Depuis son premier long-métrage (Nuage en 2007), Sébastien Betbeder occupe une place singulière dans le cinéma français. Il tourne régulièrement avec de petits budgets qui lui garantissent une grande liberté de ton et pratique différents formats et genres : créations radiophoniques pour France Culture ; court métrages, longs métrages et collaborations avec Arte 5quatre émissions Blow up dont une autour d’Eric Cantona et un hommage à Jacques Rivette).
Son neuvième long-métrage L’Incroyable Femme des neiges confirme son ton unique, entre rire et mélancolie et son appétence pour des contrées mystérieuses, aussi bien psychiques que géographiques, comme celles du Groenland. La région glacée constituait déjà une trilogie avec les deux courts-métrages Inupiluk (prix Jean Vigo) et Le film que nous tournerons au Groenland puis du Voyage au Groenland ; Dans ce long métrage présenté à Cannes en 2016, Betbeder brouillait les pistes entre réalité et fiction puisque les deux épatants Thomas (Blanchard et Scimeca) semblaient interpréter leurs avatars de fiction, deux comédiens s’embarquant pour Kullorsuaq.
Le réalisateur avait effectué une autre subtile confusion des genres avec l’étonnant Tout fout le camp où un journaliste du Courrier picard (à nouveau, Thomas Scimeca, interprète émérite de la troupe de théâtre culte Les Chiens de Navarre) était chargé d’interviewer un musicien anciennement candidat aux municipales Nico dit Usé. Or, le musicien underground s’est vraiment présenté aux élections municipales d’Amiens sous le nom du Parti Sans Cible (sic !) et avait obtenu 2,17% des voix.
copyright-Envie-de-Tempete-Productions
Blanche Gardin infuse le film de sa personnalité si singulière, incarnant tout comme dans Tout le Monde aime Jeanne ( de Céline Devaux) un personnage de dépressive fédératrice, comme si ses apparitions sur grand écran constituaient une série d’autobiographies fantaisie.
Nous ne parlerons pas de confusion réalité/fiction mais de fusion entre l’univers doux-amer du cinéaste et celui grinçant et intrépide de l’actrice, unique dans sa façon de s’attaquer avec une décontraction au scalpel à à peu près tous les dysfonctionnements de notre société.
Gardin donne corps à Coline, exploratrice ‘bi polaire qui aime tant le centre polaire’ de retour dans son Jura natal, après s’est faite virée et plaquée par son compagnon de longue date. Elle souhaite renouer avec ses deux frères qu’elle n’a pas vus depuis des années. Comment passer de pôles si contraires sans perdre sa boussole ?
L’incroyable femme des neiges surprend et émeut par son mélange de scènes hilarantes : Coline harcelant un ex jusqu’à s’incruster dans sa classe de maternelle ou à son domicile … et de moments profondèment touchants où le cinéaste réunit la fratrie atypique autour de sujets tabous comme la mort ou la mystique des inuits.
La famille imaginée par Beitbeder fait mouche et nous touche. Le fantasque Philippe Katherine est un frère de fiction évident pour Coline et le taiseux Lolo ( Bastien Bouillon, un habitué du cinéma de Beitbdeder, ici métamorphosé) est un anti-héros attachant.
copyright Envie-de-Tempete-Productions
L’incroyable femme des neiges est un manifeste pour ceux qui refusent de rentrer dans le rang, qui ruent dans les brancards en posant des questions pas toujours aimables, touchant là où le bât blesse. Coline est dans une forme de croisade, de quête de sens. L’absence d’écho du monde environnant la plonge dans une dépression aussi glaciale que l’étendue infinie du Groenland. Beitbeder nous propose une héroïne kamikaze emballante : Coline Morel n’hésite pas à se cogner aux parois trop lisses de la réalité, quitte à se manger le mur, mais elle réussit surtout à en briser les cloisons.
Voila ce qu’en dit Blanche Gardin -dans le dossier de presse` :
Ce que le film raconte, résonne terriblement avec cet équilibre très précaire dans lequel nous avons le sentiment d’être coincé. Une situation qui se révèle très inconfortable car s’accrocher à ce qu’on a toujours connu semble suicidaire, mais nous savons au fond de nous que quelque chose de notre culture occidentale individualiste, coloniale, patriarcale et capitaliste doit mourir si nous voulons un jour retrouver un sentiment d’appartenance à l’humanité. Notre culture a créé des individus en exil de leur propre espèce ; c’est aussi ce que traduit Coline dans sa quête et sa difficulté à coller aux attentes.
copyright Envie-de-Tempete-Productions
En ce sens, le cinéma de Sébastien Beitbeder est salutaire, nous confrontant avec une douce insolence à des empêcheurs de tourner en rond, qui ne tournent peut-être pas toujours rond, mais qui sont en mouvement constant et en évolution. Coline est parfois sombre mais refuse de renoncer. Ainsi, L’incroyable des femmes des neiges est parfois désenchanté, mais toujours enchanteur.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).