31è Étrange Festival www.etrangefestival.com

L’impatiente attente annuelle de l’Étrange Festival ne nous prépare jamais à la richesse de ses propositions de cinéma de genre et expérimental pendant une semaine et demie. Pour commencer notre série de comptes-rendus sur les longs-métrages, place à trois œuvres qui interrogent, chacune à sa manière, sur l’échappée d’une femme, une fuite en avant assortie de gestes forts de mise en scène et d’une interprétation au diapason : Odyssey (avec Polly Maberly), Exit Medea (portée par Loren O’Dair ) et Honey Bunch (sous les traits de Grace Glowicki).

Odyssey de Gerard Johnson, en Compétition internationale, commence d’ailleurs par une tentative à peine maquillée, par Natasha, de partir de chez le dentiste sans payer ses 950 livres d’opération des dents de sagesse. Cette agente immobilière londonienne au self branding impeccable et à la hargne impressionnante, a des problèmes d’argent, et ses combines la mettent sur une pente savonneuse, jusqu’à ce que la situation devienne difficilement contrôlable avec ses créanciers. Les deux premiers tiers du film naviguent dans une oppression permanente des plans de proximité, caméra à l’épaule, à la lisière du documentaire. La caméra de Gerard Johnson nous engage malgré nous aux cotés de Natasha, à sa passive agressivité et aux coups du sort qu’elle reçoit de toutes parts. De prédatrice sur son entourage, elle devient rapidement proie – condition à laquelle elle tente de s’extirper –, sous un Londres gris de jour et à l’atmosphère de trip mafieux la nuit, kit mains libres vissé à l’oreille et coke dans le nez. La grammaire cinématographique, traversé de lumières blafardes et de bruits incessants, traduit particulièrement bien l’épuisement physique et mental de Natasha, du moins pendant les deux premiers tiers. Dommage que le dernier acte tranquillise et ralentisse ce rythme initialement suffocant, pour une rédemption plus classique par les armes, alors qu’il devrait s’agit du point d’orgue de cette fuite en avant. La violence de l’hémoglobine un peu bourrine pénètre un peu moins le corps du spectateur que celle de l’adrénaline, qui avait infusé jusqu’au malaise. Cependant, Gerard Johnson fait preuve d’une maîtrise aiguë du survival sous toutes ses formes (à la ville, à la pression, à la vie), et son Odyssey jusqu’au non-retour n’est pas banal dans sa peinture des responsabilités.

Exit Medea, dans la catégorie « Nouveaux Talents », raconte l’évasion de Médée avec Jason en road movie stylisé, bien avant l’infanticide qu’elle commettra. Nous assistons à sa rencontre post-adolescente avec Jason, à leur amour naissant qui la pousse à arracher la langue de son père, à son rapport avec son frère, puis à la relation qui la lie à la vie à la mort avec son amant. Fidèle au mythe, le réalisateur et scénariste Tony Paraskeva synthétise plusieurs sources littéraires pour accoucher d’un langage poétique dans un univers onirique rock 90s. Les acteurs viennent du théâtre, et cela se voit. C’est très bien joué, voire trop. Sauf que les dimensions théâtrale et cinématographique peinent à cohabiter. Se succèdent, de façon schématique et répétitive, répliques pour faire avancer l’action, et moments visuels sans dialogues pour transmettre un ressenti du moment. Les plans de cinéma prennent leur temps pour s’enrichir de sens à partir des regards et des mouvements, mais restent trop éloignés des lignes parlées. Et le film ressemble davantage à un projet de théâtre dont on reçoit des images à la volée, à l’instar d’un making of de théâtre filmé, tel que l’étaient (de façon plus ou moins réussie) les courts et moyen-métrages de Bertrand Mandico sur Conann, présentés en 2023 et en 2024 au Festival. Si le pouvoir du théâtre réside habituellement dans la continuité du regard, celui du cinéma se trouve dans la perception d’un montage ou d’un collage dont le sens est déjà inscrit dans l’image. Exit Medea ne trouve pas son point d’équilibre, tel un pantin désarticulé et programmatique, qui se force à être lynchien – évidentes références à Sailor et Lula – et giallesque, en attendant successivement que le sens vienne seulement d’un visuel qui attend un déclencheur de langage, ou seulement d’un langage qui attend un déclencheur de vision.

Retour à la Compétition internationale avec Honey Bunch, de Madeleine Sims-Fewer et Dusty Mancinelli. Après un accident de voiture, Diana est emmenée par son mari Homer dans un centre assez particulier pour recouvrir la santé et la mémoire. Elle commence à avoir des visions assez cauchemardesques d’elle-même – souvenirs ou hallucinations ? –, tandis que l’attentif Homer semble en savoir un peu plus qu’il n’y paraît. Quand une nouvelle pensionnaire arrive à la clinique avec son père, les événements se bousculent… L’échappée de Diana est évidemment celle vers la vérité, puis vers le dehors de l’institut. L’esthétique surannée des années 60 et 70 (y compris dans l’usage du zoom) permet d’instaurer une véritable patte de bizarrerie, d’autant que la mise en scène opte pour un focus d’objets pour faire le lien entre le présent et les souvenirs. La construction de Honey Bunch s’apparente à une sorte de carambolage de choses et d’idées pour voir et savoir, en même temps que Diana comprend son chemin de croix. Ce traitement fait sortir de la banalité la tournure des événements – la sempiternelle répétition de curieuses manifestations, dans des contextes différents. C’est quand le film commence un peu à tourner en rond qu’il se développe vraiment, mais comme dans toute œuvre sur la maison de santé aux pratiques un peu louches, il faut que le twist soit à la hauteur de l’attente créée par la réalisation et le scénario. Ici, le tandem du père et de sa fille est peut-être exploré de façon trop superficielle pour soutenir l’avancée du récit et justifier la résolution finale, par ailleurs lourdement assenée d’explications. Avec une avancée dramaturgique plus progressive, le résultat aurait sans doute gagné en cohérence. En revanche, la mise en scène tient ses promesses jusqu’au bout, confirmant le talent du duo de réalisateurs.

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