1 + 1 = 1, telle est l’égalité un peu facile, et admise par la société, du couple idéal, quelque peu fantasmé. Lorsque les citadins Tim et Millie annoncent à leurs amis (tout aussi urbains) qu’ils vont s’installer à la campagne, les divergences du couple se font déjà sentir. Tim, musicien, a consenti à suivre sa compagne, qui a trouvé un poste d’enseignante, et essaie de (se) convaincre devant une audience circonspecte que l’air un peu moins vicié lui fera revenir l’inspiration, alors qu’il peine à composer depuis plusieurs années déjà. Après le déménagement, Millie a du mal à s’intégrer dans son nouvel établissement scolaire, malgré l’accueil assez enthousiaste – le seul – d’un de ses collègues, et voisin proche. Au cours d’une promenade en forêt, Tim et Millie tombent dans une crevasse, dont l’écosystème naturel va avoir un étrange pouvoir de liaison sur leurs corps…

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Si Together, premier long-métrage de Michael Shanks, s’ouvre sur la peur de l’inconnu, d’une nouvelle vie ailleurs, il ne cessera ensuite de se tourner vers celle du connu, de l’autre, de la vie à deux, des décisions mutuelles plus ou moins concédées à son ou sa partenaire. L’élément fantastique de l’intrigue, qui fusionne, magnétise, colle et transporte les chairs de Tim et Millie, n’existe que pour exacerber les tensions, et non pour les amenuir. Le réalisateur et scénariste prend le contrepied des éléments traditionnels du cinéma de genre, dans lequel l’ « anomalie » est censée révéler les personnages à leur propre nature. En forçant le rapprochement des deux acteurs, Michael Shanks ne fait qu’aggraver leurs concessions et empêcher leur gestion saine des conflits. Les circonstances concourent à séparer le couple, mais le film montre deux êtres qui s’obstinent à rester ensemble, car forcés par l’élément étrange. Ce qui les soude physiquement les enfonce dans leurs certitudes, et c’est là la première originalité de ce parti pris.

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Plus de peur que de mal ? Tim et Millie ne sont pas très au clair avec leurs sentiments et avec la santé de leur couple. Et pourtant, la mise en scène invite constamment l’un(e) à regarder l’autre (ainsi que ses brèches et sa lumière) par des effets de miroir : elle crée une fausse gémellité par symétrie, mais tient également à exposer les spécificités des protagonistes, qui les rendent uniques et les fait résister contre vents et marées au « 1 + 1 = 1 ». Les plans obligent à observer, à les faire s’observer. On voit Tim et Millie se débattre dans leur amour disloqué, et on reste en même temps suspendu à leur humanité. L’écriture et la réalisation sont en ménage heureux, à ne pas paraphraser leurs apports mutuels. Together convainc par son équilibre inconfortable entre ironie mordante de l’injonction au bonheur à deux, et sincérité touchante du regard.

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Michael Shanks répartit à égalité les torts et la toxicité entre Tim et Millie. Son approche non-partisane intensifie la notion de « masse pensante » à deux voix et à deux têtes. Se mentir à deux est finalement bien plus beau, cinématographiquement parlant, que se mentir l’un(e) envers l’autre, surtout sans en être vraiment conscient. Dave Franco & Alison Brie, aussi ensemble dans le civil, font communier leurs âmes et leurs peaux, leurs vues et leurs peines. Le ballet de leurs corps se construit des petits riens du quotidien et du désir le plus noble. Leurs efforts cumulés réussissent à composer les traits d’un troisième personnage, abstrait et psychique, menace et soutien. La folk horror, par où tout commence et tout finit, consolide une essence d’absolu dans leur parcours initiatique, car Mère Nature veille à les remettre sur le droit chemin. Le body horror est un moyen plus qu’une fin ; il augmente les incertitudes traversées par les deux personnages, en leur donnant une parole. Mais le dernier mot revient aux Spice Girls, dont la chanson 2 Become 1 scelle, au moment du générique, ces deux destins, pour redéfinir de manière ultime les règles arithmétiques.
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