Immersion dans le programme le plus mélancolique de la section des courts métrages lors du 30è Étrange Festival (propositions de résistances contre l’oubli), avec plusieurs coups de cœur parmi cette magnifique sélection aux gestes esthétiques des plus stylisés et expérimentaux pour le ravissement et l’émerveillement de nos pupilles.
Programme n°4 Until the end : vendredi 6 septembre à 19h45 & mercredi 11 septembre à 19h15
Hymn of the Plague (Гимн Чуме) de Ataka51
En écho aux diverses horreurs contemporaines, ce faux plan séquence déambulant dans l’enceinte d’un studio d’enregistrement convoque les calamités ayant inspiré
Alexandre Pouchkine Александр Пушкин et
César Cui Цезарь Кюи pour leur
Festin en temps de peste Пир во время чумы respectif (écrit en 1830 par l’un et mis en opéra en 1901 par l’autre), en l’occurrence une
épidémie de choléra ayant sévi en Russie en 1831. Composé en vers, le récit originel fut transposé en 1665 lors de la grande peste de Londres, où l’on y retrouvait un groupe d’amis n’ayant plus cœur à festoyer suite à l’intervention d’un prêtre les implorant :
Je vous conjure par le sang sacré
Du Rédempteur crucifié pour nous :
Interrompez votre banquet hideux,
Si vous voulez retrouver, dans le ciel,
Les âmes de vos proches trépassés,
Et retournez à vos logis !
Cette ambiance de fin du monde imprègne aussi ce film entre deux coupures d’électricité, en invitant ici, par la parole le surnaturel, des géants, spectres, rumeurs.., tandis que le fantastique supplée au sordide du réel avec des phénomènes étranges, transformations et disparitions d’un à un des occupant·e·s du studio. Le verbe suffirait-il à faire s’évanouir les gens, ou bien l’inquiétude, la croyance ? Et pourtant, tout du long de cette errance entre les différentes salles, persiste la voix entêtante de Leonid Fedorov
Леонид Фёдоров chantant ce Festin accompagné de sa guitare et des ensembles
Opus-Posth & Sirin
Сирин s’évaporant dans un même mouvement. Toutes les interprétations sont libres de cet essai filmique, face à ce qui se passe à quelques milliers de km de nous (arrestations, enlèvements, évanouissements et volatilisations criminelles….), le collectif
Ataka51 bien qu’exilé ne capitule pas en continuant de se produire dans différentes disciplines, il lutte contre l’effacement de sa culture, concitoyens, proches et ses membres. À nous également de les faire perdurer dans notre mémoire contre la répression en les écoutant et regardant à chacune de leurs apparitions, fussent-elles des plus éphémères…
***
Vitanuova de Niles Atallah
Comme une bouteille lancée dans l’océan de l’espace flotte un message d’espoir en celluloïd, trace persistante et résiliente d’une civilisation engloutie, avec des chutes et morceaux de pellicule trouvés dans les eaux intergalactiques bercées par le mélancolique
Biólagið d’
amiina. Sa matérialité composite en textures et temporalités est une synthèse éthérée et onirique de ce qui a pétri les technologies de cette espèce de la glaise à l’IA, faisant donc miroir à notre propre humanité. Avec l’aide du
Laboratorio Fotoquímico EQZE, pour un rendu sur 16mm, l’historiographie de ce que le cinéma peut offrir depuis son origine est mobilisé autour de cet objet visuel : de la stop motion la plus primitive à l’utilisation d’un algorithme basé sur les
NeRFs (Neural Radiance Fields ou champs de rayonnement neuronal), technique basée sur le deep-learning et l’IA permettant alors de créer une scène en 3D à partir d’images 2D, se suppléant à l’effet désormais classique de la rotoscopie, de telle manière que l’IA comble certaines lacunes lors des prises de vue réelle, capturant ainsi de manière dense et exhaustive la façon dont la lumière rayonne à partir d’un objet. Le résultat sur grand écran est spectaculaire nimbant la poupée-sujet du film d’un halo spectral et iridescent. À l’origine de ce projet pan-latino-américain fut une commande par le
FICUNAM de México et il permit de coordonner plusieurs équipes d’étudiant·e·s en cinéma de Donostia/San Sebastián, Barcelone et Santiago de Chile autour d’
Atallah, dont la poursuite dans son travail est une quête incessante de la résurgence du souvenir et de la mémoire, prenant les formes de toutes ces réminiscences par ses thèmes et la diversité des techniques et écritures en courts et longs métrages. Face au cruel présent,
Atallah cite avec fort à propos le
Soul in Exile: Lives of a Palestinian Revolutionary du poète
Fawaz Turki «
Seuls ceux qui sont définis comme l’empreinte d’une ombre émergent de la nuit avec un rêve » tel un chuchotement plein d’espérance à aspirer à une vie nouvelle insufflée à cette poupée pour qu’elle s’anime de nouveau.
The Other Way Around de Anna Vasof
Nous avions déjà évoqué les expérimentations ludiques de Vasof, avec ici ce nouveau corpus de jeux visuels telle une bouffée d’air frais absurde et drolatique, comme l’indique son titre, nous repartons pour un tour détournant le sens et l’usage premier des objets et situations. Ce que vous regardez est trompeur, la première séquence introduit ce programme réjouissant et extravagant pendant lequel votre cerveau résiste encore un peu, puis prend le rythme des autosuggestions de Vasof. Ses dispositifs et effets spéciaux renvoient aux fonctionnements contraires auxquels nous sommes habitués pour un effacement progressif de leur emploi originel, et le vertige ressenti peut alors nous saisir, car ce petit florilège n’est que la partie émergée de l’imagination de Vasof invitant ainsi l’imaginaire du public à se créer ses propres oppositions et variations à ses propositions visuelles. Des éclats de rires fuseront (peut-être bien lors de cette piñata inversée), mais nous pouvons vous le garantir, les expériences vasofiennes sont addictives et nous ne pouvons que vous conseiller de découvrir l’ensemble de ses travaux !
La compétition se poursuit jusqu’à samedi 14 septembre à 16h30, et vous avez l’occasion de participer en votant.
Deux Prix seront décernés ce dimanche 15 : le Grand Prix Canal+ par l’équipe éditoriale de la chaîne partenaire et le vôtre, le Prix du Public !
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