Cinémathèque de Toulouse. “L’Amérique, vue par…”. Du 4 avril au 17 mai 2023.

La Cinémathèque de Toulouse rend cette fois hommage à ces cinéastes étrangers -européens ou asiatiques- qui ont donné à voir l’Amérique.

Avec “l’Amérique, vue par…” la Cinémathèque propose un voyage cinématographique où la fascination pour le continent-cinéma et ses paysages, naturels ou urbains, le dispute à l’exploration d’une ultra moderne solitude, où chacun se confronte à ses fantasmes et ses maîtres. Filmer l’Amérique, c’est, par la grâce d’un regard “étranger”,  aussi bien explorer les codes de son cinéma ( western, film de flics, film de gangsters, road movie) tels qu’ils ont façonné les imaginaires que faire affleurer, au-delà du mythe, des vérités parfois amères.  

La première génération à avoir voulu se confronter à l’Amérique est celle des “enfants de Marx et Coca Cola”. Issus de la nouvelle vague, ils ont les premiers voulu sonder le rêve américain. 

Coup d’envoi avec Varda et Demy, en 1969. Leur séjour à Los Angeles leur révéla tout un pan de l’Amérique autant qu’il les révéla à eux-mêmes. D’abord séduite par la Californie de la contre-culture ( elle y réalisa un court-métrage sur les Black Panthers, puis le joyeux  Uncle Yanco), Varda livre,  avec Lions Love, que Vincent Canby qualifia de “méta film warholien”, une peinture douce-amère de ce qui apparaît comme un bien fragile Eden. Exalté dans une esthétique camp, le ménage à trois d’aspirants au star system qui est en son centre n’en demeure pas moins en proie à l’ennui et au doute. La nudité solaire des jeunes gens n’oblitère pas les éléments de tragique. Cette génération glorieuse est marquée par la guerre du Vietnam; la télévision, partie intégrante d’un dispositif complexe, se fait miroir de la violence permanente à laquelle elle est confrontée.

Dans Model Shop, on retrouve Lola, et Anouk Aimée, en mannequin. Le film, que Demy rebaptisa lui-même “Model Flop”, est aujourd’hui cité par de nombreux cinéastes comme source d’inspiration: Los Angeles, véritable héroïne du film, parcourue en tous sens, y devient métonymie de l’Amérique et de son cinéma. Baroque, mythique, elle est aussi la ville contre laquelle viennent se fracasser les rêves. 

La programmation ne pouvait pas éluder Zabriskie point (1970), monument cinématographique mêlant lyrisme psychédélique et critique prophétique d’une Amérique consumériste vouée à la violence. Dans cette ballade  tragique d’un couple de jeunes contestataires, depuis Los Angeles jusqu’à la Vallée de la Mort, paysage somptueux mais mortifère et point le plus bas des Etats-Unis, Antonioni fait bouillonner ensemble moments de rêverie, fausses publicités obscènes, orgies dans le désert – jusqu’à l’explosion. Plus que la narration, c’est la recherche formelle qui dit les failles, les heurts, les mortelles contradictions de l’Amérique. 

Loin de la côte Ouest et de ses trompeuses splendeurs naturelles, Louis Malle fait d’Atlantic City (Atlantic City, 1980), ville casino aux mains de mafieux et autres dealers, l’image d’une Amérique déglinguée dans laquelle faire  ou refaire sa vie est plus délicat que prévu. 

 

Trois films exaltants, dont les genres et esthétiques sont radicalement différents, épousent le point de vue de l’émigré, tiraillé entre le rêve et la réalité, la nostalgie et l’espoir, le familier et l’étranger.  

La Ballade de Bruno (Stroszek) (Werner Herzog, 1976) et Joe Hill (Bo Widerberg, 1970) évoquent les destins d’immigrants confrontés aux réalités d’un pays fantasmé comme la terre de tous les possibles. Si le héros de Widerberg, d’abord frappé par l’extrême pauvreté de l’East Side new-yorkais, nous entraîne dans un un road trip et un biopic qui laisse la part belle aux paysages, à la musique et aux élans de fraternité, celui d’ Herzog permet d’explorer, dans un style semi-documentaire, les bas fonds de l’ordre social américain. La satire est virulente; la statue du commandeur américaine en ressort plus qu’ébranlée.

 

C’est sur le mode du journal filmé que Chantal Akerman, comme l’a fait Jonas Mekas, explore la ville de New-York et les relations que l’on tisse avec son passé, sa famille, lorsque l’on est loin de chez soi. Dans News from home (1970), elle superpose, à l’image, les plans de la ville américaine et, au son, la lecture des lettres que lui envoie sa mère depuis la Belgique, exaltant poétiquement les déchirements de l’expatriation.

Les oeuvres produites après 1980 fondent davantage leur exploration critique de l’Amérique sur un dialogue avec sa mythologie, telle qu’elle a été construite par la littérature et surtout le cinéma. Hommages, parodies, adaptations, sont autant d’explorations des genres et topoi qu’il s’agit de s’approprier et de questionner. 

Deux films sont des adaptations de romans américains: Dans la Brume électrique ( Tavernier, 2009) et Les frères Sisters (Jacques Audiard, 2018). 

Tous deux sont des hommages crépusculaires aux grands genres fondateurs que sont le polar et le western.Y surgissent les fantômes de l’Amérique, y sont exposées les violences du passé sur lesquelles elle a bâti son empire, dans la guerre de Sécession comme dans la conquête de l’Ouest. Y affleure un sentiment de solitude immarcescible et la critique d’une Amérique violente, cupide, qui n’en a pas fini de panser ses plaies. 

Et puis, bien sûr, il y a les films de gangsters. Avec Once upon a time in America (1984), son oeuvre testament, qu’on ne présente plus, Sergio Leone livre une vaste saga du crime dans le New York des années 20, celles de la prohibition.

Comme Leone, Kitano ( Aniki, mon frère, 2000) se confronte à la trilogie qui sous-tend le genre: fraternité, loyauté, violence. Son héros yakuza se retrouve propulsé dans le monde de la pègre à Los Angeles, si loin si proche de sa propre experience. Son regard décalé, le fait qu’il ne parle pas un mot d’anglais, permettent de livrer une peinture poétique, burlesque et désespérée de la cité des anges. 

L’Amérique est toujours parcours. La vastitude du pays, sa complexité, son indefectible lien avec les mythologies cinématographiques ( voyager aux Eats-Unis, c’est sans cesse se retrouver face à sa petite vidéothèque intérieure) en font, pour l’étranger, la terre de l’initiation, de la révélation à soi-même au moins autant que celle de la confrontation à l’Autre. D’où la permanence du motif de la quête, nostalgique ou désespérée, partout à l’oeuvre mais particulièrement visible dans les roads movies. Le sauvage et cauchemardesque Perdita Durango (Álex de la Iglesia, 1997) met en scène un couple abreuvé de rites occultes et d’amour, brûlant l’asphalte en traînant deux petits ados WASP kidnappés sur la route. Don’t come knocking ( Wim Wenders, 2005) suit l’odyssée dans l’Ouest d’une star déchue à la recherche de son fils présumé. Même mélange de point de départ méta et de quête de soi dans le Twentynine Palms de Bruno Dumont ( 2003), qui suit un couple -un photographe et son modèle- dans le désert californien. À la recherche de la couverture idéale, plongé dans un spectacle magnifié par le format Scope, le duo se heurte aux pulsions les plus archaïques d’un pays continent qui vont sans cesse l’amener à redessiner sa trajectoire. 

La confrontation aux monstres de l’Amérique prend enfin un tour résolument déjanté avec la chimère de Quentin Dupieux, Wrong Cops (2014), série policière en sept épisodes, où l’on suit une bande de flics sévissant à Los Angeles. Los Angeles encore, la ville cinéma…

La Cinémathèque de Toulouse nous invite donc à un voyage fasciné, amoureux, cinéphile et critique dans cet ailleurs si loin si proche qu’est l’Amérique. Il permet de saisir de magnifiques moments du dialogue incessant que les cinéastes venus d’ailleurs entretiennent avec ce qui reste l’étoffe dont nos rêves – et nos cauchemars- sont faits. 

Culturopoing est heureux d’être partenaire de cet événement. Horaires de projections ici:

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A propos de Noëlle Gires

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