Anne Linsel, Rainer Hoffmann – Les Rêves Dansants (archives)

Double actualité côté salles/salons obscurs pour Pina Bausch avec d’une part la sortie en salles du film (en 3D s’il vous plait) de Wim Wenders qui lui est consacré et l’édition DVD du film Les Rêves Dansants sorti en salles l’année dernière. Le projet ici filmé consistait à créer une nouvelle adaptation du spectacle de Pina Bausch Kontakthof avec des adolescents allemands (entre 14 et 18 ans) recrutés dans les Gymnasium locaux et le plus souvent totalement profanes à l’art de la danse en général et au travail de la grande dame en particulier. Le film raconte les répétitions hebdomadaires au fil de l’année scolaire jusqu’aux représentations finales, un travail de longue haleine avec ses rendez-vous habituels (la sélection au gré des avancées dans le travail, les focus sur différents characters, les doutes, les rires, les joies, les peines etc.) et ses cerbères (deux danseuses et collaboratrices de longue date de Bausch qui dirigent les séances) avec en guise de fil rouge les apparitions rares mais concentrées et appliquées de Pina Bausch. Bien plus que le titre un peu faisandé de Rêves Dansants celui du spectacle original rend compte du travail ici présenté. Kontakthof, littéralement la cour du contact, en fait lieu de rencontre. Cette agora du toucher prend deux directions dans le film :

Le contact avec l’autre tout d’abord, contact souvent délicat à l’âge de l’adolescence et dont les enjeux prennent ici une tournure radicale. Il s’agit en effet de se laisser toucher par l’autre, il s’agit aussi d’exprimer des sentiments souvent terrés dans la pudeur (le désir en premier lieu). L’adolescence, cet âge des impossibles, passe au révélateur de l’autre et qui-plus-est sous l’œil de la caméra, saisissant moment. Mais le contact avec soi aussi et surtout. Prendre possession de son corps, le mouvoir dans l’espace, y trouver sa place, y exacerber diverses teintes du comportement sous le prisme d’un spot de lumière et de deux regards complices mais impitoyables (attachantes Joséphine « Jo » Ann Endicott et Bénédicte Billet).
Ce film est peut-être simplement ceci, le récit documenté d’un éveil corporel, d’une émancipation interne, du troc de semelles de plomb en faveur de semelles de plume à la faveur de quelques mouvements chorégraphiés, répétés, assimilés toute une année scolaire avant les représentations finales. C’est un peu l’histoire d’une pudeur qui se lève peu à peu comme une brume matinale. Cette adaptation avec des adolescents s’ajoute à celle passée mettant en scène des retraités, eux-aussi profanes. Voilà une idée forte qui dépasse certes ce « simple » film, cette idée de faire partager un même travail par différentes troupes hétérogènes, chacun exprimant tant sa singularité qu’un universel, ce même segment prenant diverses formes selon qu’il soit joué/dansé par des adolescents mal dégrossis au bonnet de laine et au pantalon baggy ou par des retraités mal dégrossis au bas de laine et au pantalon tergal ; une sorte d’effet Koulechov appliqué à la danse contemporaine.

Revenant à ce portrait d’adolescents, quelques portraits émergent du nombre : ce bosniaque répondant au joli nom de Safet tout heureux de s’ouvrir à la danse contemporaine entre deux matches de basket sur le playground, cette jeune première tourmentée du nom de Joy, ce gaillard aux cheveux oxygénés so deutsch sur qui tout semble glisser naturellement, autant de personnalités fil rouge qui irriguent de leur singularité ce nœud collectif.

Un mot enfin sur Pina Bausch disparue quelques mois seulement après la première du spectacle. Chacune des apparitions de cette frêle silhouette discrète mais pugnace, chacun de ses regards espiègle mais sévère nous touche, on devine son émotion aussi à voir communier professionnelles et jeunes élèves autour d’une de ses créations. Voilà en tous les cas un film à découvrir, on recommande également les interviews disponibles en bonus, deux de Pina Bausch antérieures au projet proprement dit et remontant le fil de sa carrière et de sa personne et une de son assistante Jo, la meneuse de troupe de ces Rêves Dansants qui revient avec beaucoup d’émotion sur sa collaboration avec Pina Bausch.

 

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