« Depuis 2009, des villes entières se sont mobilisées pour aller crier sous les fenêtres des chômeurs roms : « Gitans au travail » ou « Gazons-les » ou encore « Rentrez chez vous en Inde ». Je trouvais qu’il n’était plus tolérable que les intellectuels et artistes tchèques se taisent. Au sortir de mon séjour de pensionnaire de la Villa Médicis, j’ai décidé d’interrompre pour un moment mes projets liés au 18ème siècle et d’aller témoigner d’un présent qui commençait à m’être insupportable »

Petr Vaclav attaque fort son nouveau film, le premier depuis 2001 et Les mondes parallèles. Il propose en miroir aux sociétés tchèques et françaises, marquées par un même mouvement de rejet, mais des politiques publiques différentes, un récit vu de l’intérieur. Un joli portrait de femme. Une belle personne cette Zaneta, jeune mère de famille déterminée et revêche. Une résistante. Au début du métrage, le « être Rom » vient pourtant loin derrière le «être chômeur » ou le « être en grande difficulté ». Car il s’agit de les rendre visibles, en matérialisant l’exclusion bien spécifique qu’ils subissent en Tchéquie. Le processus d’identification commence donc en aval de la question ethnique ou culturelle. Un constat compréhensible par tous. Leurs soucis sont juste les mêmes que ceux du prolétaire tchèque ou français, en pire… La ghettoïsation créée par la sédentarisation forcée sous le communisme à partir de 1958, se mue aujourd’hui, à l’heure des difficultés économiques, en exclusion généralisée. Mais les campagnes médiatiques ont relayé une parole raciste, apparue dans l’euphorie générale de la liberté d’expression retrouvée, après une Révolution de 1990 qui s’est diluée dans le marasme que l’on sait.

Une fois l’empathie créée, Vaclav nous assène la bêtise véhiculée par les infos sous la forme d’un reportage d’un réalisme si cru, qu’il est impossible de discerner la reconstitution de l’archive. Une région en détresse où la télévision s’avère plus critique que la masse elle-même, manipulée comme un seul homme à l’échelle d’une ville entière et mue par un slogan unique,  pour aller agresser cette frange très minoritaire de la population. Le regard dépité de sa jeune sœur et la lecture critique de Zaneta, s’esclaffant du courage d’une mère éméchée, qui seule ose affronter la populace, font écho à notre malaise. Certes, depuis des années déjà, des documentaires ou reportages, de plus ou moins bonne qualité (Japigia Gaji en Italie, Roms la mémoire retrouvée en France), le plus souvent tournés dans l’urgence pour alerter Bruxelles, avec leurs moyens respectifs mais aussi une absence de recul, ont fixé les archétypes de ces exclus de l’Europe. Zaneta apporte de la nuance à ces nouvelles figures de la pauvreté. La violence des pogroms hongrois ou ce fascisme insupportable de la rue de la Tchéquie du Nord, résonnent comme un avertissement dans notre pays où se multiplient les incendies criminels et les réactions hostiles de la part d’une majorité de moins en moins silencieuse. La faute à la couverture médiatique édifiante apportée à des micro-mouvements de contestation politique locaux qui se cachent derrière l’alibi rom, comme dans le Nord-Pas de Calais (  un exemple : Wéo tv, appartenant au groupe la Voix et au Conseil Régional…). Si en France, on ne sait plus où haïr de la tête, la Tchéquie n’a qu’un seul et éternel bouc émissaire, bien que fuse dans une scène un antisémitisme fortement enraciné ou que les chômeurs y subissent une forte pression.

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Après deux mois d’écriture, puis sept mois de casting, 27 000 kilomètres et des milliers de rencontres pour irriguer le projet, l’équipe a tourné en plein hiver avec un micro budget et en immersion dans cette Tchéquie du Nord. Le film a le mérite premier de faire état de la situation d’un grand nombre de personnes. « Il s’agit en effet des réalités, banales en somme, que j’ai observées et que j’ai voulu montrer dans le film. Le quotidien est souvent bien plus accablant que l’histoire que je raconte ». Sa grande force, son casting de non-professionnels. En tête, la formidable Klaudia Dudova dont le visage et les sourires illuminent d’emblée la grisaille post industrielle. Elle a cette flamme qui brûle encore en haut des cheminées, transmise par une mère décédée dans sa prime jeunesse, ensorcelée, et qui lui apparaît dans un début onirique et sobre, à la lisière du fantastique. Brisant la fixité et la magnificence monstrueuse du paysage, le film social dissipe le charme mortifère pour avancer aux côtés de son héroïne, sans afféteries. La mise en scène héritée du documentaire croque des saynètes de la vie comme elle ( ne ) va ( pas du tout). Le mari, David, possède lui cette résignation tranquille, qui permet au moins de résister aux coups et aux salauds.

Dans l’ensemble, Petr Vaclav ne caricature pas trop, bien que cherchant une forme d’exemplarité, mais il n’évite pas quelques longueurs, de par sa durée et la présence de quelques personnages secondaires pas indispensables. Il n’est pas vraiment utile de suivre l’agitateur professionnel, Vit Sakes, l’homme qui organise les manifestations pour les élus locaux, dans sa baraque de néo-riche pourri et ses pratiques sexuelles extrêmes, tant il apparaît aussi fictionnel que peu consistant. Il constitue en revanche le plus fort des antagonistes au sein d’une nébuleuse masculine peu flatteuse, qui rehausse – par défaut – l’image de l’homme tzigane privé de sa fierté. Vaclav hésite entre dramatisation ( opposer le parcours de la prostituée, confrontée à l’ignominie donc au désir de vengeance, à celui de son héroïne qui se débat elle, pour ne pas sombrer ) et implication dans le réel, à l’image des sublimes fictions documentées du collectif de Newcastle, Amber. Il manque sans doute de caractérisation à l’égard des personnages extérieurs à cette « communauté » qui en réalité n’existe plus qu’aux yeux de leurs détracteurs ou dans quelques problématiques récurrentes. La scène de l’agression, qui survient à la dérobée, reste par trop abstraite, faute d’avoir planté plus que des silhouettes, comme si l’exil français prolongé du cinéaste avait hypothéqué son indulgence quant aux dérives de ses concitoyens. Pourtant, le mépris des institutions, à travers le racisme larvé de leurs petits fonctionnaires, est un décalque de la morgue de nos rouages si français. Le cadre délabré des cités traversées rappelle autant certaines friches industrielles du Gard et leurs immeubles à l’abandon que le trou à rats de Gomorra. Seule manque à l’appel cette «mafia des dortoirs » ( remplacée ici par un concierge mesquin et fort en gueule ) qui maintient une chape de plomb au sein même de la population rom.

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Malgré tout, comme ses proches, Zaneta s’accroche, ravale sa colère et tente d’avancer sur ce chemin chaotique, mais avec un panache qui est le privilège de la véritable beauté. Vaclav n’enjolive pas les travers culturels, comme la situation des femmes, encore trop souvent soumises à un système patriarcal, alors que paradoxalement les hommes apparaissent ici plus fatalistes et infantiles. En particulier dans cet unique moment de comédie, impromptu, où un trio de frères dépareillés envisage un casse disproportionné… Mais le beau personnage du père vient démentir cette image, avec sa chaleur, sa bonté et sa dignité, sans édulcorer la douleur de son inadéquation à ce système bancal et les stigmates de ces familles que le régime communiste a déplacées de Slovaquie au cours des dernières décennies, après l’extermination des roms tchèques dans les camps d’Auschwitz ou Dachau. Dommage que certaines scènes n’aient pas le temps de s’installer plus longtemps ( la veillée chez le père ), d’autant que Vaclav rajoute « En terme éthique, j’ai essayé d’être fidèle à la réalité. Dans les dialogues et dans les attitudes. Dans les costumes et les décors ». Mais le rythme doit toujours conserver cette instabilité qui est aujourd’hui le lot de tous ces « noirs », à la merci des créanciers et des services sociaux.

Heureusement, les roms d’Europe gardent encore un peu de cette capacité à bouger vers des cieux incertains et peu accueillants ( ici contraints à une Allemagne enneigée et anonyme ) mais qui sont un appel d’air face à cette misère où marinent tous les nouveaux pauvres européens, la classe moyenne et ses terreurs, conjointement abrutis par les médias, les réseaux sociaux et les élites apathiques. « « Si seulement les gitans n’existaient pas ». Derrière ce vœu se cache le désir de génocide, inavouable pour le moment. » relativise l’auteur. Du haut de son personnage emblématique, Zaneta reprend en chœur ce cri qui monte des cités tchèques : « Opra Roms ! / Roms debout ! ».

 

Pour un reportage sur les manifestations à Ostrava (Nord Est), un lien http://lahorde.samizdat.net/2013/11/16/tchequie-no-han-pasado/

Sur le traitement des informations « à charge » contre les roms, l’analyse de la journaliste Saša Uhlová http://www.czech.cz/fr/Vida-Trabajo/Sasa-Uhlova-des-origines-du-sentiment-anti-Rom-a

Les propos de Petr Vaclav sont tirés du dossier de presse du film.

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A propos de Pierre Audebert

1 comment

  1. dupré christine

    bonjour, je suis christine dupré, corres de radio france à prague jusqu’en septembre dernier.J’écris actuellement un livre sur les Tchèques et aimerais rencontrer Petr Vaclav.Avez vous un contact pour lui à PARIS, merci de votre réponse ch dupré 0613 769 703/ email madachcz@hotmail.com

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