En plein cœur d’un été déjà passablement étrange, quelle pulsion masochiste pousserait à aller voir un obscur film lituanien en version originale, qui plus est, tourné dans un format 16 mm tout droit issu d’un passé révolu ? Cela sonne comme une blague télévisuelle des années 90, et pourtant quel plaisir de se laisser happer par un film comme Slow.
Si la proposition de la réalisatrice Marija Kavtaradze semble radicale au premier abord, ce long-métrage se révèle d’une richesse insoupçonnée quant à son contenu et son traitement. A travers sa mise en scène, le jeu de ses superbes interprètes, ou encore de par son sujet, Slow se révèle détenteur d’une part de vérité touchante.
Lorsque Elena, interprétée par la formidable Greta Grinevičiūtė, débordante de sensualité, incarnée, dont le corps serait tout à la fois un outil d’expression et de travail (la danse contemporaine), rencontre Dovydas, magnifique Kęstutis Cicėnas, lui aussi dans la transmission corporelle, puisqu’il est interprète en langue des signes, leur histoire d’amour s’annonce évidente. Pourtant, un défi se pose très vite pour le couple naissant, celui de l’asexualité de Dovydas.
Dès lors, le film ausculte en détails les questions contemporaines sur le couple. Entre le modèle de couple hétéro-normé traditionnel ou l’injonction moderne à l’ouverture, entre vœu de chasteté (chemin suivi par l’amie d’Elena, rentrée dans les ordres) ou virilité exacerbée, tout est scruté par l’œil de Kavtaradze. Ce qu’observe la réalisatrice à travers les émouvantes errances de ce couple – dont on voudrait croire qu’il pourrait se réaliser – ce sont les tourments d’un questionnement central : peut-on aimer sans désir charnel ?
Sans nul doute, la pellicule confère à l’image une texture bien particulière, donnant au film une dimension littéraire, comme une métaphore d’une peau dont on voudrait éprouver le grain, l’odeur, le goût. A cela, la réalisatrice oppose l’image de Dovydas réinterprétant le sentiment amoureux exprimé dans des chansons. Face caméra, il traduit celles-ci pour la télévision, devant un fond bleu, synonyme d’artifice, dans une chorégraphie expressive, image d’une sensibilité informelle.
Au travers de ces deux personnages à l’amour pur, sont décortiquées dans un geste débarrassé de moralité des mécanismes émotionnels complexes, ou parfois archaïques (avec par exemple la démonstration d’une virilité par Dovydas lorsque celui-ci est confronté à la jalousie). Ainsi, les trajectoires de chacun, entre danse libératoire et dialogue sans issu, culpabilité et réactions émotionnelles, sont montrées avec une grande justesse et beaucoup de finesse.
Sans jugement ni idéalisme, Slow s’avère être une jolie parenthèse, comme un îlot de tendresse touchant, apte à procurer une aventure sensuelle et réflective singulière, à l’opposé de la vacuité des évasions hollywoodiennes formatées qui tapissent les écrans des multiplexes sans âme.
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