
Sous tension – Fiction – Visa n°150737 – 2024 – Grèce, France, Allemagne, Chypre – 123 min – Couleur – 1:85 – 5.1 Avec Giannis Karampampas, Garifalina Kontozou, Thalia Papakosta, Elena Mavridou
Le 20 août sort Sous tension de la méconnue réalisatrice grecque Penny Panayotopoulou, récit intimiste et glaçant centré autour du noyau familial de Costas, jeune agent de sécurité dans un centre hospitalier public grec dont la vie bascule après un brusque décès familial. Si tout va progressivement se déliter autour de lui, le récit propose un bal des déclassés en présentant l’histoire touchante des banales victimes de la crise économique, dressant le portrait digne d’une famille qui tente tant bien que mal de subsister sous l’œil compatissant de la cinéaste.
C’est bien d’un drame dont il s’agit : irrépressible, dès les premières minutes la fatalité enserre Costas et ses proches, les prend au cou et nous emmène avec elle dans sa chute. L’hôpital public apparaît tel qu’il est aux yeux du héros qui assiste impuissant à l’établissement d’un système injuste où les morts se comptent sur les brancards, se font et se défont immanquablement, catalyseur et métaphore de ses propres déboires personnels. Penny Panayotopoulou esquisse un juste portrait de la classe moyenne endettée qui subit sans broncher dans un pays à bout de souffle, sous tension permanente, d’un système hospitalier qui compte ses morts. A la souffrance psychique du deuil se mêle bien vite pour les protagonistes la souffrance économique : pour survivre et éviter de vendre la maison le recours aux arrangements et arnaques diverses semble permis, amenant le protagoniste dans un engrenage délétère auquel il ne parviendra que partiellement à s’extirper, la corruption irriguant irrévocablement un récit dont la trame est peut-être trop attendue. Il est par ailleurs regrettable en ce sens de constater la résilience et le mutisme de personnages que l’on aurait aimés plus combattifs face à l’injustice. A l’image de ce chaton dépendant de sa mère que l’on ne cesse de filmer, les habitants de la Grèce ne parviennent à subvenir à leurs besoins en dépit de leur mère patrie à l’agonie, ne survivant qu’au prix de nombreux sacrifices individuels pour servir un système au point mort et où chacun doit égoïstement faire face aux aléas des inconforts matériels et affectifs du quotidien.
La réalisation est impeccable, sobre et appuyée, faisant la part belle aux expressions des personnages avec un travail doucereux sur la lumière et les regards, esquissant des portraits intimistes, mises en abîme des hésitations et troubles d’une galerie de héros banals pris dans la tourmente. Les intérieurs sont le vase clos des peurs, jouant sur les encadrements ou les plans rapprochés pour suggérer les émotions, besoins et envies qui ne cessent d’être contrariées, notamment pour Costas, homme raisonnable mais déchu, dont les instants de troubles contrastent avec les bonheurs éphémères du début du récit, contaminant jusqu’à ses relations intimes. La maison que le spectateur apprivoise à mesure que le drame se déroule apparaît comme un écrin de protection familier, se faisant l’écho aux peurs de chacun, reflet de leurs appréhensions, les gestes quotidiens étant parasités par l’accumulation des douleurs à mesure que l’on recrée malgré soi du lien social et que les saisons défilent. La ville de nuit avec ses lumières vient rappeler les bas-fonds vacillants d’existences ballotées entre des aspirations à une vie meilleure et la réalité économique particulièrement éprouvante, comme une fuite en avant à bord d’une moto pour oublier un instant le réel.
Dans ce monde désolé s’insuffle un espoir par le biais du regard de l’enfant – nièce de Costas devenant progressivement sa fille adoptive – truché d’innocence et porteur d’optimisme, il devient un remède aux maux d’un univers où les laissés pour comptes sont légion. Les interludes familiaux pesants laissent place à des instants de grâce doucereux, à la tendresse campée par la remarquable jeune comédienne qui vient enjoliver un quotidien familial contraint par les aléas du système. Ainsi la caméra capte les échanges désolés qui semblent figurer la crainte du lendemain, la fuite en avant d’amants qui n’ont plus rien à se dire ou d’une madonne perdue et troublée en quête d’un salut maternel : les non-dits et les regards semblent gravés dans des hors champs émouvants, que ce soit les retrouvailles ou les adieux familiaux, et si la souffrance imprègne le film, la jeune héroïne nous rappelle que l’espoir n’est jamais loin. Et l’on finit par céder : le récit se teinte, contagieux, d’un optimisme ravageur, sous l’oranger du jardin familial qui renaît de ses cendres, d’autres lendemains semblent possibles et même nécessaires.
Chronique d’un pays où les laissés pour comptes doivent se battre contre les injustices d’un système et lutter au quotidien, fresque intimiste habilement jouée et incarnée, Sous-tension est une œuvre habitée par les souffrances de tout un pays : Penny Panayotopoulou esquisse le portrait sans misérabilisme d’une classe moyenne endettée dans un pays à bout de souffle, d’un système hospitalier public sous perfusion dans lequel la corruption apparaît comme un moyen de survie. Un récit dramatique particulièrement efficace, sobre et mélancolique, qui nous rappelle quelque part l’importance de lutter pour que ne s’installe jamais un système si profondément injuste, sous perfusion et apathique, où l’indifférence et la résilience font figure de complicité.
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