Il est beaucoup question de douleur dans la grande traversée biopic de Petr Vaclav, qui conte la vie de Josef Mysliveček, grand compositeur précaire du XVIIIe siècle, né à Prague en 1737 et mort à l’âge de 43 ans, acclamé par l’Italie et l’Europe puis jeté aux oubliettes de l’Histoire ou presque. C’est à un voyage délié que nous convie le cinéaste jonglant avec les lieux, nous trimbalant comme son héros principal de commandes en commandes du nord au sud, de la jeunesse à une déchéance syphilitique qui lui arrachera la quasi entièreté du visage.

Film d’une ambition grandiose, aussi bien dans la précision de sa reconstitution musicale que de celle d’une époque, on se laisse emporter étrangement malgré une crainte initiale par le souffle discret de sa mise en scène, savourant la qualité de l’œuvre de Mysliveček (certaines pièces furent enregistrées pour l’occasion), se délectant de ses amours passagères ou durables avec des femmes fortes, qu’il consomma ou consuma, Dom Juan porté au gré de son cœur et de son pénis, on s’infiltre dans les arcanes des théâtres et opéras à la lueur d’une bougie, goutant les miettes jetées par les nobles depuis les balcons, ricanant à la séquence improbable du roi chiant dans un pot face au compositeur. On se laisse emporter, par cette faussement calme reconstitution où tout semble suinter la mort déjà présente et le froid sous le feu.

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On ne peut bien sûr que penser à l’intouchable Amadeus de Forman, bien plus grandiose, bien plus baroque, bien plus fou mais, c’est tout à l’honneur d’Il Boemo que de développer cette beauté plus maladive, moins séduisante, moins volubile plus ouvertement funèbre et taciturne, comme si loin de miser sur une messe des morts finale, tout le film se lisait comme un long requiem. Milos serait-il a Petr ce que Wolfgang est à Josef ? Cette présence de Forman, Vaclav ne l’élude pas, lorsqu’il organise son point d’orgue de tout le film lors d’une simple veillée aux chandelles où Mysliveček, au cœur de sa gloire, se fait présenter un jeune blondinet au piano.

La pop culture s’active : il s’agit bien de Mozart, qui admire Mysliveček. Mais quand il lui demande de jouer l’introduction d’une de ses œuvres, le maestro, croyant impressionner le gamin, s’exécute. En se levant, il se fige : le jeune prodige reprend entièrement de tête sa méthode et l’améliore, l’affine, lui ajoute afféteries et harmoniques divines.

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Entre ici Llewyn Davis (du nom de ce personnage des Coen qui lutte pour réussir sur la scène folk new yorkaise avant, au moment possible de gloire, de croiser un débutant du nom de Bob Dylan) du siècle des Lumières. La messe est dite : dans ce beau film de vanité, Myslivecek rejoindra l’ombre et les poussières.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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