Dario Argento – « The Card Player »

La mélancolie du hors-champ

Prétextant une n-ième histoire de serial killer, Argento dresse un amer constat de notre rapport à l’image dans une société dominée par la médiatisation de la violence. Sobre et désabusé, The Card Player démontre que Dario Argento reste le grand cinéaste du regard.

L’heure de l’excès baroque, des couleurs rougeoyantes et des crimes chorégraphiés est révolue. Argento a vieilli et ses héros aussi : marqués par la vie, ironiques, blasés. Plus proche d’eux, il leur donne plus d’épaisseur et de chair. Stéfania Rocca incarne avec subtilité cette évolution de l’héroïne argentesque, mature, mais conservant dans les yeux la candeur de la Jennifer de Phenomena. L’intérêt de Card Player ne réside pas dans son intrigue qui intéresse peu Argento, expédiant parfois maladroitement ses transitions et ses personnages secondaires.

Capture écran DVD © TF1 Vidéo

Il préfère poursuivre sa réflexion sur la représentation de la violence mais pour la première fois sans la montrer. Plutôt que de se répéter, Argento expérimente. Sobre et épuré, son style témoigne d’une certaine mélancolie de la vie… et du cinéma. Tourné vers la réalité contemporaine il n’en occulte par pour autant les trouées fantasmatiques : deux scènes d’angoisse magistrales à la faveur de la nuit viennent brusquement nous faire glisser vers le fantastique. D’une froideur splendide, la photo de Benoît Débie (Irréversible), trouve son apogée dans des moments de clair obscur superbement éclairés. Les parties de poker électroniques offrent une richesse visuelle limitée, mais cette aseptisation de l’image, polluée, pixellisée est au centre du film. Finie la mise en scène du crime avec Verdi en arrière fond. Les temps ont changé : un jingle bontempi, version cheap et XXIe siècle des comptines de Profondo Rosso, vient servir de contrepoint à la douleur. Symptomatique de la laideur du monde, cette esthétique publicitaire avec l’hilarité de ses jokers qui ponctue la mort parvient même à la désacraliser. La violence n’est plus explicite mais la souffrance argentesque est là. Le spectateur est lui aussi pris en otage d’une agonie présentée comme un télé-achat, mais – comme l’héroïne d’Opéra –  il est contraint d’être témoin joueur et voyeur. L’idée de l’écran gigogne (webcam/ordinateur/cinéma) révèle le vertige de la lecture de la réalité. A travers le décryptage de l’image et de l’erreur de perception, Argento interroge son propre rapport à la mise en scène ; même l’image vidéo brute peut travestir la vérité. Lorsque Argento opte pour un montage alterné serré et qu’il ajoute enfin à la vue du moniteur, celle directe de l’antre du tueur, il touche d’autant plus à notre propre rapport à la fiction et au réel que dans ces plans c’est encore l’ellipse qui prédomine. Alors, peut commencer le grand mystère du hors champ … Card Player constitue la meilleure réflexion d’Argento sur le regard depuis Opéra.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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