Dennis Dugan – "Copain pour toujours (Grown Ups)"

Le 11 septembre, Copains pour Toujours 2 débarque dans les salles, attendu pour ce qu’il sera indéniablement : le bon vieux délire estival d’Adam Sandler. Le même acteur qui, chaque année, propose son lot de gourmandises, de farces too much ou de chroniques plus intimistes mais pas moins potaches. Une occasion comme une autre de revenir sur le premier opus de ce pique-nique cinématographique.
 

Un film-concept (conçu sur une seule idée, aguichant le public par le biais d’une trouvaille spécifique) ne part pas forcément de la plus grande complexité philosophique pour s’affirmer comme tel. Il suffit parfois d’une note d’intention toute simple, mais qui n’en est pas moins kamikaze, d’un synopsis d’une ligne apte à faire fuir comme à ameuter les foules. Aussi dingue que cela puisse paraître, Copains Pour Toujours est un film-concept.

L’idée d’un pique-nique cinématographique, serein, insouciant, tout sauf dramatique.

Qui invite t-on aux piques-niques ? Les amis, forcément.

Et la force de la potacherie sus-nommée, c’est de risquer le four commercial, en s’adressant quasiment uniquement aux proches d’Adam Sandler. Sentimentalité de l’artiste oblige, les « proches » en question désignent autant les personnages du film/les acteurs que les cinéphages accros à l’univers de la star depuis Billy Madison. Oui oui, l’univers Sandler ! Un monde regroupant en son sein romances tranquilles (The Wedding Singer, Amour et Amnésie), incongruités irrésistibles (le très cartoon Happy Gilmore, l’improbable Jack and Julie) ou encore hallucinations comiques (le jubilatoire Little Nicky). Et la puissance de l’ensemble de se résumer, au-delà des fulgurances cocasses, à une fluidité et à une logique auteuriste qui encourage à l’addiction la plus perverse.

Pénétrer à l’intérieur de ce microcosme où bons sentiments et transgressions ne font qu’une même voix/voie, c’est s’attacher à un proche, un gars d’une sincérité à toute épreuve…et qui grandit, mûrit, évolue en apparence mais en restant le même.

L’initié ne cesse de contempler cet humoriste parfois maladroit, parfois magistral, qui s’offre là un amusement collectif en chuchotant en substance : « qui m’aime, me suive ! ».

Si explorer un parc aquatique en compagnie du zoziau ne vous branche pas, autant refuser l’invitation. Dans le cas contraire, c’est la satisfaction assurée…

Moins mineur qu’il n’y paraît, Grown Ups affiche dès son titre original (« les grandes personnes ») une dimension personnelle troublante. Quelques potes de longue date se retrouvent tous pour enterrer leur ancien coach de basket. Chacun a suivit sa route. Et, lors d’un palpitant week end collégial, les voici tous revenus au temps glorieux de l’enfance. Dès lors, on serait tout excité à l’idée de caser l’œuvre dans un tiroir, de l’étiqueter à l’envi en puisant dans notre culture populaire. Quitte à faire fusionner deux générations de spectateurs…

L’une se remémore déjà le mélancolique The Big Chill, où le dynamisme musical d’un Wilson Pickett se mêlait à la thématique de la mort. L’autre génération ressort déjà amoureusement son édition collector d’American Pie 2, classique du film de vacances des plus décontractés. Or, Sandler ne jure évidemment que par lui-même, en poursuivant son espèce d’autobiographie fictionnelle. La maturité, dans l’indispensable American Pie 4, était perçue de façon salvatrice : la meilleure manière d’évoluer, c’est de ne jamais se renier.

Pour la star de Don’t Mess With the Zohan, grandir, c’est témoigner face-caméra de l’âge adulte en prônant l’importance capitale de la famille.

Ou, comme le chante John C. Reilly dans le trop peu connu Walk Hard, incarnant une légende qui fait le bilan : « And then, in the end, it’s family and friends… »

Famille et amis ne font alors plus qu’un dans cette vision décomplexée du temps qui passe, où, tel l’enfant agrippé aux pieds de sa mère, le bon père de famille ne peut vivre sans son environnement affectif. Comme d’habitude, Sandler ramène tous ceux qui lui sont chers : Dennis Dugan (réalisateur entre autres du touchant Big Daddy), Rob Schneider (qui vient lui aussi du Saturday Night Live et suit Sandler au ciné depuis Waterboy), Steve Buscemi, Kevin James (Quand Chuck Rencontre Larry), David Spade (Jack et Julie)…autant de membres d’une fratrie, entre nouveaux venus et vieux de la vieille, symbolisant d’emblée cette même amitié qui colore tout le film. L’art rhétorique du stand-up comedian est ici fracassant, le déluge de vannes incessant offrant de beaux moments à de talentueux comiques couramment sous-employés (Chris Rock !).

L’alchimie entre les acteurs est innée, dans ce constat relaxant où Sandler ne fait rien d’autre que de scruter son idéal existentiel de « grande personne », l’aboutissement de trente ans de carrière. Funny People le confrontait à la Faucheuse, aux échecs. Place à l’optimisme de celui qui a tout connu, tout vécu, et souhaite faire partager à ses fans ses moments de rigolades ! Ralentis, méditations face aux paysages, calme général (très peu de prises de têtes entre couples comme on pouvait s’y attendre)…c’est l’ouvrage d’un type comblé, et qui le fait savoir.

Cette belle mise en abîme s’écarte du tout-venant de la comédie US par une narration paisible et diablement risquée : reniant l’habituelle morale accusatrice (l’ « adulescent » qui se doit d’être responsable) ou le pathétique traditionnel (la lose des quadras), Sandler et le scénariste Fred Wolf misent tout sur le ludisme communicatif d’une communauté de rigolos dont la beauté caractérielle est due à un état d’esprit très naturel.

La qualité philosophique de la chose provient effectivement d’un mélange entre ton libertaire et nostalgie. Une perception du couple pas vraiment commune (Schneider et son épouse très « mature » et bête de sexe), l’acceptation de la réalité du quotidien (Kevin James avouant son statut de chômeur très ordinaire) ou encore le retour à l’origine (les gosses qui perpétuent les jeux de leurs parents en délaissant les nouvelles technologies) sont autant de sujets abordés au premier degré entre deux moments de détente. Si Copains Pour Toujours ne lorgne pas vers ce tour de force tragique qu’est Click (l’un des meilleurs Harold Ramis, qui n’est pourtant pas signé Harold Ramis), il en reste une identique lutte contre la superficialité: incarnant un décalque de lui-même (un homme de spectacle gavé de fric), Sandler retrouve par ces grandes vacances le véritable sel de l’existence, vulgarisé par les sempiternelles valeurs qui ne cessent de l’obséder (la tendresse des relations humaines).

 

On ne perd jamais de vue cette candeur presque émouvante de l’acteur, cette attitude anti-cynique qui est celle d’un amoureux. Ce n’est pas pour rien si Paul Thomas Anderson en a fait le protagoniste de Punch Drunk Love

Ce film de vacances pur et modeste (on est loin du séjour à gros budget de Les Petits Mouchoirs) se dévoile moins anecdotique qu’il n’y paraît au premier abord. Comme Judd Apatow (son ami de toujours, tiens donc), Adam Sandler transfigure sur grand écran les croyances de sa génération, ses doutes, son envie de passer le relais et de s’adapter au poids des années. Et il laisse au beau personnage de Gloria le mot de la fin : «Dans la vie, le premier acte est toujours excitant. Le second acte…c’est là où on gagne en profondeur.». C’est dans ce genre de sentence tellement significative que se concrétise l’humanisme du projet.

Son regard a beau être tourné vers le passé (Stan, chanson dédiée à son père, résonne pendant le générique de fin), Adam Sandler n’en finit pas de garantir l’avenir en accumulant les tournages.

Comme dit plus haut : qui l’aime, le suive !

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A propos de Clément ARBRUN

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