Préambule. Le film « Vie privée » a été vu en clotûre du stimulant Festival du film d’Arras 2025, rendez-vous incontournable dont nous chroniquons tout au long de cette semaine les jours passés sur place dans le Grand Nord. Le texte ci-dessous reprend tout ou partie du texte original. Pas ou peu de spoiler, de toute façon il y a peu d’intrigue.


Pas facile la vie de psy quand on est Jodie : Lilian Steiner (Jodie Foster, donc) est l’une d’elles, freudienne en diable. Dans son grand appartement parisien mal isolé, les patients se succèdent et on les accueille, on essaye de les comprendre, de les soutenir, de les guider, parfois d’une oreille un peu trop distraite. Freud merci, on les enregistre, quand même, pour pouvoir réécouter tel ou tel détail de la séance, d’un mot du passé, etc.

Il y a bien sûr les relou, les colériques, les monotones. Les procéduriers comme cet ancien patient qui vient d’arrêter de fumer grâce à l’hypnose et veut le remboursement de ses séances. Et les absents. Comme Paula Cohen-Solal (Virginie Efira), qui vient de rater trois rendez-vous. Lorsque sa fille annonce son décès, c’est un abîme qui s’ouvre sous les pieds de la psychiatre, elle si rigide, si droite, si parfaitement professionnelle. Pourquoi se met-elle sans raison à pleurer ? Ce tremblement et ces larmes lancent alors une enquête où se mélange peu à peu le réel et les faux souvenirs.

Qui était Paula ? Pourquoi son mari (Mathieu Amalric, qui joue Amalric, comme toujours) est-il si en colère contre Lilian ? Quel est le rôle de la fille, suffisamment trouble pour avoir pu organiser la mort de sa mère ? Pourquoi le passé et les vies antérieures viennent peu à peu gangréner le présent et faire vaciller la raison de Lilian ? Et pourquoi les minidisc de sa dernière séance ont-ils disparus dans le cambriolage de son cabinet ?

Difficile de parler plus avant de ce drôle d’objet, comédie policière autant qu’incursion 5-étoiles (Foster ! Efira ! Amalric ! Lacoste ! Auteuil !) de Rébecca Zlotowski hors de son cinéma intellectuel pour tenter de toucher un plus large public, sans admettre immédiatement son échec.

Reluquant fortement du côté d’Hitchcock (panier de Red herring à la clef, y’en a un peu plus je vous le mets quand même ?) ou Woody Allen et son « Meurtre mystérieux à Manhattan » (voire pourquoi pas  « Le Sortilège du scorpion de Jade »), « Vie privée » intrigue pourtant a priori, dans son parcours tout à la fois intime (la « vie privée » étant dans un mauvais jeu de mots la vie dont Lilian est privée et ce qu’elle cache autant que la victime) et policier. Il se montre même dans tout son premier tiers divertissant, lançant pistes et suspects façon Cluedo à la manière d’un whodunit stimulant et troublant (Lilian a-t-elle réellement prescrit trop d’antidépresseur ? D’où vient son obsession pour sa patiente ? Quelle est cette vie rêvée qui lui apparait ?), s’amusant de la rigidité de Lilian à laquelle Foster donne une présence physique indéniable de petit oiseau sec et comique, trop solide pour être honnête et qu’une simple brise (ou larme) peut ébranler.

Il se dévoile aussi, et c’est la belle surprise, truculent et tendre à la fois lorsque il lorgne du côté du policier un peu BD dans le duo Tintin et Haddock d’amateurs avinés que Lilian Steiner et son ex-mari forment, dans un étonnant mélange (Jodie Foster et Daniel Auteuil), dont on doit avouer avoir parié de manière moqueuse qu’il ne fonctionnerait dans aucun métavers, et qui est pourtant le plus beau de ce film bancal.

Mais ces rares joies s’effacent trop régulièrement face à un projet aussi bien trop souvent branlant quand il refuse de solutionner ses intrigues, voire carrément soporifique quand il se charge au dernier instant de résoudre sa double-enquête par un coup de téléphone du commissariat suivi d’une grande scène de révélations (toc toc ouiiiiiiii bonjour je vous attendais je vais tout vous expliquerrrrrr) d’une banalité confondante quand il ne se conclut pas sur une coda ridicule et appuyée.

Foster n’a finalement enquêté sur rien ou pas grand chose, et le spectateur n’a rien vu, semble dire ce Deux Ex Machina, dernière tentative vaine de rattraper ce film qui se barre de tout côté dans une espèce de stase étrange sans jamais véritablement démarrer.

  • Au-delà du principe de plaisir : l’ennui.

Ce genre de procédé pourrait susciter une forme de joie ambivalente (ah bordel, ils nous ont bien eu !), il ne provoque que frustration. C’est que, malgré une mise en scène maitrisée et d’un beau rôle de femme dont Zlotowski a le secret, bien loin de s’amuser de l’accélération et du joyeux chaos que génèrent ces chausse-trappes, la réalisatrice, et sans aucun doute sa co-autrice Anne Berest, ne parviennent jamais à totalement atteindre la forme de légèreté qu’il conviendrait, appuyant lourdement chaque blague (« Fucking french » râle Foster en apprenant que l’hypnologue est en congés) et traitant avec le sérieux d’un pape les versants psy (le contre-transfert, la séquence d’hypnose, le retour du refoulé, les faux souvenirs, l’écoute paranoïaque, etc).

Ce sentiment de dire ‘eh, vous regardez quand même un film intelligent, on est pas sur TF1’ atteint son paroxysme lorsque « Vie Privée » se pique de tendre vers une sorte de cinéma mental en louchant avec un strabisme prononcé du côté « Mulholland drive », orchestrant une drôle de séquence lesbienne en remplaçant simplement le Silencio par un théâtre à l’italienne et des nazis, quand il ne sème pas dans quelques plans comme autant de poudre aux yeux un peu prétentieuse des indices visuels ou sonores qui se retrouvent par glissement dans les dialogues (le nom d’un parfum devient un surnom, un détail de lieu, etc.).

(Et bordel, que vient faire la judéité sans cesse appuyée au milieu de tout cela sans que jamais elle ne fasse sens ?)

  • (Censurer ici la blague « Jodie, faut s’taire »)

Le problème d’adhésion revient sans doute aussi, et cela coûte de le formuler, à une Jodie Foster de tous les plans, actrice impeccable et brillante, mais dont le rôle déjà pas simple à aimer d’une psychiatre rigoriste et malaimable se voit plomber par une interprétation en français qui ne parvient jamais à atteindre la finesse de son jeu en anglais (les rares séquences dans sa langue écrasent en cela totalement le reste), traduisant d’une manière fluide mais atone les lignes du scénario.

Cette étrangeté, plus que froide — c’est après tout la trajectoire de cette femme que de se redécouvrir humaine —, est à la fois le moteur d’un film qui voudrait dépasser les mots, leurs absences et leurs glissements (par l’hypnose, par les sensations retrouvées, tout en basculant rapidement dans une monotonie qui le gangrène et qu’aucun autre comédien ne réussit réellement à compenser sauf dans les précieuses séquences en compagnie d’Auteuil.

  • S’il suffisait qu’on se re-aime.

C’est d’ailleurs, nous le disions, dans leur duo que se niche le plus charmant du film qu’on aurait rêvé de découvrir, qui aurait assumé son côté Allenien : en renouant avec son ex-mari, cette femme rigide, bloquée en elle-même, boit, fume, baise. Enfin.

En se retrouvant si tard dans l’existence, ces deux beaux corps vieillissants (Jodie Foster, superbe, donc chaque ride raconte une vie et une splendeur, Auteuil dont le corps accuse l’âge et dont la rondeur franchouillarde et bonhomme étincelle) se réapprennent, comme lors d’une magnifique scène d’ascenseur, la plus belle du film, où d’un simple geste, la main pâteuse d’Auteuil approchant le sein de Foster dit à la fois l’âge, l’apprentissage, le retour du souvenir, l’amour.

Cette comédie de remariage, si elle avait été pleinement exploitée, aurait été merveilleuse, et dans les rares éclats qui en ont survécus, de rire (l’invasion de la maison façon Pied Nickelés) ou de charme (la jolie séquence dans la voiture, les moments de restaurants), le film nous laisse à fantasmer ce qu’il aurait pu être. Nous en voilà privés.

En salles le 26 novembre.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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