[Le cinéma en question] Entretien avec Michel Seydoux, producteur

Le producteur Michel Seydoux se rend cette année à la 37ème édition du festival ITINÉRANCE à ALES où un hommage sur son illustre carrière est rendu. L’occasion pour Culturopoing de s’entretenir avec une figure mythique du cinéma français et sur sa vision du métier de producteur qu’il a exercé pendant 30 ans avec folie et passion.

Sur les 20 films que vous avez produit, pourquoi avoir choisi de présenter ceux-là en particulier ? sont- ils ceux qui ont eu le plus d’impact , que ce soit dans votre carrière ou votre vie personnelle?

Ce n’est pas moi qui les ai choisis, je crois qu’ils l’ont été de manière intelligente par tout le monde, notamment par le délégué général. C’est plus facile pour des regards extérieurs de dire que tel ou tel film représente 50 ans de vie ; c’est un bon choix que j’accepte.

Durant toute votre carrière de producteur, vous avez travaillé avec des cinéastes aussi différent que Rappeneau , Jodorowsky, Resnais ou encore Alain Cavalier. d’où vous vient ce goût pour l’éclectisme cinématographique?

Ce qui est amusant dans les rencontres, c’est que vous avez la chance de votre vie. Et je pense qu’à un moment donné vous avez une disponibilité où vous allez rencontrer, soit le partenaire de votre vie, soit le partenaire d’une soirée, soit le partenaire d’une aventure.
L’avantage du cinéma, c’est qu’on peut être infidèle; c’est beaucoup plus facile que pour d’autres relations (rire)
J’ai eu la chance de commencer avec des grands noms. Quand on est jeune il faut rencontrer des vieux, et après, plus âgés, je pense qu’il faut transmettre le tutorat, c’est quelque chose d’extraordinaire.
Nous n’étions pas d’égal à égal mais j’ai croisé des grands noms pour une œuvre, pour un projet. Cette dimension scelle une amitié: construire quelque chose ensemble, parce que se rencontrer pour se raconter des bobos, ça ne dure qu’un temps. Quand on veut créer un projet collectif à la fois dans l’urgence de la créativité et dans la passion, et qu’on y participe, c’est passionnant.
Un projet de films, les auteurs le portent comme un enfant; c’est très très important pour eux.
Par exemple, vous m’avez parlé de Rappeneau, pour lui, ça représente au moins 6 ans de sa vie de faire un film, donc, vous avez envie d’avoir des gens qui vont partager les mêmes émotions et les mêmes envies que vous.

Quels rapports entretenez-vous avec Alejandro Jodorowsky et quels souvenirs gardez-vous de votre collaboration avec lui sur la Danza de realitad ?

Écoutez, des rapports merveilleux !!
J’ai été invité en février chez lui pour fêter son 90éme anniversaire, ça prouve qu’on a une relation qui est, je dirais, extra professionnelle. Avec tous les grands metteurs en scène avec qui j’ai travaillés, on a créé autre chose que des relations professionnelles. Après, comme dans l’amitié, il y en a qu’on va continuer à voir et d’autres qui disparaîtront de votre champ de vision, c’est la vie. Nous avons eu 33 ans de pudeur respective où nous n’avons pas osé nous déranger alors que nous connaissions nos numéros de téléphone. Ce n’était pas compliqué de se rejoindre on avait un peu peur de secouer le torchon de DUNE, peur qu’il y ait quelques petits cadavres qui, seraient restés emmêlés dedans et quand Frank Pavich a fait ce documentaire, il nous a réunis.
Lors de la photo de la fin dans le documentaire, nous nous sommes retrouvés comme si nous nous nous étions quittés la veille; 33 ans s’étaient passés mais si cela n’avait pas été indiqué dans le film, je n’aurais pas eu conscience que cela faisait autant de temps .

Vous avez produit votre premier film en 1974 , soit , il y a plus de 30 ans ; quel regard portez-vous aujourd’hui sur le métier de producteur et son évolution dans le cinéma contemporain?

Vaste question. Entre les années 70 et bientôt les années 2020, le monde a changé. Aujourd’hui, n’importe qui, avec du talent, peut faire un film dans des conditions économiques extrêmement raisonnables ; j’ai vu des films réalisés avec des caméras portables qui sont capables d’être projetés dans un festival donc, les moyens techniques nous offrent tout.
Alain Cavalier filme avec une caméra à 500 euros …extraordinaire !! Après, réaliser un film ne suffit pas il faut se faire « voir » et donc être distribué. Vous avez youtube mais ce n’est pas ça que les gens recherchent.
Quand on est créateur, c’est avoir une salle et partager l’émotion, ce n’est pas avoir un petit écran. Je trouve que le cinéma c’est l’émotion collective. Je pense que nos diffuseurs et nos dirigeants doivent réfléchir à comment faire évoluer le système, et nous, les producteurs, à proposer des systèmes révolutionnaires.
Si c’est pour se répéter, cela durera très peu de temps, donc réfléchissons. J’ai plein d’idées; je pense que la chaîne publique devrait offrir une journée par semaine ou par mois aux nouveaux talents, aux nouveaux créateurs, aux nouvelles dynamiques.
Pour faire des films il faut qu’on soit plusieurs à en faire; ce n’est pas parce qu’il y a un mec bon dans un coin que le cinéma du pays va continuer à exister; c’est parce qu’il y a une multitude de gens qui ont des compétences, des connaissances, qui suivent des études, parce que ça s’apprend,
Le talent est inné tandis que la technique, ça s’apprend; donc si on arrive à ça, cela donnerait envie à ce pays de rester un pionnier du cinéma, comme on l’était avant. On en a été l’inventeur, continuons à y participer;
Ça n’est pas en faisant toujours les mêmes films, même s’il faut faire Les Tuche 4, 5 ou 12 (je suis très content pour mon frère), néanmoins, il faut laisser le talent s’exprimer et être vu parce que c’est ça qui va ouvrir la communication et la fameuse histoire de l’auto-reproduction. Aujourd’hui la chaîne publique n’a plus d’intérêt si c’est pour nous donner les mêmes émissions que la chaîne privée; je suis désolé, je ne vois pas pourquoi je paierais ma redevance.

Quel film a été l’élément déclencheur de votre amour pour le septième art?

Je pense que le film auquel je tire mon chapeau tous les jours c’est Les lumières de la ville parce que c’est le film le plus extraordinaire, le plus simple et émouvant qui soit aujourd’hui encore. Il est toujours actuel; pour moi, si on raconte une histoire simple qui vous donne une émotion folle, alors, on a réussi le septième art . Voila pourquoi Les lumières de la ville est l’un des chefs d’œuvre du cinéma mondial.

Vos deux passions dans la vie sont le cinéma et le football; essayons de célébrer les deux, quels sont vos longs métrages favoris sur le ballon rond?

Non, ça n’a rien à voir, enfin, ça a tout à voir et rien à voir. Je dirais que j’ai eu une déception du cinéma qui m’a fait aimer le football, ça serait un trait rapide mais je dirais que ce que j’ai fait dans le cinéma s’est avéré être assez proche de ce que j’ai fait dans le football.
Le coach, c’est le metteur en scène; les acteurs : c’est les joueurs; je n’ai pas été dépaysé, ce qu’il faut apprendre, c’est gérer les émotions d’un scénario qui n’est pas fini.

Plus de 30 ans après sa sortie, n’avez-vous jamais eu envie de découvrir le Dune de David Lynch?

Non, je n’ai pas eu le courage de Jodorowsky.  J’ai envoyé une personne que je connaissais très bien et il m’a dit que c’était une horreur et j’aurais vraiment eu du mal parce que j’aime beaucoup David Lynch.  J’aime énormément sa carrière; j’avais quand même un petit intérêt dans tout ça parce que j’ai revendu a Dino de Laurentis les droits donc on n’a pas tout perdu dans Dune et c’est pas dit dans le film parce que c’est pas très intéressant mais j’ai respecté l’argent que j’ai reçu de Dino de Laurentis et je n’ai pas été faire de commentaires sur ce film .

Etes-vous Optimiste en ce qui concerne l’avenir du cinéma français et du cinéma en général?

Aujourd’hui, si on veut que ça vive, il faut que les jeunes participent à la relève et c’est en étant quelque part un peu révolutionnaire, pas révolutionnaire pour la révolution pour tuer le voisin mais: apporter des idées pour demain à travers la prise en main avec des nouveaux projets, des nouvelles inventions.
L’avantage de la jeunesse c’est qu’elle est encadrée en général par de très bons professeurs, de très bons maîtres de conférences, de très bonnes écoles. Nous avons parmi les meilleures écoles au monde dans les dessins animés. J’en connais une à Valenciennes, une à Montpellier où, à chaque fois que les élèves y rentrent, ils ont quasiment un contrat signé avec Pixar ou Disney ; pourquoi ils vont là-bas au lieu de rester chez nous?

A nous de proposer à cette jeunesse là et que cette jeunesse se propose de pouvoir continuer leurs créations. Il y a la Femis par exemple où il y a 9 étudiants par session. Ça ne suffit pas, il faut travailler c’est pas parce qu’on est très bon en études qu’on va faire un très bon professionnel dans la formation qu’on étudie
Parce qu’on est différent, on va essayer de comprendre les gens et on va offrir le partage. Le cinéma c’est avoir un concept personnel qu’on a envie de donner aux autres.
C’est comme le théâtre mais en moins cher parce qu’on peut toucher beaucoup de monde. Le monde entier maintenant avec les nouvelles technologies, donc il faut que les œuvres de ces gens-là nous touchent et qu’on ne soit pas en train d’être complètement scotché devant la dernière série netflix à la mode. C’est bien mais ce n’est pas suffisant et si on ne fait rien contre et bien, comme la nature a horreur du vide, ils vont prendre tout l’espace; si on occupe pas un espace il est pris par un autre.

Est ce que vous pensez qu’aujourd’hui faire une école de cinéma est indispensable pour pouvoir accéder au métier du septième art ?

Non, je pense qu’apprendre la technique c’est beaucoup mieux, obligatoire, je ne sais pas. Ce n’est pas parce qu’on a fait telle ou telle école qu’on est un grand cinéaste et ceux qui n’ont fait aucune école peuvent être de grands réalisateurs. La manière dont on remplit un cadre, c’est quelque chose de très personnel. Si on sait voir et remplir un cadre, on a des facultés à devenir réalisateur. Aujourd’hui presque n’importe qui peut faire des images de qualité raconter des histoires simples à son niveau en faisant ce métier. J’ai rencontré toutes sortes de gens dans ma vie: ceux qui ont fait des études admirables et qui n’ont pas réussi, ceux qui ont fait des études moyennes et qui ont très bien réussi et ceux qui ont fait de très bonnes études et qui réussissent très bien. Il n’y a aucune règle dans l’art qui garantisse le succès. Les seuls qui sont répétitives, l’audace, le courage et l’ambition avec ça, on peut soulever des montagnes

Le mot de la fin maintenant: quel réalisateur avez-vous rêvé de produire?

Quel réalisateur j’ai rêvé de produire? j’ai rêvé de produire Alain Cavalier alors j’ai produit Thérèse. Ce n’est pas en regardant une œuvre sauf pour Mikalkov où là, il y a eu un déclic quand j’ai vu Les yeux noirs, mais, en général, j’ai besoin de rencontres. Et puis, il y en a qui m’intimide Je ne suis pas d’une nature extrêmement timide. Quand on est intimidé on n’est pas bon parce qu’on a une espèce de complexe, un peu comme la trouille. Ce que je rêvais de produire, c’est ce qui m’intimidait finalement parce que c’était d’abord vaincre ma timidité pour aller les convaincre de venir avec moi. Et puis c’est une forme de séduction ; il faut beaucoup de séduction, c’est pour cela que j’ai continué finalement à faire des films avec ceux qui avaient déjà travaillé avec moi : c’était plus facile de les convaincre de refaire un film une fois que je les avais séduits parce que partir de loin, c’est compliqué.

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A propos de Aïssa Deghilage

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