« The Mercy Tree » – Michele Salimbeni

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C’est d’une simplicité biblique. Un arbre, un coup de feu, un mort. Comme aux origines d’un monde qui serait un champ de blés de Van Gogh écrasé par la chaleur de l’été. C’est d’une simplicité biblique et dès le premier plan séquence, c’est hypnotique.

Qu’est-ce qui fait d’une scène une parabole ? Le mythe dans lequel elle s’inscrit peut-être. Son épure probablement. Ici, le titre annonciateur The Mercy Tree, renvoyant au pardon, à la miséricorde, celle des hommes ou celle de Dieu. C’est effectivement sous le signe de l’acceptation totale que se déroule le film tout entier, si tant est que l’on puisse parler de déroulement.

Car le meurtre fondateur du père demeure dénué de tout élément narratif. Nous ne savons pas qui a tiré. Nous ne savons pas qui est mort. Nous savons encore moins pourquoi. Nous ne le saurons jamais, rendus à cette acceptation universelle qui ne serait ni l’approbation, ni la rédemption, mais l’accueil hors jugement d’une condition humaine, comme l’arbre du pardon accueille la scène sous son feuillage généreux. Il s’agit d’accepter de ne pas comprendre, de ne pas résoudre, de faire l’expérience d’un cinéma radicalement autre, qui ne serait redevable qu’aux codes de la peinture, peut-être.

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Un cinéma nu.

Aux antipodes des films à intrigue et rebondissements, The Mercy Tree s’étire langoureusement dans une poétique de cinéma, nous plonge dans une méditation sensorielle, nous amène à recevoir l’image avec sa part d’insaisissable. Interrogé, le réalisateur le confirme : « Je n’éclaircis jamais ».

Bien après le commencement du film, nous réaliserons qu’aucune parole n’est prononcée. Que le silence habite le film comme une évidence. Les longs plans séquences vont se succéder magnifiquement, comme alourdis par la chaleur de l’été en Sardaigne et le chant indifférent des cigales. La caméra fixe s’attardera souvent après que le personnage a passé dans le champ, nous signalant que l’essentiel est ailleurs. L’essentiel n’est pas qui est le coupable, qui est la victime et pourquoi. On ne pourra jamais savoir et donc juger. Nous allons suivre une femme dans les menus gestes de la vie rurale, ses visites à la tombe de son père sous l’arbre, voir une petite fille vive comme une flamme traverser régulièrement l’écran, comprendre ou pas qu’il s’agit de la femme lorsqu’elle était enfant. Que tout le film est une reviviscence traumatique.

L’image n’illustre pas, le dialogue n’existe pas, l’action ne se déroule pas. Implosé, un présent hors temps happe la caméra sans autre raison que l’être-là.

Le réalisateur, Michele Salimbeni explique être parti « uniquement du squelette de l’histoire que je voulais raconter, de son ossature, pour y laisser entrer la matière, la vie et le temps à travers la réalité » en s’astreignant à « une rigueur formelle absolue, la soustraction, l’abstraction ».

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À la mémoire d’Irina Marija Bartaitė.

Silences habités, minimalisme ou absence de narration, meurtre initial au fusil, personnages prostrés, geste nerveux et réitéré de la cigarette, fixité de scènes répétées, personnages anonymes, déréliction : Michele Salimbeni semble bien appartenir à la famille de Sharunas Bartas, lui être relié par de multiples connexions, pas toujours conscientes. En réalité, le réalisateur œuvrait déjà dans cet esprit avant même de connaître le maître du cinéma lituanien, au point d’être considéré comme « le plus lituanien des cinéastes italiens ». Mais The Mercy Tree avait été écrit pour Irina Marija Bartaitė, fille unique de Bartas et inoubliable actrice de Peace to Us in Our Dreams pour lequel elle avait été nommée meilleure actrice lituanienne. Décédée dix jours avant le début du tournage à l’âge de 24 ans dans un accident dû à un conducteur ivre, Irina Marija Bartaitė était la fille de cette autre icône du cinéma lituanien, Ekaterina Golubeva qui s’est suicidée en 2011 à Paris à l’âge de 44 ans. La disparition tragique de celle qui devait incarner l’âme du film tout entier, si elle a laissé Michele Salimbeni en état de choc au point de vouloir abandonner son projet, n’a pas vaincu la volonté de la petite équipe qui l’a poussé à le reprendre, à trouver l’actrice Magdalena Korpas qui s’avère également magnétique dans le rôle principal. Mais que ce soit dans le cadre photo sur la table ou dans la dédicace finale, Irina hante The Mercy Tree.

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Une écriture de la sidération.

Le meurtre va se produire, encore et encore. La femme va se recueillir sur la tombe, encore et encore. La petite fille va accourir dans son gilet rouge de nouveau.

Le réalisateur Michele Salimbeni l’explique : « Le concept principal qui sous-tend la structure de The Mercy Tree est celui de la répétition, de la réitération. »

Cette écriture mettant en œuvre un principe itératif, s’articulant autour d’ellipses, de sauts dans le temps, déjouant toute narration, installe ainsi un principe de fixité, de temps figé qui est celui de la sidération. À l’origine comme à l’arrivée de cette dernière : une réalité impensable, inaccessible, imposant une temporalité brisée.

Comme toujours, l’impensable du trauma se vit dans un silence presque total, même si The Mercy Trees’avère le premier film parlant du réalisateur. Dans Sharunas Bartas ou les hautes solitudes ( 2016, de l’Incidence éditeur p.163) Corinne Maury cite José Moure au sujet du silence pensé « par certains cinéastes modernes de l’hétérogéneité et de la raréfaction (Bergman, Antonioni, Godard, Resnais, Straub, Garrel…) comme un élément structurel qui en creusant le temps, vidant l’espace et ouvrant des intervalles, met l’image cinématographique en rapport avec un dehors (ou un envers) et par là même le confronte à sa part d’absence, de manque, de non-dit, d’irréductible qu’elle recèle ». (Du silence au cinéma, Médiation et information n°9).

Trauma initial, silence habité, sacrifice final déroulent une écriture de la sidération tenue et maintenue du début à la fin.


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La grâce et l’exigence du tableau flamand.

Ajoutant à l’effet hypnotique du film, la composition de chaque plan, surtout d’intérieur, nous ramène à la grâce et l’exigence de la peinture flamande et particulièrement de Vermeer. Comme La Jeune Fille à la perle, à laquelle ne manquerait que la perle, la peau laiteuse de l’actrice Magdalena Korpas irradie une lumière intérieure, s’orne d’un foulard, se détache telle une icône sur fonds sombres. Chaque objet devient une nature morte, au cadrage et à la lumière savamment étudiés. Chaque plan cherche à faire exister pleinement chaque chose, s’inscrit dans un cinéma plus que sensoriel, un cinéma méditatif, convoquant l’exigence d’un Tarkovski sans sa noirceur, d’un Sharunas Bartas sans sa mélancolie, d’un Bela Tarr sans son austérité. Une ambiance comme rituelle, presque sacrée, qui reflète celle du tournage. Écrit en trois jours, tourné en dix jours dans une véritable pauvreté de moyens par une équipe très restreinte, The Mercy Tree répond à un processus instinctif, mais qui impose de préparer chaque plan dans ses moindres détails : une prise par plan, jamais d’essai.

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Italien d’origine et philosophe de formation, Michele Salimbeni cumule les rôles de producteur, réalisateur, scénariste, directeur de la photo. Il a auparavant co-signé The Horse in Motion en 2019, La Louve en 2023 et réalisé une vingtaine de c

ourts-métrages. The Mercy Tree a été choisi parmi les dix meilleurs films de 2023 par le célèbre critique italien Adriano Aprà, s’est vu sélectionné au festival international du film de Pologne, section film expérimental et au festival du film indépendant de Dublin où il est arrivé deuxième. Dans le cadre du Cycle Découvertes, il est projeté à partir du 13 mars pendant deux semaines au cinéma St-André des Arts à Paris en présence du réalisateur, puis un jour par semaine.

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