Accident domestique est un piège terrible en soit. Présenté comme une petite comédie horrifique Espagnole, le film démarre comme tel, avant de rapidement glisser dans tout autre chose. Le spectateur se retrouve alors enlisé dans une intrigue poisseuse, nouée autour du couple de protagonistes, parents d’un petit bébé depuis peu.

Tout part de l’achat d’une table, kitsch et laide à souhait, véritable objet symptôme cristalisant tous les enjeux d’une vie de couple pas si facile. En effet, la discussion, ou plutôt la dispute, avec le vendeur révèle toutes les frustrations et les fêlures qui rongent Jesus (joué par David Pareja) et Maria (magnifique Estefania de los Santos).

Accident domestique: Eduardo Antuña, Estefanía de los Santos, David Pareja (II)

Lorsque Jesus – papa en forte demande narcissique – entame un drôle de chemin de croix avec son lourd carton contenant sa table toute neuve, il se retrouve confronté aux délires adolescentes de sa jeune voisine ou aux choix de vie de son frère, tout laisse penser qu’on a là une satire sociale contemporaine. Pour donner la réplique à son cher mari, Maria – l’archétype sacré de la Mère – apparaît en surplomb, complètement surmoïque. Puis, l’accident inéluctable survient et dès lors, le ton du film change de manière radicale.

Le film de Caye Casas interroge le positionnement suivant : qu’elle est la part de gratuité dans un geste cinématographique, dont le visionnage en éprouvera plus d’un ? La réaction des personnages face à une situation sidérante est un enjeu clé du film, et la réponse à la question précédente se situe dans la capacité de l’auteur à travailler avec les projections du spectateur.

Accident domestique: Estefanía de los Santos

La démarche du réalisateur n’est d’ailleurs pas sans rappeler Funny games de Haneke, dans lequel l’Autrichien explorait le regard du spectateur sur une violence réaliste, et dont la volonté était de faire sortir le public de la salle. Mais, à son grand dam, l’effet inverse s’est produit et l’œuvre devait bientôt devenir culte, mettant en évidence la fascination que peut exercer la représentation de l’horreur, si insoutenable soit-elle.

En clair, le mécanisme horrifique mis en jeu dans Accident domestique va au-delà d’une éventuel empathie face à la souffrance ou vis-à-vis de la survie d’un protagoniste, comme ça serait le cas dans un torture porn, comme Massacre à la tronçonneuse par exemple. En effet, sous une apparente légèreté – et par ailleurs discutable – le long-métrage veut convoquer des peurs puissantes, car bien plus concrètes. Après avoir renoncé à condamner le protagoniste, en tant que témoin, que ferait-il à sa place ? La question elle-même est impossible à formuler.

Accident domestique: David Pareja (II)

Grâce au spectateur/témoin, Casas invite à une expérience de pensée, si déplaisante soit-elle, qui s’attache à décrire différent états psychiques face à un choc. Si le film est pour le moins malaisant, il permet de plonger dans les tréfonds de la matière humaine qui constitue Jesus, Maria et les autres, pour en extraire quelque-chose d’essentiel. Ainsi, par leur martyr, ils accèdent à une dimension universelle. En un sens, ces personnages de fictions sont portés à l’écran, à l’image du fils de Dieu dans la Bible, pour se sacrifier à l’instar du Christ sur sa croix.

« Accident domestique » pourrait sombrer d’un moment à l’autre dans le mauvais goût ou le grand guignol, mais reste constamment sur le fil, entre humour très noir et tragédie, et ne sacrifiant jamais l’un à l’autre. On rit un peu, mais de façon cathartique, pour se protéger de notre propre tension, car l’abîme du héros file le vertige. Il y a quelque chose de l’ironie de Frédéric Brown dans la manière dont la cruauté absurde du destin s’accorde avec le prosaïque, incarné ici par cette table basse toute moche qui précipite une famille dans l’enfer. Caye Casas rappelle parfois le meilleur d’Alex de la Iglesia mais il n’utilise jamais le grotesque comme catharsis ou porte de sortie, ne prend jamais aucune distance ce qui rend le film d’autant plus étouffant. L’utilisation du hors champ, géniale, peut-être encore plus pénible que l’explicite. L’expérience est à la fois désagréable et impressionnante.

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