Cannes: en guise de bilan tout à fait subjectif. Replier/ déployer.

En sélection officielle, il aura fallu attendre la toute fin du festival pour voir enfin des films qui saisissent et emportent, au premier rang desquels l’iranien The Seed of the sacred Fig ( Mohammad Rasoulof) et l’indien All we imagine as light ( Payal Kapadia). 

Avant cela, on aura eu bien souvent l’impression que nombre de cinéastes s’enfermaient dans la citation, voire l’auto-citation. Comme, peut-être, pour se faire un abri du cinéma. Mais cet art du retour sur soi peut empêcher de faire la place à de vraies propositions telles celles qui avaient émaillé la sélection 2023. Les films de Triet, Glazer, justement récompensés par le jury, frappaient par l’audace du scénario ou de la mise en scène. Les vétérans comme Kore-Eda ou Bellochio se renouvelaient en proposant un grand geste symphonique ou un scénario aux plis et replis passionnants. En 2024, on peut plutôt parler, à maints égard, de repli sur soi. Ainsi a-t-on vu Sorrentino recycler ses vieilles lubies avec Parthenope: Naples, Fellini, la beauté, le déchéance, Fellini et Naples encore. Trônant en majesté sur une terrasse à la fin du film, la même Stefania Sandrelli que dans Marcello Mio, comme contemplant son passé de star. Dans ce dernier film, Christophe Honoré s’invite d’un même mouvement dans la tribu Mastroianni-Deneuve et dans l’histoire du cinéma italien. Catherine Deneuve y joue Catherine Deneuve; Chiara y joue Chiara; Luchini y joue Luchini, etc. Quant à nous, nous ne savons pas trop quelle place nous est réservée dans ce petit monde, puisque que nous n’appartenons pas à la grande familia. La référence referme le champ plus qu’elle ne nourrit l’imaginaire. Jia Zhang-Ke intègre à Caught by the Tides des images de ses films précédents; avec Grand Tour, Miguel Gomes nous refait le coup de l’hommage au cinéma muet, qui se transmue dès lors en auto-citation. Les deux films sont très beaux mais enferment dans un système par trop référentiel. 

Quoiqu’on puisse penser de Megalopolis, il reste au contraire un film ouvert, baroque, monstrueux, qui questionne l’avenir et multiplie les coups de force. Un peu comme si Coppola, au lieu de contempler son grand œuvre, y avait jeté tout ce qu’il n’avait pu montrer jusque là. Quant au Deuxième acte, il se saisit du dispositif méta pour dynamiter le cinéma bien plus que pour s’y oublier complaisamment. Jacques Audiard a su, aussi, emprunter une voie inédite avec Emilia Pérez, forgeant autour de son héroïne transgenre un objet composite et tout nouveau. Anora ( Sean Baker), sur le territoire de James Grey, passe au kärcher les  anciennes représentations des communautés slaves de Brooklyn. Andrea Arnold, avec Bird, s’évade par le merveilleux du naturalisme social qui était sa marque de fabrique. Tentative de renouvellement accueillie avec plus ou moins de faveur par la critique, mais bien réelle. 

Mais c’est chez les jeunes réalisateurs et/ ou  bien souvent hors compétition officielle que l’on a pu sentir un élan, une envie de donner à voir et éprouver quelque chose de neuf. Vent frais apporté par Vingt Dieux de Louise Courvoisier (qui vient d’être couronné par le Prix de la Jeunesse de la sélection un Certain Regard, où les belles propositions se sont succédé) ou Diamant brut, premier film d’Agathe Riedinger. Exploration de nouveaux univers: le Jura et son fromage; la télé-réalité et les réseaux sociaux.

La Quinzaine des cinéastes a proposé en clôture un objet singulier: Gazer, du jeune américain et électricien Ryan Sloan, est un hommage cinéphile au cinéma des années 70, dont il reproduit le grain, les couleurs, et la bande son ( très belle et pleine de recherches, elle évoque, entre autres, le saxophone de Conversation secrète). Bourré  de citations, il donne par son côté bricolé le sentiment régressif de se retrouver devant un épisode de Colombo un peu mal ficelé en même temps qu’il témoigne d’un élan tout juvénile et communicatif pour le cinéma. 

Enfin, à Cannes Première, on s’est délecté avec Guiraudie et les frères Larrieu: Misericordia allie farce et réflexion morale; Le Roman de Jim ose le grand mélo. 

Nous verrons ce soir si le cinéma préfère se célébrer comme écriture palimpseste ou comme énergie toujours renouvelée.  

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