout très bien rendu par une écriture qui privilégie la dimension visuelle à la dimension psychologique et qui parvient néanmoins à scruter les recoins de l’âme humaine (les questions de la vengeance et de la rédemption).
Le Geôlier s’avère être le premier roman (Florian Quittard avait auparavant signé une bande dessinée et un recueil de nouvelles) d’une voix singulière et prometteuse du fantastique à la française.
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Le Geôlier (2025) de Florian Quittard
Rouge profond, 2025
Collection : Les mots noirs
ISBN : 979-10-97309-74-9
222 pages – 18 €
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