"Tout va bien en Amérique", m.e.s Lescot et Delbecq – Théâtre des Bouffes du Nord

Spectacle mêlant habilement théâtre, musique et vidéo, Tout va bien en Amérique s’appuie sur la dynamique créée par la collision de ces trois formes artistiques pour développer une réflexion sur l’hybride, tout autant du point de vue de la mise en scène que de celui de son objet : l’Amérique, multiculturelle et foisonnante.
Tout va bien en Amérique présente une scène bien conçue quoique simple et dépouillée d’aspect. Au sol, l’espace central est circonscrit par le piano, la batterie, une table pourvue d’électroniques et la guitare avec sa constellation de pédales ; comme une façon déjà de marquer la prégnance de la musique au sein de l’histoire américaine. Derrière, l’estrade marque le lieu de revendication, rendu étroit par un grand écran semi-transparent qui pourra accueillir comme un horizon alors porteur d’espoir ou de torpeur les images projetées du vidéaste. L’écran ménage ainsi à l’arrière un espace ou l’on distingue silhouettes et voix intimes.
Ainsi, la multiplicité des espaces permet-elle de donner du relief et du sens au spectacle, de coordonner d’une manière discrète les séquences qui le composent.


libre de droits Christophe Raynaud de Lage

Dans la lignée de l’Histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn, Tout va bien en Amérique célèbre une Histoire bigarrée, qui débute par  le discours de Christophe Colomb au roi d’Espagne après la découverte de l’Amérique. Ce sont ensuite des faits individuels qu’émerge l’identité américaine. Réussite, échec, accident, peu importe. La logique de la chronique est poussée jusqu’à l’intégration des poèmes de Charles Reznikoff, qualifie d’objectiviste pour tailler ses textes directement dans les rapports des tribunaux.
De cette manière, les jalons de l’Histoire américaine sont assembles : colonialisation, massacre des indiens, conquête de l’Ouest, esclavage, prohibition et montée des mafias. Qui accompagne le déroule de ces fragments et lui confère de la cohérence, est le jazz, genre populaire et protéiforme par excellence que le spectacle explore jusque dans ses genres voisins : gospel, slam, blues. Déjà le mariage était merveilleux de l’improvisation et de Reznikoff dans Testimony:recitatif. Et la sauce prend vraiment lorsque la vidéo s’écarte d’un traitement quoique très esthétique plutôt dénué de sens pour parvenir a la radicale simplicité des vidéos d’archives (rues de New-York, travaux forces) qui posent un lieu – s’ajoutant au temps de la musique et aux faits de la narration théâtrale – aboutissant ainsi le processus formel du spectacle.


libre de droits Christophe Raynaud de Lage
 

Tout va bien en Amérique (r)assemble neuf protagonistes : trois musiciens, deux rappeurs/slameurs, une chanteuse de gospel, une femme à tout faire, un vidéaste et un trompettiste (qui arrive à la fin, mais pour se placer d’une manière fabuleuse). Les musiciens sont excellents (Benoit Delbecq, Steve Argüelles et Franco Mannara, grands habitues aux fusions de genres) et on retient vraiment les deux rappeurs, Mike Ladd et D’ de Kabal qui crèvent littéralement la scène par la puissance de leur voix autant que par leur présence tranquille, également habitues aux mélanges de genres (écouter pour le dernier sa prestation avec Ursus Minor dans l’album Zugzwang).

Si Tout va bien en Amérique est un peu inégal (la séquence sur les indiens par exemple), il offre de très très bons moments musicaux et une belle énergie que respecte une mise en scène intelligente (qui réussit à gérer le bilinguisme du spectacle sans lourdeur),et va au-delà réfléchir sur sa forme en lien avec son idée de l’Amérique : un monde dont le perpétuel renouvellement est assure par le foisonnement des désirs de liberté et d’insoumission. Le temps de l’utopie laisse place au temps des luttes.

Tout va bien en Amérique

m.e.s par Benoit Delbecq et David Lescot
au Théâtre des Bouffes du Nord
jusqu’au 6 avril

puis en tournée :
8 et 9 avril à la Filature (Mulhouse)
19 avril au Théâtre de Chelles
27 et 28 novembre au Luxembourg

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