Alejandro Amenabar nous impressionne depuis près de trente ans. Son huitième film, Cervantes avant Don Quichotte est une nouvelle preuve de sa singularité et de son talent. Qu’il s’attaque aux snuff movies avec Tesis, sa première réalisation à tout juste vingt-trois ans, qu’il aille fouiller du côté des fantômes, héritant d’Henry James avec Les Autres ou de celui de la révolution espagnole de 1936 dans Lettre à Franco, qu’il réalise un péplum philosophique avec Agora, un plaidoyer pour l’euthanasie (Mar adentro) ou encore qu’il feigne d’investiguer autour de la vague de « panique satanique » pour stigmatiser les fanatismes avec Regression, le réalisateur n’est jamais là où on l’attend. Dont acte avec son nouveau film, un biopic atypique qui fait de la narration le sujet-même de son film.

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Ode à l’imagination littéralement salvatrice, Cervantes avant Don Quichotte raconte l’histoire incroyable ( mais vraie !) de la captivité de Miguel de Cervantès par le sultan d’Alger. En 1575, le futur écrivain retenu prisonnier, invente chaque jour des récits d’aventures qui fascinent tour à tour ses codétenus et le sultan. Ce biopic métaphysique confirme le statut à part d’Alejandro Amenabar, à savoir un des rares cinéastes capables de réaliser des blockbusters d’auteurs. Pour mémoire, le très sophistiqué Ouvre les yeux qui interrogeait la frontière entre rêve et réalité devint l’un des plus gros succès de tous les temps du cinéma espagnol et eut droit à son remake anglais, produit par Tom Cruise qui produisit également le premier long américain du jeune cinéaste. Il fallait être singulièrement gonflé pour faire incarner par la sublime (et oscarisée) Rachel Weisz la mathématicienne et philosophe grecque Hypatie. Agora fut le quatrième plus gros succès du box office en Espagne. Avec Cervantes avant Don Quichotte, il renoue avec ses coups de pokers cinématographiques en faisant se télescoper grand spectacle et métaphysique. La mise en abyme fonctionne totalement : nous sommes captivés par les récits de l’auteur en herbe, comme ses compagnons d’infortune et le pacha. Voici ce qu’en dit le cinéaste hispano-chilien :
Avec le scénariste, Alex Hernandez, nous avons beaucoup mêlé réalité et fiction, jusqu’à rendre la frontière parfois indiscernable. Nous avons aussi joué avec les récits enchâssés, ce qui est très “cervantesque”. Ainsi, nous avons entremêlé le récit du captif de la première partie de Don Quichotte qui évoque la relation du détenu avec la fille de son geôlier, Zoraida.
Comme dans Agora, Amenabar revisite une page d’Histoire à l’aune de notre époque, faisant résonner des thèmes brûlants d’actualité. Il s’attelait a un manifeste féministe avec le péplum, ici son film est un vif plaidoyer pour la richesse des disparités culturelles et un avertissement contre le repli identitaire. Le réalisateur revient sur une page d’histoire peu connue au XVIe siècle, quand la Méditerranée occidentale était marquée par une intensification des affrontements maritimes entre les puissances chrétiennes et les provinces ottomanes d’Afrique du Nord. C’est dans ce contexte que Miguel de Cervantes, ancien soldat de la bataille de Lépante, fut capturé par le corsaire Mami Arnaut lors d’un trajet entre Naples et l’Espagne. La captivité en Méditerranée ne se confondait pas avec l’esclavage, mais s’inscrivait dans un système structuré de rachat et d’échange, reposant sur le statut social des prisonniers et l’action d’intermédiaires spécialisés. Ce commerce des captifs, pratiqué aussi bien par les États musulmans que chrétiens, constitua un élément central des relations entre l’Europe et le Maghreb aux XVIe et XVIIe siècles.

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Autre aspect résolument moderne que l’ingénieux cinéaste a insufflé à son film : la dimension homo-érotique des interactions de Cervantès avec son geôlier, le pacha d’Alger. Leur relation n’est pas sans évoquer celle que connut Shéhérazade avec le roi de Perse dans Les Mille-et-une Nuits. Enfin, Amenabar tacle la misogynie du XVIe siècle, montrant que la condition de la femme est bafouée et inexistante, aussi bien dans la société musulmane que chrétienne.
Également compositeur de la musique, Amenabar a créé un thème par personnage, Zoraida, le pacha, Miguel , les avatars du futur Don Quichotte assumant jusqu’au bout son manifeste romanesque, servi par des images envoûtantes.
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