Tim Mielants « Tu ne mentiras point » (« Small things like these »)

Quelque part en Irlande en 1985, Bill Furlong (Cillian Murphy) modeste entrepreneur dans la vente de charbon, tache de maintenir à flot son entreprise, et à subvenir aux besoins de sa famille. Un jour, dans la remise du couvent de la Madeleine, il assiste à une dispute entre deux femmes. Une jeune fille lutte contre sa mère qui la contraint à entrer dans le couvent. Ce secret longtemps dissimulé va le confronter à son passé et au silence complice d’une communauté vivant dans la peur.

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Avec Small thing like these, Tim Mielants ne s’appesantit pas sur le « comment ». Il ne sera pas question de la démonstration d’une combine, finalement rudimentaire, en faveur de la cause de ces femmes victimes de ces lieux quasi carcéraux. S’il évoque les mêmes faits terribles et le même établissement que dans le film de Peter Mullan, le cinéaste belge flamand ne refera donc le film coup de poing qu’était The Magadalene Sisters aussi méticuleux qu’enragé. Ce n’est d’ailleurs pas un film dossier duquel on sort enrichi de connaissances précises sur ce scandale. Il suscite tout au plus de la curiosité assouvie par la lecture d’articles. Le spectateur qui aura vu le Peter Mullan pourra mieux saisir ce qui se dissimule dans l’ombre de Tu ne mentiras point mais sa beauté justement se situe dans le non dit, le non expliqué, le questionnement, pour une œuvre qui fait glisser dans un cauchemar diffus aux frontière de l’onirisme, dans la sensation d’une certitude qui s’efface et métamorphose l’existence en errance à l’intérieur d’un monde qui devient occulte, et à l’intérieur de soi, dans son propre rapport à la morale. C’est bien l’abîme que creuse le cinéaste plutôt que les pistes d’interprétation nombreuses, les gestes de Furlong emporté dans cette tenace inquiétude. Il ausculte son être tout entier. La somptueuse direction photo qui incite le spectateur à se frayer un chemin dans ce voyage au bout de la nuit épouse ce flou perceptif de cet anti-héros, cette descente et accompagne sa prise de conscience. Tous les yeux sont rivés sur Murphy. Après une première collaboration à l’occasion de la réalisation par Mielants de quelques épisodes de la saison 3 de Peaky Blinders, les deux hommes se retrouvent pour un projet dans lequel Murphy est également producteur.

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Tout part donc de l’acteur, de la circulation de son corps et de son regard. C’est avant tout son quotidien qui accroche l’œil, point central de cette chronique ancrée dans un cadre prolétaire au milieu des années 80. Le milieu social se matérialise à travers une constance économique, la circulation de l’argent, qui manque, que l’on économise ou bien qui est distribué par Furlong, petit patron, déjà de bonne composition. Cet homme, rude travailleur, charbonne sans relâche, ne renâcle pas. Son regard se pose cependant avec bienveillance sur les siens. Il semble toujours veiller sur ceux qui croisent son chemin, osant parfois quelques consignes de conduite. Jamais il ne hausse le ton. Au-delà de ses actions, le personnage intrigue de par l’opacité de ses émotions, le visage magnétique de l’acteur absorbant toute l’attention de Mielants. Il faut du temps pour s’habituer à ce visage, l’étudier, tenter d’en percer les secrets, y projeter quelque chose de tangible, l’interpréter, ou simplement en examiner la beauté. Ce n’est pas la première fois au cinéma que le flegme est empreint de fascination, mais une fois encore la magie opère.
Dans cet ensemble routinier, le labeur du charbon envahit tout, s’incruste sous les ongles. Consciencieusement, Furlong opère un petit rituel. Face à la glace, cette confrontation hygiénique, à s’observer soi-même en se frottant les mains, devient un instant d’introspection. Il regarde son reflet jusqu’à s’y perdre, plonger dans ses pensées et à cet endroit lâche prise. Le subconscient prend le dessus. En plus de la crasse restée sur les mains, il doit se débarrasser d’autre chose, plus encombrant, qui ne part pas au passage du savon. Dans le film dès lors s’ouvre une faille donnant lieu à de fréquents flash-back de sa jeunesse. Un point traumatique est ressassé. Une fois encore Cillian Murphy est celui qui observe, par deux fois, en ruminant un souvenir dans lequel il assiste à un événement derrière une vitre. Plus important, chaque épisode est introduit ou conclu par un plan du regard de Murphy, dans le vague. Alors que toute la partie contemporaine est remarquablement incarnée, ces retours réguliers à l’enfance de Furlong, inscrite dans ses entrailles, manquent souvent de chair et sont plus archétypiques. Ils se présentent comme autant de ressassements d’un épisode qui dévoilent au fur et mesure ses subtilités, les rôles joués par les uns et les autres et forment le point traumatique de Furlong. C’est aussi à cet endroit que surgit une culpabilité qui dépasse l’événement. La même passivité se reconnaît 40 ans plus tard.
Si cet usage généreux du flash-back relève du réflexe narratif, il est heureusement enrichi par le retour constant à Murphy qui l’étoffe d’une prégnance christique. Furlong se saisit de ses remords pour les offrir en tant qu’essence religieuse. Dans les ultimes séquences, le trauma psychologique se revêt de l’iconographie prophétique. Par l’alliance entre le trauma originel et la rédemption, toutes ces petites choses prennent corps. Dire que Cillian Murphy porte le film tient de l’euphémisme, il le contient littéralement, l’habite de son mutisme de façon quasi bergamanienne, transmettant génialement son silencieux enfer intérieur.

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