La collection Make My Day ! lancée par Studiocanal et Jean-Baptiste Thoret il y a de ça maintenant près de sept ans, n’en finit plus d’exhumer des pépites rares et, pour certaines, quasiment invisibles depuis leur sortie. Polar nerveux méconnu, voire oublié, tourné en 1960, qui suit le retour aux affaires de Philip Bowman (William Lucas), tout juste sorti de prison et remis sur un gros coup par ses anciens complices, Les Professionnels fait partie de cette catégorie. Réalisé par Don Sharp, qui n’est pas encore devenu l’un des cinéastes récurrents de la Hammer (Le Baiser du vampire, Raspoutine, le moine fou) et metteur en scène de bon nombre d’épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir, sa découverte en Blu-Ray l’impose comme un modèle d’efficacité et de précision.

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Avec sa durée extrêmement resserrée (à peine plus d’une heure), Les Professionnels joue la carte de la concision, sans pour autant sacrifier ses personnages ou ses enjeux. Son scénario épuré, « à l’os », signé Peter Barnes (connu pour ses adaptations télévisées d’Alice au pays des merveilles ou de Merlin, avec Sam Neil) maintient ses protagonistes dans un état d’urgence constant. Sharp quant à lui multiplie à l’écran les motifs de montre et d’horloges, faisant du temps le véritable antagoniste, épée de Damoclès qui met en péril leur plan et leur vie à chaque seconde. Quelques jours pour préparer le casse et seulement trois minutes pour l’exécuter, une hâte qui exige de la méthode. Le groupe doit donc s’organiser, se coordonner, calculer le moindre geste sur des miniatures, à l’échelle, tel un dessin au carreau. Le braquage en lui-même, orchestré dans le détail, occupe à lui seul les deux tiers du long-métrage. Entre la menace de la police, la force nécessaire pour atteindre leur butin, et une certaine prudence (les fioles de nitroglycérine qui risquent d’exploser à tout moment), la mise en scène varie les motifs d’angoisse. Un morceau de bravoure sec, tendu et dénué de dialogue, que Jean-Baptiste Thoret, dans sa présentation, compare à juste titre au climax du Trou de Jean Becker, sorti la même année et précédemment paru dans la collection Make My Day !. Une longue séquence qui n’est également pas sans évoquer le vol de la bijouterie dans Le Cercle rouge. Si la modeste série B de Don Sharp n’a certainement pas inspiré le chef-d’œuvre de Melville, les deux films partagent une même ambiguïté morale, et un plaisir commun à abolir les frontières entre les criminels et les forces de l’ordre.

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Le réalisateur met sur un pied d’égalité les deux camps. Deux catégories de professionnels (comme le titre l’indique) qui, au fond, agissent selon leurs propres codes et ne font que ce pour quoi ils sont doués, préfigurant les personnages de Michael Mann. Une rivalité mais aussi un respect et une complicité s’instaurent entre les braqueurs et les flics, qui se connaissent, se croisent, dialoguent même. Bowman répond ainsi avec malice « Je gagne plus que vous » à l’inspecteur Rankin (campé par Andrew Faulds, vu dans Jason et les Argonautes) qui lui propose de lui payer un verre. Le revers de la médaille est que ce sacerdoce leur interdit de se ranger. À l’instar des héros chers à l’auteur de Heat, c’est même la tentation d’une vie normale, être en couple voire se marier, qui finit par les condamner. Entièrement dédiés à leurs activités criminelles, la moindre entorse à leur credo ascétique entraîne leur chute, les sentiments n’ont ici pas le droit de citer. Des hommes qui sont ce qu’ils font en somme, comme le stipule Thoret, selon une maxime toute hawksienne. Un professionnalisme qui éveille même les soupçons, peu de personnes étant capables de réaliser un tel coup en si peu de temps. Le long-métrage s’écarte également du tout venant du polar dans sa manière de présenter des personnages simples, des messieurs tout le monde propres sur eux, à mille lieux de l’archétype du gangster.

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Les Professionnels s’amuse constamment des faux-semblants. Dès son introduction, Sharp présente un duo de policiers tout droit sorti d’un film noir hollywoodien de l’âge d’or. Vêtus de gabardines et de fédora, ils se révèlent rapidement être des braqueurs déguisés. Une manière de jouer sur les apparences et les clichés pour mieux tromper leurs victimes et le spectateur. Ici, tout le monde peut tout autant être un criminel qu’un flic. Seule la très jolie photo de Michael Reed (Au service secret de Sa Majesté) se plait d’ailleurs à contraster à l’extrême les noir et blanc pour mieux souligner la dichotomie. Ici, une banale scierie abrite la planque des braqueurs, un vieil homme affable se révèle être un informateur zélé… Même l’atmosphère du long-métrage feint une nature typiquement américaine, reléguant les éléments british hors-champ (seuls quelques Bobbies trahissent son origine). Finalement, cette histoire classique et universelle de voleur tenté par un ultime coup risqué, pourrait se dérouler n’importe où. Mais là où le jeu sur les trompe-l’œil est le plus abouti, c’est dans son montage. Ainsi, Don Sharp va user de cuts soudains pour jouer avec nos nerfs. Un coup de burin dans un mur, qui se voudrait le plus discret possible, « déclenche » une sonnerie de téléphone, ou encore, un plan sur une voiture de police indique que les braqueurs sont repérés et sur le point d’être arrêtés avant que le cadre ne s’élargisse et dévoile un film projeté sur un écran de cinéma. Jusqu’à sa dernière image aussi tragique que sarcastique, Les Professionnels s’impose comme une œuvre ludique, prenante, une vraie découverte qui se joue des archétypes et poncifs afin de mieux nous surprendre.
Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal.
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