Dernière venue au sein du Splendid, où elle remplace Valérie Mairesse, Josiane Balasko demeure peut-être la figure la plus marginale de la bande. Active au théâtre depuis le début de la décennie 70, elle ne se contente pas de jouer, mais écrit et met en scène de nombreuses pièces parmi lesquelles Nuit d’ivresse (1985) ou Un grand cri d’amour (1996). Cette activité la mènera fort logiquement à signer pour le cinéma des scénarios, d’abord en adaptant les succès de sa troupe (Les Bronzés et sa suite), puis en collaborant aux côtés de Jean-Loup Hubert (L’Année prochaine…si tout va bien) mais aussi d’un certain Jean-Marie Poiré, à l’occasion de son deuxième long-métrage, Retour en force. C’est entre autres par cette polyvalence qu’elle va prendre une place croissante dans le paysage du cinéma populaire français au cours des années 80. Elle s’impose à la fois comme une actrice prête à endosser des rôles faussement ingrats mais également une autrice qui aime sortir de sa zone de confort tant dans le choix de ses collaborateurs que des thématiques qu’elle va aborder. Après s’être intéressé à la filmographie de Gérard Jugnot en tant que cinéaste, Rimini Editions se penche sur les films écrits et réalisés par Balasko. Une collection impulsée par deux premières sorties, représentatives du double versant de la carrière de celle-ci : Les Hommes préfèrent les grosses et Sac de nœuds.

Les Hommes préfèrent les grosses – copyright Rimini Editions
Les Hommes préfèrent les grosses de Jean-Marie Poiré (1981)
Après être apparue dans le premier long-métrage de Jean-Marie Poiré, Les Petits câlins, et avoir dialogué à ses côtés Retour en force, qu’ils destinaient initialement à Georges Lautner, Josiane Balasko poursuit sa collaboration avec le cinéaste. Bien décidée à s’écrire un premier rôle, elle s’attelle cette fois à une comédie qu’elle imagine comme le pendant féminin des films portés par le duo Jerry Lewis/Dean Martin, et souhaite en confier la réalisation à son ami. Tous deux rédigent alors le script de ce qui deviendra Les Hommes préfèrent les grosses, porté par Balasko donc, mais également certains de ses camarades du Splendid ou gravitant autour de la troupe, tels que Thierry Lhermitte, Dominique Lavanant et Martin Lamotte. L’actrice y interprète Lydie, une jeune femme mal dans sa peau, qui vient de se faire plaquer par l’homme avec qui elle venait d’emménager. Elle décide alors de partager son appartement avec une colocataire qu’elle veut plus moche qu’elle, afin de conserver toutes ses chances auprès des garçons. Un pitch gentiment provocateur dans lequel la comédienne s’amuse à dépeindre un pan de la société française.

Les Hommes préfèrent les grosses – copyright Rimini Editions
Dans son entretien présent en bonus de cette édition, Josiane Balasko décrit, avec une certaine tendresse, le film comme un pur produit des 80’s. Une séquence cruciale située aux Bains Douches, la bande originale composée de titres de Marquis de Sade ou Talking Heads l’inscrivent effectivement dans son époque, tout comme le score composé pour l’occasion par Catherine Lara. Pourtant, formellement, le long-métrage ne semble pas pour autant daté. À un plan en fish eye et quelques jump cuts près, Jean-Marie Poiré fait même preuve d’une certaine retenue, loin des excès qui deviendront sa marque de fabrique au fil des années. La photo quasi naturaliste de Bernard Lutic (qui mettra en lumière Révolution de Hugh Hudson) prend quant à elle le parti-pris de s’écarter du kitsch clinquant alors en vogue, se rapprochant de l’atmosphère de la décennie précédente. Une sobriété étonnante compte tenu de la diversité d’humours abordés avec beaucoup de talent. Gags burlesques, quiproquos, comique de situation, dialogues savoureux (l’homme au manteau de fourrure appelé Michel Strogoff), s’enchaînent sans baisse de rythme. Plus encore, la comédie s’avère même audacieuse dans ses effets de montage, comme lorsque le son d’une conversation téléphonique déborde sur la séquence suivante. Ce qui trahit, en revanche, son ancrage dans une décennie précise, c’est la manière dont Balasko aborde sans détour le culte du corps. Dès son introduction, qui suit différentes personnes faisant un footing dans un parc, le film sépare son héroïne du monde qui l’entoure. Là où ses contemporains sont en quête de perfection, de réussite (y compris son amie Arlette, campée par Dominique Lavanant, working girl adepte de karaté), Lydie, elle, choisit de s’écarter de la norme afin de tracer sa propre voie.

Les Hommes préfèrent les grosses – copyright Rimini Editions
La comédienne/scénariste revient également sur la place des femmes dans le cinéma français de la fin des années 70, marquée par les films de Claude Sautet, entre autres. Des histoires d’hommes où le « sexe faible » n’existe qu’à travers le regard des héros. C’est dans ce contexte qu’elle choisit de valoriser une protagoniste à part, pleine de complexes, simple employée de bureau dont l’ambition professionnelle ne semble pas être la priorité. Un rôle que Josiane Balasko tiendra par la suite de manière récurrente, notamment dans Trop belle pour toi, huit ans plus tard, et qui s’oppose ici à Eva, interprétée par la mannequin Ariane Lartéguy. Si l’apprentie actrice ne s’avère pas des plus à l’aise dans les scènes de comédie, elle apporte une candeur à ce personnage qui révèle l’un des aspects les plus singuliers du long-métrage : son propos d’une étonnante modernité. Entre les deux femmes, pourtant opposées en tout, se tisse une relation touchante, une sororité générée en réaction à leurs homologues masculins. Lâches, menteurs, veules, pathétiques, ces derniers cumulent les tares. Entre un Martin Lamotte en mari adultère qui fuit au lieu d’assumer les conséquences de ses actes, et un Thierry Lhermitte, vegan progressiste, qui se révèle d’une misogynie crasse, pas un seul individu peut rattraper l’autre. Une galerie de sales types, qui se double ici d’une attaque en règle contre le mépris de classe d’une certaine bourgeoisie parisienne. Gérard, le frère de l’héroïne, simple poissonnier, passe son temps à vouloir être intégré par la haute, qui n’a pour lui que condescendance. Ce rôle, initialement écrit pour Michel Blanc (dont le refus généra une brouille passagère, comme le révèle Balasko), finalement tenu par Luis Rego, est à la base d’une très belle relation entre les deux membres de la fratrie. L’un souhaite à tout prix rentrer dans le cercle des personnes à la mode, quitte à se renier, quand l’autre trouve son bonheur en étant elle-même. Le salut réside dans la marginalité où même les pires individus ont un espoir de rédemption, à l’instar du personnage de Daniel Auteuil, paumé initialement détestable qui se révèle de plus en plus attachant. À la fois pleinement ancré dans son temps et visionnaire par bien des aspects, Les Hommes préfèrent les grosses préfigure la carrière à venir de sa scénariste, dont le premier long-métrage derrière la caméra ne fera que confirmer les aspirations.
« Sac de nœuds » de Josiane Balasko (1985)
En 1985, Josiane Balasko est la troisième membre du Splendid à passer derrière la caméra. Un an auparavant, Gérard Jugnot a rencontré le succès en réunissant 2,4 millions de spectateurs pour Pinot simple flic tandis que Michel Blanc s’est imposé comme le champion du box-office hexagonal en dépassant les 6 millions d’entrées avec Marche à l’ombre. En groupe ou en solo, la mythique troupe est plébiscitée dans une période par ailleurs extrêmement riche pour la comédie française. En effet, si un poids lourd comme Gérard Oury semble marquer le pas qualitativement (La Vengeance du serpent à plume) en comparaison aux deux décennies précédentes, Claude Zidi est quant à lui toujours aussi populaire auprès du public (Les Sous-doués, Inspecteur la bavure, Les Ripoux), Bertrand Blier tient son rang dans le registre d’une comédie d’auteur qui sait s’adapter (Beau-père, La Femme de mon pote), sans oublier l’émergence fracassante de Francis Veber (La Chèvre, Les Compères).

Sac de nœuds – copyright Rimini Editions
Pourtant, la comédienne va passer à la mise en scène presque par défaut. Comme elle l’explique dans son interview proposée en supplément, elle était peu désireuse de se frotter à une discipline qu’elle connaissait mal, notamment sur le plan technique. Elle acceptera, poussée par des producteurs qui peinent à trouver une personne prête à réaliser Sac de nœuds. À l’origine de l’idée du film, Josiane Balasko et un prometteur jeune scénariste, un certain Jacques Audiard, qui a notamment travaillé aux côtés de son père sur les scripts de Mortelle Randonnée de Claude Miller et Le Professionnel de Georges Lautner. Côté casting, elle souhaite sortir de son entourage cinématographique habituel (et d’une certaine manière de sa zone de confort) pour créer un couple de cinéma inédit. Elle désire travailler avec Isabelle Huppert, dont le tempérament comique vient de se révéler par fragments dans Coup de Torchon et La Femme de mon pote, alors que Claude Berri lui suggère Anémone pour le rôle de Rose-Marie. Le réalisateur de Tchao Pantin abandonnera la production au profit de Marie-Laure Reyre qui avait officié précédemment sur Possession et L’Effrontée. En fin de compte, une femme en produit une autre pour un film méconnu (ou oublié), parfois inégal mais à bien des égards précurseur, qui détonne dans la filmographie de sa réalisatrice que dans le paysage du cinéma populaire des années 80.
Anita (Josiane Balasko), seule et au bout du rouleau, décide de se suicider. Mais son projet est contrarié par l’arrivée inopinée du couple du dessus, Rose-Marie (Isabelle Huppert) et son mari, venus poursuivre chez elle l’une de leurs innombrables disputes. Mais cette fois, Rose-Marie plante un couteau dans le ventre de l’homme violent. Pour les deux femmes, c’est le début d’une folle cavale.

Sac de nœuds – copyright Rimini Editions
Sac de nœuds est moins une réussite franche que l’affirmation d’une identité marginale au sein d’un cinéma populaire en manque de diversité dans ses représentations. Il fait en ce sens l’effet d’une profession de foi parfois maladroite, mais continuellement sincère. Il impose immédiatement une surprenante noirceur, une violence « maquillée » puis explicite, un cadre social défavorisé où dominent des couleurs ternes. Dès les premières minutes s’imposent des motifs troubles, pour ne pas dire glauques : précarité, prostitution, meurtre, suicide… Cette gravité est paradoxalement rapidement contrariée par une volonté ponctuelle de décalage tour à tour grinçant et hilarant. Un contraste signifié par une mise en scène souvent adroite dans la composition des cadrages. Au moment d’introniser les deux héroïnes, Isabelle Huppert apparaît au premier plan tandis que Josiane Balasko se démarque à l’arrière-plan d’une boutique. Deux personnalités et deux tempéraments de jeu qui se distinguent. Elles incarnent ici une même sociologie, des femmes malmenées évoluant dans une France périphérique, bientôt contraintes par les événements de reprendre leurs existences en main par l’illégalité.
La blessure dissimulée sur le visage de Rose-Marie est bientôt contextualisée avec l’entrée en scène de son mari (Daniel Russo), policier beauf et maltraitant qui passe ses nerfs sur sa femme, sans la moindre raison. La violence est d’abord suggérée, puis montrée. La gravité et l’empathie de la néo-réalisatrice n’excluent pas un soupçon de sarcasme un brin cruel, comme lorsque l’époux et l’épouse s’affrontent dans l’appartement. Ils s’opposent autour d’un poste de télévision qui fait littéralement écran et diversion entre eux : accessoire anecdotique ou un commentaire en creux sur l’usage d’un médium tourné discrètement en dérision pour le grand-écran ? Peu importe, Sac de nœuds va dès lors se construire sur des quiproquos et s’emballer sur des contours de polar, traduisant les deux personnalités impliquées à l’écriture, Jacques Audiard et Josiane Balasko. Aux deux femmes recherchées vient s’ajouter un détenu évadé à deux semaines de sa sortie. Le récit de cavale s’enrichit d’intrigues secondaires parcourues par la vengeance, le deuil et la volonté de règlement de compte.

Sac de nœuds – copyright Rimini Editions
Le film se pose en road-movie décalé traversé d’inspirations et de personnages multiples. Il se plaît à varier les horizons sur un spectre allant de la comédie burlesque au drame social. Au sinistre latent, ce sont des joutes verbales entre les deux actrices qui vont progressivement apporter un souffle et des respirations à des situations intrinsèquement étouffantes. La composition premier-degré d’une Isabelle Huppert blonde, transformant sa rigueur technique en candeur de jeu, se marie à la gouaille naturelle d’une Josiane Balasko incarnant une vitalité désespérée, troublante et touchante. Dans ce premier long-métrage qui ose sortir des sentiers battus, quitte à se chercher et ne se trouver pleinement que par intermittences, la fluidité des ruptures de tons et la qualité des dialogues (a priori principalement l’apanage de l’actrice/scénariste/réalisatrice) sont des atouts de poids. On pense à cette scène où les deux femmes qui viennent de passer une nuit à la rue sont prises pour des prostituées ou encore une scène de vengeance annoncée qui verra Anita se rapprocher de la femme (campée par Dominique Lavanant) du médecin responsable de la mort de son fils.
Josiane Balasko qui n’a fait aucun mystère de sa volonté de faire ses Valseuses au féminin convoque une partie du casting de La Femme de mon pote. Outre Isabelle Huppert, elle embarque Coluche pour une savoureuse apparition ainsi qu’une figure singulière alors en pleine ascension, Farid Chopel. Au cours de l’un des micros-récits sur lesquels progressent Sac de Nœuds, on retrouve Jean Carmet dans un rôle tourmenté, évoquant les heures sombres de l’Histoire, à savoir le souvenir des années 40. Ce fantôme de l’horreur, opposé aux dures réalités et aux inégalités que subissent (ou ont subi) les membres du trio central, n’instaure pas de comparaison directe entre les douleurs, mais traduit une volonté de donner la parole à des individualités désavantagées qui désintéressent le cinéma français de l’époque. Balasko a en ce sens un temps d’avance. Lors d’une parenthèse utopique à la campagne, elle ouvre la possibilité d’un « trouple » à l’écran, composé de deux femmes et un homme, prenant la suite symbolique du Pourquoi Pas ! de Coline Serreau, réalisé près de dix ans plus tôt. Les deux femmes partagent une certaine liberté morale qu’elles ont réussi à exercer à une échelle plus ou moins importante.

Sac de nœuds – copyright Rimini Editions
Ses qualités avérées, ses efforts et intentions, l’emportent sur ses limites (un délitement relatif du récit, un rythme aléatoire, bande-son un brin ringarde), faisant de Sac de nœuds une œuvre attachante qui mérite d’être redécouverte. Ce sera un échec relatif en salle avec 633 220 entrées, un score a posteriori loin d’être déshonorant au vu de la teneur du film. Josiane Balasko repassera néanmoins derrière la caméra deux ans plus tard et connaîtra son premier succès en tant que réalisatrice avec Les Keufs qui dépassera le million d’entrées. L’édition proposée par Rimini pour accompagner cette ressortie de ce coup d’essai bénéficie d’une copie restaurée de qualité. Un court module en bonus permet de comparer le matériau d’origine et le nouveau master, afin de mesurer le travail effectué. Outre un teaser et une bande-annonce, le disque s’enrichit d’une interview très intéressante d’une Josiane Balasko généreuse et sans langue de bois qui partage ses souvenirs. Elle révèle la présence de Claude Miller comme consultant (jamais présent selon ses dires) ou avoue ne pas avoir du tout aimé le film à sa sortie avant de le réévaluer plus tard.
Les Hommes préfèrent les grosses et Sac de nœuds, disponibles en Blu-Ray chez Rimini Editions.
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