Emmelene Landon – "La Tache aveugle"

Commençons par un peu de neurophysiologie : ce qu’on appelle la tache aveugle est une petite partie de la rétine qui permet l’insertion du nerf optique et des vaisseaux sanguins, dépourvue de photorécepteurs et donc aveugle. Sa mise en évidence (rapide expérience ici) permet d’aborder la notion d’interprétation de la réalité par le cerveau à travers la vision et, par extension vers le sujet qui nous intéresse, la façon dont l’esprit vient à compléter la réalité. Si l’œil lui-même comporte une partie aveugle, quels sont les moyens dont nous disposons pour voir le monde ? La liberté qui s’ouvre alors par cette constatation n’est-elle pas infinie ?A l’école des Beaux-Arts, trois sœurs ont choisi d’étudier la peinture, à contre-courant de leurs camarades qui lui préfèrent la vidéo, l’abstrait et le conceptuel. Face à un tuteur aussi dissipé qu’absent, elles ont inventé un jeu où Alexander Cozens, peintre anglais du XVIIIe siècle, serait leur mentor. Partant de sa méthode sur le paysage au moyen de taches de peinture, l’aveugle Diotime, la bouillonnante Fanny et Susannah que la représentation du corps obsède, voyagent ensemble et chacune à leur façon dans un univers-refuge fantasmé où peindre et jouer de la musique seraient les seuls mots d’ordre.

Au gré de courts chapitres à la narration alternée, le lecteur se laisse emporter par le tourbillon de leur imaginaire composé de couleurs, d’émotions, de sensations et d’impulsions. L’aller-retour est incessant entre leurs toiles et une vision du monde propre à chacune, où la nature est prétexte à une esquisse et vice-versa, jusqu’à extraire la poésie du moindre détail. Avec les trois sœurs, on voyage de Paris à Londres en passant par Naples, en calèche, en train ou en bateau sans perdre une miette du paysage. La plume d’Emmelene Landon est à la fois dense et fluide, mêlant la fiction à l’histoire de l’art, ponctuant le récit de fines descriptions où la personnalité de chaque sœur transparait, se développe, s’épanouit. Les atmosphères y sont décortiquées sans être intellectualisées, la fugacité de l’instant ou du trait prime sur la réflexion qui s’évapore, amenant une nouvelle idée.

Symphonie dédiée à tous les amoureux de l’art, manuel du paysagiste en herbe, hymne aux beautés éphémères et perpétuelles du monde ou manifeste de l’inspiration, ce roman fourmille d’intelligence sensorielle. Il ouvre le champ des possibles en proposant une réalité améliorée, par l’effet conjugué d’une vision démultipliée et de l’évasion, et interroge sur l’infinité du regard lorsque l’imagination en prend le relais.

Aux Editions Actes Sud.

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A propos de Sarah DESPOISSE

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