Dyana Gaye fait partie de cette nouvelle génération de cinéastes, avec le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis, qui garde un pied sur le continent africain. Ainsi, elle en donne une image autre que celles, clichées, véhiculées par certains reportages misérabilistes. Comme Alain Gomis, elle signe des oeuvres solaires dont les sujets sociaux sont ceux qui animent la société sénégalaise contemporaine. Bien loin du cinéma didactique et militant de Sembène Ousmane, ses films se rapprochent plus de la poésie de ceux de Djibril Diop Mambéty. Très présents dans la filmographie de Dyana Gaye, l’immigration et le voyage sont deux thèmes qu’elle traite de nouveau, après Un transport en commun, son quatrième court métrage, sous une autre forme, mais toujours avec sensibilité et délicatesse.

Des étoiles relate les destins de trois personnages dans trois villes de trois continents différents. Sophie quitte le Sénégal pour Turin pensant y retrouver son mari, Abdoulaye. Seulement, celui-ci est parti à New York, dans l’espoir d’y trouver un emploi et une vie meilleurs. Dans un mouvement inverse, Thierno débarque de la grande ville états-unienne pour visiter Dakar à l’occasion de l’enterrement de son père. Chacun d’eux vont faire connaissance avec un univers qui leur était alors inconnu, allant d’heureuses découvertes en déceptions… De ces rencontres vont naître des amitiés, des idylles et des changements de cap inattendus.

Premier long métrage de la réalisatrice, Des étoiles se situe entre ce genre très franco-français qu’est le film choral et la chronique familiale. Dyana Gaye va pourtant au-delà en offrant un voyage à travers l’histoire d’un peuple dans un monde moderne en mouvement, en revisitant le commerce triangulaire, en le prenant à rebours. En effet, la caméra filme à hauteur d’homme, ou de femme, et sans jamais juger, les bienfaits, mais aussi les méfaits d’une immigration nourrie d’espoir et de rêves d’ailleurs. Ainsi, Sophie traverse une rue dans laquelle exercent des prostituées africaines ; Abdoulaye se retrouve dans l’engrenage d’un remboursement à effectuer auprès d’un passeur alors que Thierno découvre l’histoire de son peuple et d’une famille dont il ne soupçonnait pas l’existence dans les rues de Dakar. « Le contrepoint représenté par Thierno me semblait indispensable », raconte Dyana Gaye, « ce dernier accomplit le trajet inverse, tandis que la culture afro-américaine – du rap à la blaxploitation – a largement infusé la culture sénégalaise. Il y a un fantasme des afro-américains pour le continent africain, notamment le Sénégal et l’Île de Gorée d’où partaient les bateaux chargés d’esclaves pour l’Amérique. » Pour autant, le film, en montrant la déchéance ou les réussites, mais aussi les combats, ne fait jamais dans la dénonciation facile, sait être subtil pour finalement offrir de vrais moments de grâce. Que ce soit dans les rues de Dakar et de Turin ou les bas-fonds de New York, la caméra de Dyana Gaye arrive à capter l’humanité, à faire exister ses personnages au milieu de décors en relation avec leur état d’esprit. Ces mêmes cadres qui les mettent en valeur ou les écrasent selon les situations mises en scène par le récit. Ces individus se retrouvent pris dans les méandres de la mondialisation et du capitalisme qui s’insinuent dans les différentes couches de la société, comme le montre un bref plan d’échange d’argent lors d’une cérémonie funèbre.

Plus abouti qu’Un transport en commun, notamment sur le plan de la direction d’acteurs, Des étoiles bénéficie d’une écriture concise ainsi que d’un regard à la fois mélancolique et poétique, tendance déjà présente dans les précédents films de Dyana Gaye. En mettant en scène ses personnages dans un bus au début du film puis dans un train lors du final, Dyana Gaye exprime l’aspect changeant des choses et de la vie. « Je suis partie de Souki et Malick, deux des personnages d’Un transport en commun, mon précédent film », explique-t-elle. « Souki allait à l’enterrement de son père quand Malick s’apprêtait à émigrer en Italie. Je souhaitais prolonger cette idée du voyage, des trajectoires que l’on trace dans une existence. Je suis vraiment partie de la jeunesse en mouvement et des parcours de l’exil ; j’avais aussi une envie précise de travailler sur un personnage féminin, Malick s’est donc transformé en Sophie. » Dyana Gaye met en scène un monde en mouvement, régi par les lois de flux et reflux des populations et des marchandises. Dans cet univers, ses personnages ne cessent de se déplacer et d’évoluer. Pourtant, Dyana Gaye laisse ses personnages au milieu de leur histoire, comme des rencontres éphémères faites au cours d’un voyage.

Avec intelligence, la cinéaste montre des cultures qui se rencontrent et s’imbriquent les unes dans les autres, mais démontre également que les migrations ne sont pas qu’internationales. « Il est difficile dans les grands villes aujourd’hui de concevoir que l’on est simplement constitué d’une seule culture », relate-t-elle, « il y a une multitude d’interactions créées par les mouvements migratoires successifs, créant, au-delà des métissages, des formes de contamination. » Par la magie d’un montage cut, la réalisatrice relie ses intrigues se déroulant d’un bout à l’autre du monde, tisse une carte sur laquelle les continents sont étrangement proches au fur et à mesure que les scènes se suivent et se répondent. Les étoiles de Dyana Gaye sont comme des comètes qui vont d’une constellation à une autre, dessinant une nouvelle carte du monde, vaste réseau des possibles.

Ces ponts entre les cultures prend soudainement la forme d’un hommage à la blaxploitation, la réalisatrice créant un personnage surnommé Sidney Poitier de façon tendre et ironique par ses amis. Tenancier de bar charismatique, il incarne une certaine idée de la réussite à leurs yeux parce qu’il a fait une silhouette dans My Brother’s Wedding. Le film de Charles Burnett narre l’histoire d’un jeune homme tiraillé entre les obligations familiales et son désir d’aller faire les 400 coups avec son meilleur ami. Du coup, par ce clin d’oeil, mais aussi par les thèmes qu’il touche, Des étoiles crée une mythologie issue de la blaxploitation. Comme son aîné, le film de Dyana Gaye évoque également les collisions culturelles, s’attache à une communauté et à ses difficultés à s’intégrer et à avancer malgré le carcan familial et traditionnel. Les personnages de Dyana Gaye sont confrontés à leur propre rapport à l’autre et la cinéaste en profite, à travers le personnage de Sophie, pour aborder la question de la place des femmes africaines. Ainsi, elle met en évidence les attitudes changeantes d’un continent à l’autre par la description de la débrouille et de la solidarité féminine.

Au contraire de ce que son titre pourrait laisser croire, Des étoiles n’a rien d’une oeuvre nocturne à l’humeur sombre. Par sa réalisation sobre à la lumière limpide, le film rayonne et ne se laisse jamais aller au mélodrame. Certains personnages croustillants et leurs répliques désinvoltures ménagent quelques passages humoristiques bienvenus faisant de ce premier long métrage une oeuvre à la fois drôle et dramatique, touchante et attachante.

Des étoiles
(France/Sénégal ; 88min)
Réalisation : Dyana Gaye
Scénario : Cécile Vargaftig & Dyana Gaye
Image : Irina Lubtchansky
Montage : Gwen Mallauran
Musique : Baptiste Bouquin
Interprètes : Ralph Amoussou, Marème Demba Ly, Souleymane Seye N’Diaye, Babacar M’Baye Fall, Mata Gabin, Sokhna Niang, Andrei Zayats, Johana Kabou, Maya Sansa, Major West, Sabine Pakora…
Sortie nationale sur les écrans, le 29 janvier 2014.

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