Pour son premier long-métrage, Lawrence Valin nous plonge dans un univers qu’il a commencé à explorer dans ses deux premiers courts, celui de la mafia tamoulaise parisienne. Plutôt classique, l’arche narrative policière, une infiltration au cœur d’un réseau de blanchissement d’argent, est surtout un point d’encrage pour une immersion réussie au sein d’une communauté peu représentée dans le cinéma français, à l’exception notable du Deepahan (2015) de Jacques Audiard. Et, pour surtout aborder des questions liées à l’identité. Il se dégage de Little Jaffna un bon nombre de qualités qui le rendent prenant et touchant. Lawrence Valin possède un regard singulier, une mise en scène à ligne claire, sans esbroufes, qui le place comme un réalisateur à suivre avec intérêt. Pour tout cela, nous avons eu envie de nous entretenir avec lui.
Le récit qui se passe dans la communauté Tamoule en France vient en écho de la guerre civile au Sri Lanka. Vous avez réussi, et ce n’est pas simple, à rendre le plus clair possible sans didactisme cet aspect politique. Comment avez-vous travaillé cet aspect du scénario ?
En fait, ce que qui était très important c’est que, contrairement à moi qui ai baigné dans ce conflit, les gens qui allaient voir le film ne connaitrait surement pas les événements. Je voulais donc que les faits soient explicités, qu’ils imprègnent l’atmosphère. Il fallait que j’arrive à les disséminer un peu partout pour que le spectateur comprenne progressivement les enjeux. Ainsi, à différents moments des faits sont évoqués. Des éléments d’archives, des témoignages historiques. Tous les conflits ne trouvent pas le même écho dans les médias. La guerre civile au Sri Lanka n’a pas fait la une de l’actualité en France. Dans la recherche d’archives, j’ai trouvés peu d’images. Aujourd’hui encore la situation Tamoule est dramatique. Il n’y a pas de reconnaissance du génocide. Il y a un nombre important de personnes disparues, des enfants. Pour pouvoir parler de ce conflit à grande échelle, il fallait que je passe par un polar, un genre qui parle au plus grand public.
Le personnage que vous interprétait, Michael, effectue une mission d’infiltration au sein d’un groupe de malfaiteurs. A cours de cette immersion dans sa culture d’origine, son attitude est relativement neutre et discrète. Vous avez dessiné ainsi votre personnage pour laisser le plus de latitude au spectateur ?
Exactement, comme dans Ghost Dog de Jarmusch ou Le Samouraï de Melville, je souhaitais mettre en scène un personnage taiseux. De plus, un policier intégré, par essence doit s’effacer pour observer. Créant ainsi un contraste avec tous les hommes forts qui l’entourent et qui ne cessent d’exprimer leur puissance par le verbe, les menaces… Dans la caractérisation des personnages, dans leurs relations, j’ai essayé le plus possible d’aller contre les schémas habituels de ce type de récit. Par exemple, le plus souvent le personnage principal noue une relation intime avec une héroïne du film. Il pourrait être également obligé de faire un choix entre sa communauté d’origine et sa nationalité française. Ici, non, car son parcours n’est pas balisé.
Pour réussir un bon polar, il faut un méchant qui inspire la peur. C’est le cas d’Aya. Si ses exactions et sa capacité aux pires violences sont mises en avant, ses idéaux, ses valeurs le caractérisent également. Il n’est pas jugé en tant que malfaiteur mais davantage présenté dans sa dimension humaine ? Comment avez-vous choisi l’acteur (Vela Ramamoorthy) qui apporte toute cette ambiguïté ?
Il est représenté dans son rôle de père. Capable de souffler le chaud et le froid en même temps. Mener ses troupes à la baguette et faire preuve d’un paternalisme protecteur par moments. Vela Ramamoorthy est un acteur célèbre en Inde, il dégage une aura et une énergie qui apparaît immédiatement sur le plateau. C’était son premier film en France, mon rôle a été de le guider.
La trame est celle d’un polar, les deux prix que vous avez obtenu au Festival du film policier de Reims en témoignent, cependant les événements de nature personnelle ou sociaux (poids des traditions) qui se déploient nous amènent sur un terrain plus dramatique. Ce sont ces enjeux qui vous intéressent le plus ?
J’aime mélanger les genres. Je n’ai pas envie que le film se résume à un polar, à un film de banlieue, à une chronique sociale. Le cinéma coréen est un modèle en cela. Dans Little Jaffna, c’est ce que j’ai essayé de faire. Pour revenir à la dimension policière du film, j’ai souhaité qu’elle soit la plus simple possible. Au départ, je pose le cadre, celui de l’infiltration, puis ensuite je ne fais pas intervenir une multitude de rebondissements, ni de personnages. Ce qui m’intéresse davantage c’est la plongée dans une communauté, c’est la façon dont les hommes et les femmes se construisent.
Les scènes d’action ne manquent pas de punch et de nervosité, cependant vous privilégiez le plus souvent un montage, une mise en scène qui laissent le temps à la psychologie, aux jeux de regard de créer les tensions entre les personnages.
J’ai l’impression d’avoir fait un thriller familial qui peut toucher les jeunes, par son dynamisme, et les moins jeunes aussi. Le public sénior aime beaucoup le film, car il y a beaucoup d’amour dans le film, je laisse le temps aux personnages d’exister.
Le film a été bien accueilli à Reims et dans d’autres projections. Quels sont les compliments qui vous ont le plus touché par leur exactitude ?
Ce qui me touche le plus c’est quand on met en avant l’interprétation. Je suis comédien de formation, je suis passé réalisateur en partie pour avoir l’opportunité de jouer des rôles que l’on ne me confiait pas par ailleurs. Quand j’ai des retours sur l’ensemble des jeux d’acteur, je suis comblé, car j’ai fait un film collectif. Nous avons tous été porté par le film.
Quelques mots sur votre prochain votre prochain projet.
J’ai écrit un scénario. Je suis dans le temps dans la réflexion concernant les producteurs que je vais contacter.
Entretien réalisé par téléphone le 28 avril 2025. Merci à Lawrence Valin pour sa disponibilité et sa sympathie. Ainsi qu’à David Fajol (MENSCH Agency), l’attaché de presse qui a organisé ce moment.
Lire également l’article sur le film.
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