La peur au ventre se veut davantage qu’un simple documentaire, tant son objet dépasse une simple mission d’information ou de sensibilisation. Le film démarre par un point de bascule historique, revirement majeur dans l’histoire du droit des femmes aux Etats-Unis, à savoir l’abrogation de l’arrêt de la Cour Suprême Roe v. Wade (1973). Cet arrêt a permis de facto d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution.

En juin 2022, une décision de cette même Cour revient sur cet arrêt, le rendant caduque. Ainsi, le droit à l’avortement n’est dès lors plus fédéral et devient l’affaire de chaque Etat. Roe v. Wade constitue en soi une sorte de ligne de front symbolique démarquant deux camps absolument opposés : les Pro-Life et les Pro-Choice. L’événement de 2022 qui y met un terme représente une victoire majeure pour les Pro-Life, fermement opposés à toute idée d’avortement, lequel est associé à du meurtre pur et simple.

La Peur au ventre

Dans ce contexte, Léa Clermont-Dion – réalisatrice déjà connue pour ses ouvrages ou films, tel que Je vous salue salope sur la misogynie en ligne par exemple – présente au spectateur un personnage central québécois : Louise Desmarais, historienne et figure historique de la lutte pour le droit à l’avortement. La réalisatrice initie ainsi un dialogue entre deux générations de militantes. Celui-ci passe par des entretiens et le partage d’une mémoire collective bien entendu, mais aussi des messages laissés par la réalisatrice, comme on se confie à un journal intime.

Ainsi, la caméra de Clermont-Dion se trouve très vite en immersion dans les mouvements Pro-Life et permet de mesurer un gouffre idéologique. En ouvrant son micro aux militants anti-avortement, la cinéaste permet de faire une synthèse des arguments et des croyances, et de mesurer l’engagement que cette croisade représente.

Voir La peur au ventre au printemps 2025 pour sa sortie en salle en France, c’est déjà être dépassé par les évènements. La réalité sur le recul des droits montrée dans le film et la puissance réactionnaire sont déjà glaçantes, pour autant depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, le constat s’avère encore plus amer. En effet, cinq jours seulement après son investiture, celui-ci prenait des mesures pour couper tout financement fédéral des IVG d’une part, et de limiter l’accès à des moyens contraceptifs d’autre part.

La Peur au ventre

La caméra laisse parler ces opposants au droit à la femme de disposer de son corps, nous permettant d’entendre leur positionnement et raisonnement. Le « simple » croyant est convaincu de servir le dessin de Dieu dans cette lutte et la repentie multi-avortée y trouve le moyen d’absoudre ses péchés contre l’humanité. Bien sûr, ils se présentent comme pacifistes, luttant pour la vie face à une société en décrépitude pratiquant le meurtre de masse des bébés.

Leur discours peut sembler séduisant à certains niveaux : si les femmes ne gardent pas leur bébé car elles sont seules, dans des conditions matérielles précaires ou dans des vulnérabilités psychosociales, le mouvement pro-life peut intervenir. Un réseau d’écoute et d’entre-aide permet de proposer un soutien pour la maman et le bébé, dans le respect de l’œuvre de Dieu. Bien sûr, le tout est saupoudré d’un paternalisme supposé bienveillant…

Ces mouvements ont, depuis toujours, un auditoire conséquent outre-Atlantique, de part leur approche enveloppante et rassurante – du moins en apparence. Les scènes de manifestations sont à ce titre révélatrices, tant les militants pro-life savent utiliser les codes et la force de leurs adversaires pour renverser les valeurs. Ainsi, la violence serait du côté pro-choix.

Évidemment le ton du documentaire est sans ambiguïté. La narratrice y est très présente, s’exprimant, réagissant, à ces militants conservateurs dans une mise en scène permanente. Cette manière de commenter, d’intervenir, donne une impression de proximité. Le spectateur est véritablement guidé dans, biaisant la construction d’un regard véritablement critique. Dommage donc que le chemin soit presque trop tracé, et le chœur un peu trop bavard.

La Peur au ventre

Pourtant quelle importance que de continuer à emprunter, à défendre ce chemin et c’est bien l’objet de ce film ! La force des mouvement anti-avortement, leurs soutiens politiques, leur représentativité dans le monde, sont finement montrés et analysés et c’est indispensable, dans un monde où les extrêmes réactionnaires sont au pouvoir ou en passe de l’être et qui voit un peu partout des processus de réduction des droits de tout les non-dominants (soit tout ce qui n’est pas cis-hétéro et blanc).

Ce documentaire d’utilité publique mérite une audience la plus grande qui soit, tant son actualité est ardente. A ce titre, et pour ses rappels historiques indispensables et ses témoignages permettant de mettre en évidence l’instrumentalisation de la lutte anti-IVG par les Conservateurs, voir La peur au ventre est nécessaire pour ressentir celle-ci, et rappeler une énième fois qu’en ce qui concerne le droit des femmes à disposer de leur corps, rien n’est jamais acquis.

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