Titus Andronicus – The Monitor (archives)

(article préalablement publié en janvier 2011)

Envie d’un album de rock burné voire primaire mais non dénué d’ambition ? Marre des chichoteries cuites à l’eau tiède et du sempiternel poisson au court-bouillon/salsifis vapeur concocté par les cuistots en baskets de toile et barbe de 3 jours avec leur boite à rythme rachitique et leur guitare acoustique dédicacée par un roadie de Devendra Banhart ?

Si oui alors Titus Andronicus est fait pour vous. Le nom déjà, celui d’une pièce de Shakespeare, pas mal pour des punks hébétés. De la gueule quoi. Le cadre ensuite, eux qui empruntent un document historique de première bourre pour en faire leur intro, l’un des premiers documents audio jamais enregistré, la voix d’Abraham Lincoln prise sur le vif un beau jour de 1838 s’il vous plait. Joli document qui se termine par ses mots dantesques.

« We will live forever 
Or die by suicide »

Le cadre toujours. Les guitares s’emballent, la batterie suit le tempo en force et le chanteur s’égosille en surplomb, un départ en fanfare et une pièce pétaradante de choix pour réveiller quelques esprits endoloris par le froid et quelques musiques bien trop molles pour provoquer autre chose qu’avachissement plus ou moins joyeux.

On peut voir les Titus Andronicus comme la queue de la comète punk, lorsque le son et l’énergie punks se diffusent ça et là avec d’autres sonorités au gré des turpitudes atmosphériques. Ainsi des motifs  propres au Boss Springsteen viennent colorer quelques parcelles de l’ensemble, faisant se rapprocher l’ensemble du Social Distorsion dernière époque. Tout sauf un hasard puisque Bruce Springsteen collabora avec Mike Ness, l’âme des Social Distorsion, sur quelques morceaux et albums.

Rock épique à tendance punk ou bien Punk Rock à tendance épique qu’importe finalement, voilà en tous les cas pour le théâtre des opérations. Ajoutons que nous avons là un son typiquement américain, sentant ce territoire et son histoire de tous ses pores, d’autant plus vrai que l’album est en fait un concept-album rendant compte de la période liée à la guerre civile américaine du XIXe siècle. De même, si les Clash sont une influence évidente (dans les guitares et dans la voix) ils sont passés ici à la moulinette américaine, celle qui parle et traite de grands espaces, cette absence de complexes aussi quand il s’agit d’aborder une musique et ses codes (tout comme l’Histoire et ses références écrasantes), cette envie de foncer tête la première et advienne que pourra.

Qui dit concept-album dit le plus souvent compositions de longue durée. C’est le cas ici avec 8 titres sur un total de 10 qui dépassent les 5 minutes dont un titre culminant à 14. Une hérésie pour un groupe standard de punk rock et le signe que nous sommes ici en présence d’un groupe à part. Qui dit concept-album dit aussi compositions à tiroir avec couches et sous-couches musicales s’articulant tant bien que mal (ce qui sépare les bons disques des grands disques sans même parler des mauvais). C’est le cas également sur ce The Monitor où nos fougueux américains se lancent à leur tour dans la compo à tiroirs en glissant un pétard allumé dans chacun d’eux.

L’album fait grand bruit, on l’a dit. Les riffs sont bien punk (le concis, deux minutes, « Titus Andronicus Forever » et sa mantra répétée ad lib « The enemy is everywhere » comme le premier hymne punk venu), la voix (proche par moment d’un Shane McGowan des Pogues, pas tant dans le timbre que dans le style) vaut ce qu’elle vaut mais n’en mène pas moins le bal, bien en avant, bien arrogante, bien comme il faut quand il s’agit de crier dans le micro. On trouve néanmoins au fil des titres quelques éléments de respiration et/ou d’ouverture : Une power-ballade par exemple, du piano ici ou là et rarement utilisé comme simple gimmick mais bien plus comme charpente mélodique, un saxophone également, une cornemuse aussi, des voix féminines enfin. Autant d’éléments qui enrichissent le propos sans l’aseptiser.

Fait presque paradoxal alors qu’on parle ici d’un concept-album, de titres alambiqués et d’arrangements variés, la musique de Titus Andronicus apparaît toujours comme bancale, incertaine, presque maladroite. Les guitares par exemple font bien bien de ravage quand il s’agit d’appuyer sur la pédale d’effets que dans la mélodie pure, comme si elles se voulaient doucereuses mais n’avaient pas les moyens de cette ambition, un peu comme la Créature de Frankenstein faisant copain-copain avec une jeune demoiselle au bord d’un lac et finissant par la noyer accidentellement. Plouf.

Il manque cependant pas mal de choses au groupe pour soulever un enthousiasme de tous les diables et porter ainsi leur message au nombre. Une voix plus fluide, des mélodies plus fortes, un titre emblématique peut-être, eux qui coulent d’un seul et même tonneau. Certes « A perfect union » ouvre avec fracas l’album et s’avère être le titre fort du disque mais une autre chanson forte à sa suite voire plusieurs n’aurait pas été de trop, cela aurait bonifié celles d’à-côté, comme Néné le fait au PSG par exemple ou mieux encore, comme Néné l’aurait fait s’il avait été recruté par le Wimbledon de la grande époque, celle de Vinnie Jones.

Les Titus Andronicus ne manquent en effet ni d’ambition ni de volonté, juste peut-être d’un petit supplément de talent, celui qui sépare les très bons groupes des grands. On pense à cette ligne de Neil Young, tirée de « Rockin’ in a free world »

“There’s one more kid
that will never go to school
Never get to fall in love,
never get to be cool”

Ce gars, ces petits gars, ils font avec leurs armes, avec leurs moyens, tête en avant, grand bien leur fasse.

Si la musique de Titus Andronicus force bien plus l’adhésion qu’elle ne s’impose d’elle-même de par sa singulière beauté ce n’est au fond pas bien grave. Voilà un salvateur coup de clairon dans les oreilles et un petit rappel de barème pour qui aurait oublier combien le rock est grand et que le punk est son prophète.

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