La cinéphilie, comme le cinéma, sont morts, entend-on souvent — et c’est un peu vrai, et c’est parfaitement faux. On ne compte plus les blogueurs, les youtubers, les fanzines, les sites culturels comme les revues papier qui s’attachent à défendre l’amour de l’art cinématographique. Chacun a son mot à dire sur tel ou tel film, chacun a sa passion ou son coup de cœur à transmettre. « Tout le monde a deux métiers : le sien et critique de cinéma », comme le disait François Truffaut et il faut s’en réjouir — le 7ème art continue de passionner les commentateurs comme les consommateurs, quand bien même leur nuée aurait quelque chose d’étouffant. Le même Truffaut, qui tenait L’Aurore pour le plus beau film du monde, craignait d’être un jour jugé par un spectateur qui n’aurait jamais regardé Murnau et, là aussi, l’avenir lui a donné raison. Parmi la multitude des ambitions d’écrire sur le cinéma (pour n’en citer que quelques récents exemples de revues de qualité : La Septième Obsession, Ciné-Bazar, ou le très rétro fanzine Abordages) , une nouvelle revue est apparue cette année : Zoom arrière.

À l’origine, Zoom arrière est un site internet tenu par un collectif de critiques, des francs-tireurs dont les noms nous sont familiers, puisque leurs textes parsèment déjà la petite galaxie des écrits sérieux de cinéma, ceux qui s’inscrivent dans un rapport au temps, à l’histoire cinématographique, et ne se contentent pas commenter le dernier film à la mode, de l’accueillir d’un survol enthousiaste qu’encouragent pourtant, et pour l’heure, certains distributeurs ­ — lesquels, entassant dans des salles de projection les critiques historiques et autrefois prescripteurs de cinéma, séduisent désormais en grandes noces de jeunes influenceurs, photogéniques, à montres connectées, riches de leur pléthore de followers.

Le projet Zoom arrière est tout autre puisqu’il s’attache à revisiter l’histoire du cinéma, comme il l’a fait, année par année, depuis 1945, sur son site internet, épousant donc une approche que l’on connait à certains dossiers Positif comme au jeune et revigorant trimestriel Revus&Corrigés qui rendait hommage, il y a peu, à l’année 1969. Mais là où Zoom arrière se singularise, et devient autrement passionnant, c’est dans l’exercice de sa parfaite subjectivité, comprendre par là que cette revue reprend le principe du pour/contre de Télérama et le modernise ; ici, on peut très bien avoir un pour/pour ; un pour/contre/pour etc.

En attestent les deux premiers numéros papier de Zoom arrière. Le premier est consacré à Brian de Palma, le second, d’un même élan, s’attache à décortiquer la filmographie de Nanni Moretti et les deux enchantent, un peu à la manière d’un opéra italien, par la pluralité de leurs voix. Ainsi, dans le numéro 1, on passe d’un point de vue très personnel de Jocelyn Manchec sur Carrie au bal du diable à une critique un peu assassine de Furie par Christophe, pour retomber sur un texte de Manchec qui lui, trouve des vertus à ce même film — et à juste titre, a-t-on envie de croire. Vient alors le point de vue de Vincent Roussel, qui rappelle cette vérité cinéphilique : la crainte de revoir un film et donc de risquer une déception. Quelques cinquante pages plus loin, voilà que Roussel défend mollement Le Dahlia noir, tandis que Manchec le dézingue et les amoureux de James Ellroy lui donneront forcément raison — où est-ce à croire que l’auteur de ces lignes, à son tour, brûle d’envie de participer à ce concert ?

On peut imaginer (et c’est un parti-pris) que tout bon texte sur le cinéma est avant tout l’expression d’une singularité — qu’importe son auteur, qu’importent les erreurs, qu’importent les désaccords, pourvu qu’un terreau commun soit respecté. Un terreau commun qui nous amènerait frénétiquement à revoir des films, ne serait-ce que pour constater l’évolution de notre propre regard, et ainsi de se souvenir que le cinéma est un miroir fertile.

L’intelligence de Zoom arrière est justement là : les voix de différents critiques se mêlent, s’opposent ou s’épousent, mais toutes témoignent d’un profond amour pour le cinéma. On voit les goûts, comme l’écriture, évoluer (il serait utile, à ce sujet, que les dates des premières publications des articles apparaissent sous les signatures), le regard s’affûter et si, parfois, certains des textes de la première partie ont les allures de billets d’humeur, ils sont contrebalancés par leurs pendants de la seconde, des écrits analytiques, thématiques, plus réfléchis, qui embrassent sans doute avec davantage de finesse les filmographies de Moretti et de de Palma. Voilà, en somme, un projet enthousiasmant — et le signe d’une ambition de parler du cinéma différemment, mais en toute clairvoyance.

Pour en savoir plus : http://zoomarriere.hautetfort.com/

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A propos de Pierre-Julien Marest

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