Dernier programme découvert avec un focus intégral sur l’animation, trop souvent cantonnée à un genre de dessins animés jeune public, le festival a toujours eu à a cœur de mettre en avant cette technique de mise en scène pour des récits aussi bien narratifs, documentaires qu’expérimentaux, et visible surtout pour des adultes. Ici un florilège des techniques allant des traditionnelles aux plus innovantes afin de plonger dans les méandres des âmes tourmentées…

31è Étrange Festival
www.etrangefestival.com
Programme n°3 100% animés, esprits dérangés : 12/09 • 17h
- Um de Nieto (France)
- Kurt the Street Lamp de Sacha Schwarz (Suisse)
- Wild Animal de Lyu Tianyun (États-Unis)
- Playing God de Matteo Nicolò Burani (France, Italie)
- Progress Mining (Sabotage) de Gabriel Böhmer (Grande-Bretagne)
- Avant de rentrer de Arthur Bonneau (France)
- Moral Support de Vuk Jevremović (Allemagne, Croatie)
- Hept de Jorge Enrique Baldeón (Équateur)

31è EF – Avant de rentrer de Arthur Bonneau
Avant de rentrer de Arthur Bonneau : comme un hommage à l’Alice (Něco z Alenky) du tchécoslovaque Jan Švankmajer (ressorti en version restaurée dernièrement chez Malavida), Bonneau livre avec ce film de fin d’études produit par le Lycée Descartes une œuvre maîtrisée autant dans son écriture mature que sa mise en scène réussie. Basée sur la stop-motion, le jeune cinéaste déploie diverses techniques pour un univers fantastique à la lisière du merveilleux et de l’horreur : prises de vue réelles, pixilation, marionnette, animation sur papier avec crayon et craies grasses, faisant feu de tout bois, de l’écureuil taxidermisé de Grand-mère aux recherches nocturnes d’ambiances lugubres sur un bord de route…. il reconstitue un cauchemar éveillé lié à un lieu : motif récurrent des contes par son mystère, la forêt, tantôt magique, tantôt sinistre, qui abrite en son sein des dangers, mais également l’espace mental d’un jeune homme décidant d’y pénétrer. Partant de cette errance en voyant cet écureuil écrasé, la transition du live à l’animation complète nous immerge peu à peu, en un glissement progressif dans ce monde inquiétant, duquel surgit l’écureuil ressuscité, en lieu et place du lapin blanc de Lewis Carroll. Cette rêverie glauque rejoue une tragédie avec un ensemble de textures et matières, rendant chaque image haptique, du feutre, métal au bois, le dérèglement sensoriel s’opère avec une déclinaison en synecdoque du piano, par ses touches, cordes, puis sons composés et déformés en percussions métalliques terrifiantes rendant encore plus palpable l’effroi. Malgré son apparence macabre, c’est un récit mélancolique d’une très grande beauté.
Moral Support de Vuk Jevremović : : le titre du film se réfère à la chanson ‘Moral support’ (Moralna zaslomba) du groupe slovène Laibach (que vous avez du voir dans le documentaire Liberation Day), dont le cinéaste est fan, et pour qui il réalisa le clip vidéo. Par cette animation spectaculaire, Jevremović raconte l’événement social, historique et politique de l’affrontement entre des mineurs en grève et des nationalistes yougoslaves (ORJUNA) le 1er juin 1924 à Trbovlje en Slovénie, au cours duquel des dizaines de personnes trouvèrent la mort, et que le sculpteur local Stojan Batič immortalisa dans le monument ‘Boj z Orjuno‘ pour la commémoration de son cinquantenaire. En évoquant les premières décennies du XXè siècle à travers les mouvements artistiques européens et balkaniques, Jevremović aborde les grandes et petites histoires, desquelles émergent les utopies politiques, dévoyées par la brutalité sanguinaire des totalitarismes et extrémismes. L’artiste incarne lui-même ce pont culturel et artistique traversant l’Europe par sa vie et son éducation formées entre l’Allemagne et l’ex-Yougoslavie, son parcours personnel et les arts visuels pratiqués sont fortement imprégnés de ce bouillon de culture, notamment par l’influence du cinéaste croate Nedeljko Dragić qui impulsa sa passion pour l’animation. Ce film est donc hanté par les symboles communistes à l’ascendance soviétique avec ses architectures monumentales, son ambition esthétique mettant en valeur l’héroïque et valeureux prolétariat avec force étoile et marteau, dans ses postures athlétiques. Néanmoins, les grondements et grognements gutturaux du chanteur Milan Fras aux paroles sans équivoque (« Dans le silence de mort ; tantôt ici, tantôt là ; un soupir retentit : terrible – terrible... ») se mêlent à la musique industrielle martelante et effets métalliques stridents, avec la répétition mécanique et aliénante des mouvements ouvriers à l’ouvrage, dérives productivistes de ce rythme déshumanisant accompagnés de tous les outils de production représentés : roue, grue, pioche, presse, scie… Les techniques utilisées dans cette abondante animation : peinture aquarelle, gouache, acrylique, à l’huile, dessin crayonné, au fusain… jouent des couches superposées et mélangées avec notamment de la stop-motion, fusionnent le noir, blanc et rouge sang, avec des fulgurances colorées convoquant du passé ce que vécurent ces ouvriers, par ces courants artistiques (abstraction, cubisme, Dada, expressionnisme, fauvisme, futurisme, constructivisme/suprématisme russe…) tels des spectres apparaissant et disparaissant frénétiquement sur une grande fresque panoramique qui témoignent alors des sacrifices sanglants pour la construction de la civilisation européenne d’un siècle déjà condamné à mort par ces idéologies mortifères encore bien ancrées, mais ranimée grâce à ces réminiscences artistiques qui n’oublient ni nos erreurs, ni nos terreurs.
Nos coups de cœur parmi lesquels nous espérons le lauréat 2025 : Whitch de Hoku Uchiyama, The World is my Idea de Alexander Wolfgang Smadja, Loynes de Dorian Jespers, Floor 층 de Jo Bareun 조바른, Glute de Victor Ruprich-Robert, Omens Bloom in the Dark de Timothée Engasser & Avant de rentrer de Arthur Bonneau.
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