Stéphan Castang, réalisateur de Vincent doit mourir, au programme de la 62e Semaine de la Critique

Stéphan Castang a présenté en séance spéciale, à la 62e Semaine de la Critique de Cannes, l’inclassable Vincent doit mourir, qui navigue entre l’absurde et l’inquiétant autour de l’histoire suivante : « Du jour au lendemain, Vincent est agressé à plusieurs reprises et sans raison par des gens qui tentent de le tuer. Son existence d’homme sans histoires en est bouleversée et, quand le phénomène s’amplifie, il n’a d’autre choix que de fuir et de changer son mode de vie ». Nous avons rencontré le réalisateur pour parler de ce travail qui est son premier long-métrage.

Comme objet filmique, Vincent doit mourir est difficile à situer car il traverse plusieurs genres : la comédie décalée,le film de zombies (dans un sens, puisque les gens y sont pris d’une rage contagieuse dirigée contre le héros), survivor film, comédie romantique, critique sociale... Comment le décririez-vous vous même ?
Stéphan Castang : Je dirais que le film est vraiment à la croisée des genres. C’est bien ce qui m’avait plu dans le scénario de Mathieu Naert, où il y avait une vraie promesse de cinéma et justement ce que je trouvais, c’est qu’il était impossible à définir. Je voyais bien que pour le vendre, quelque part, l’élément film d’action ou film fantastique était peut-être davantage à mettre en avant, cependant ce qui m’intéressait le plus moi, dans ce film, c’était en fait l’histoire d’amour. Je ne dirais pas que c’est une comédie, mais il y a une ironie qui plane tout au long du film, qui est probablement plus présente dans le premier tiers mais qui perdure néanmoins jusqu’au bout et qui est une ironie absurde, mais j’aime bien l’absurde, parce que ça permet de dire des choses graves (et en l’occurrence on parle quand même de la violence !) et d’en rire ou pas. Avec une comédie, le rire est presque obligatoire alors que là, c’est à la liberté et à l’appréciation de chacun de rire ou non de ce qu’il arrive à Vincent.

Vous avez déjà un beau parcours à votre actif, comme enseignant, dans le théâtre comme comédien et auteur, vous avez aussi réalisé plusieurs courts. Pour reprendre l’impératif catégorique du titre, qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes dit de ce projet que vous deviez en faire votre premier long-métrage ?
Déjà le titre, j’avoue, parce que c’est important, et j’aimais l’idée que mon premier long-métrage s’appelle ainsi. J’aimais bien le concept quavait inventé Mathieu (tout en me méfiant, justement : je ne voulais pas non plus que ce soit un filmconcept) et le fait qu’il y ait plusieurs genres. Cet élément présentait pour moi un challenge intéressant : l’idée était de trouver une manière de ne pas faire un film qui passerait d’un genre à l’autre (c’est-à-dire d’une séquence d’action à une séquence fantastique puis à une séquence d’humour…), mais qu’au contraire, la tonalité générale du film ce soit tout ça, que le film soit un peu une combinaison de toutes ces composantes-, finalement que ce soit un film de genre sans genre prédéterminé. Cet aspect-là m’intéressait beaucoup. Je voyais qu’il y avait quelque chose de très névrotique dans le scénario, et étant moi-même un vrai névrosé, je pouvais m’y glisser, ajouter mes propres névroses à celles du scénario.

Le film demande d’adhérer assez largement au pacte de crédulité, mais il est aussi très ancré dans le réel, dans notre temps. Il a aussi un côté très réaliste, en somme.
Absolument, ça parle de la violence qui est à l’œuvre dans notre monde contemporain. C’est une des vertus du genre en général que de vouloir parler de notre monde, mais avec le décalage qu’apporte la fiction, et donc de ne pas être forcément dans une logique de tract qui dirait « la violence, c’est pas bien« . Il ne s’agit pas de dire « c’est bien«  ou « c’est pas bien« ,l’idée est de se demander « qu’est-ce qu’on en fait ? » et « quel regard on pose dessus ? », puisque Vincent est un personnage qui est attaqué quand il regarde quelqu’un. C’est là que quelque chose peut se déclencher contre lui. Pour moi, c’était ça qui était intéressant aussi : comment on pouvait injecter dans cette histoire des signes du réel, que ce soit à travers la radio qu’on entend ou des recherches sur internet – où il y a de vraies images d’une violence folle, comme cette femme qui se fait rouler dessus en voiture deux fois… Il faut quand même se dire qu’il y a quelqu’un qui a eu l’idée de poster ça sur internet, et des gens qui ont l’idée de regarder (la vidéo a beaucoup de vues !) ! C’est tout de même une drôle de chose à se dire que « Tiens, je vais mettre ça sur YouTube » ! Donc on peut avoir une grille de lecture consistant à se dire qu’on est dans la tête d’un type cinglé, mais une autre lecture possible du film, le voyage qu’on peut faire, c’est de se rendre compte que ce n’est pas le type qui est cinglé, mais le monde dans lequel nous vivons.

Attaqué de toutes parts, donc, Vincent met les bouts et part à la campagne, où il rencontre d’autres gens qui se sont éloignés aussi.
Voilà, Vincent est quelqu’un qui est déplacé, à qui on demande de se déplacer. Au début, il pense être à la bonne place (il travaille dans une boîte comme graphiste, etc.) et puis quand les attaques se mettent à se produire, d’abord il est forcé de rester seul enfermé chez lui, et puis quand il va chez son père, il n’y a plus de place pour lui, il n’a plus sa chambre d’enfant, alors il s’éloigne encore plus de la ville. Donc c’est quelqu’un qui, en effet, se retrouve déplacé dans les marges et là, il rencontre d‘autres gens qu’on va appeler des marginaux : un clochard en qui il va voir un reflet de ce qu‘il pourraitdevenir, et enfin Margaux, qui est interprétée par Vimala Pons et qui est, disons, « en difficulté sociale » comme disent les journalistes. Et là il va la regarder, et tout d’un coup avoir un coup de foudre, et la regarder comme peut-être il n’avait jamais regardé aucune femme auparavant.

Quand survient quelque chose qui semble totalement arbitraire dans un film, les personnages essaient souvent de se le réapproprier en essayant de comprendre quelles sont les règles du phénomène apparemment dingueou du moins de trouver un système pour y parer, dans le cas du groupe des « Sentinelles« ...
N’est-ce pas ce qu’on a fait avec le covid ? Et le scénario n’était pas inspiré par le covid puisque Mathieu l’avait écrit avant. Ensuite, quand j’ai commencé à travailler dessus, on traversait le covid, et justement je prenais soin de ne pas injecter trop d’éléments du covid dedans. mais néanmoins on le traversait, et là on a bien vu notre capacité à s’adapter, à rationaliser et faire comme si on allait continuer à vivre comme on vivrait normalement. Et donc on décide de comprendre les usages et les règles du phénomène, règles qui de toute façon évoluent à mesure que le phénomène s’amplifie puisque,si on file la métaphore virale, il y a mutation.

Vous n’avez pas recouru à des effets spéciaux. Des maquillages oui, mais pas d’effets spéciaux, donc là aussi, on a un ancrage dans le réel...
Oui, pour moi c’était très important. Déjà, on a affaire à des corps ordinaires qui se battent, des corps qui ne sont pas faitspour le combat : on a un facteur, des enfants, ses collègues de bureau... C’était une question importante. On a beaucoup parlé, que ce soit avec Manu Lanzi, qui était le régleur des combats, ou avec Manuel Dacosse, le chef opérateur, et il y avait deux choses qui étaient pour moi très importantes. D’une part, il ne fallait pas que la violence soit fun, que les combats soient très sophistiqués, etc. Au contraire, quand on voit des gens se battre dans la rue, ça rippe, c’est maladroit, c’est sale, et je tenais beaucoup à cet aspect sale – d’où le combat qui a lieu dans une fosse septique, à un moment donné, où c’est sale dans tous les sens du terme. Ensuite, on n’avait pas besoin d’effets spéciaux en particulier, en revanche la question des maquillages était cruciale et pareil, sur les maquillages, il fallait qu’on soit dans une forme de réalisme, par exemple d’évolution des bleus pour le personnage quinterprète Karim Leklounotamment, mais pour les autres aussi : àun moment donné d’ailleurs, beaucoup de gens, dès qu’il les recroise, ont aussi des bleus, en somme on voit bien que ça se contamine, que tout le monde se fait taper dessus, mais il ne fallait pas que ce soit spectaculaire. Le spectaculaire tient plus à une amplification et une déclinaison du phénomène, mais pour le reste, il fallait qu’on soit au plus près de notre réalité.

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A propos de Bénédicte Prot

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