Avant de déclarer une autre guerre des étoiles en réalisant le septième épisode de Star Wars, JJ Abrams déchaîne une nouvelle fois les passions entre les fans et cinéphiles de différentes obédiences. La cause du litige est ce nouvel épisode de Star Trek, univers que le réalisateur geek continue d’explorer tout en revisitant la mythologie créée par Gene Roddenberry. Teintés d’humanisme, de mysticisme voire même d’écologie, les premiers films inspirés de la série télévisée brassaient, parmi d’autres, des thèmes liés à la conquête spatiale et à la guerre froide.
Fidèle au matériau d’origine pour certains, vil traître opportuniste pour les autres, JJ Abrams renoue pourtant avec cette science-fiction qui se veut être à la fois épique et sombre, divertissante et politique.Dans Star Trek Into Darkness, Starfleet est la cible d’attentats perpétrés par un de ses anciens agents, John Harrisson. Après une spectaculaire et meurtrière attaque au siège même de l’organisation pacifique, Kirk et son équipage se voient devoir accomplir une mission des plus douteuses.  L’Enterprise est ainsi armé de nouvelles torpilles que Kirk a ordre d’utiliser si le terroriste refuse de se rendre. Le jeune officier est d’autant plus déterminé que l’Amiral Christopher Pike, son père adoptif, a trouvé la mort dans l’un des attentats. Animé par des sentiments de haine et de vengeance, Kirk est prêt à tout pour retrouver John Harrisson. Le mystérieux personnage s’est réfugié en territoire Klingon alors que les relations entre Starfleet et le peuple guerrier sont plus que tendues. Seulement, derrière cette opération s’en cache une autre beaucoup moins avouable.
À la vision de ce quatrième long métrage de JJ Abrams,  difficile de ne pas penser à l’opération « Justice sans limite » lancée par George W. Bush Jr. à l’issue des attentats du 11 septembre. Avec une explosion kamikaze située à Londres suivie de la réaction guerrière des pontes de Starfleet, Star Trek Into Darkness entre directement dans la lignée de ces films qui critiquent la politique étrangère des États-Unis à l’heure de la guerre contre le terrorisme. Surtout, le film de JJ Abrams est un digne héritier d’un cinéma de genre qui revisite le mythe de Frankenstein, comme Rambo de Ted Kotcheff, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick ou encore L’enfer du devoir et Traqué de William Friedkin. Comme l’énigmatique John Harrison, dans ces films, les parfaites machines à tuer surentraînée que sont les soldats américains échappent au contrôle de leurs créateurs pour ensuite se retourner contre eux.Pour ce second retour dans la saga Star Trek, en plus d’acquérir des accents mythologiques, JJ Abrams en réutilise l’univers pour le remodeler à sa façon, le mettre au goût du jour et suivre l’actualité. Comme le premier film réalisé en 2008, il s’agit encore d’une histoire de trahison et de vengeance, thèmes récurrents et dans la filmographie du réalisateur et dans celle du duo de scénaristes, Alex Kurtzman et Roberto Orci. « Les membres de l’équipage de l’Enterprise font face à bien plus de dilemmes personnels et moraux, et ils affrontent des problèmes de confiance, de loyauté », explique le cinéaste. « Que deviennent ces principes quand on est poussé dans ses retranchements ? Notre objectif était de conserver l’humour, la sensibilité et la bonne humeur tout en allant vers plus de complexité et de noirceur. Pour le capitaine Kirk, ce qui commence comme une mission de vengeance se transforme en une quête d’identité qui l’amène à s’interroger sur le rôle d’un capitaine et sur les exigences attachées à ce titre. » Ainsi, Kirk passe du mythe littéraire du capitaine Achab de Moby Dick à la figure mythologique d’Ulysse. Comme pour le héros grec, pour qui le retour à Ithaque, sa terre natale, est difficile, pour Kirk, il s’agit de ramener son équipage sain et sauf sur Terre tout en devant faire face à un ennemi puissant et inattendu.
Au contraire du film précédent, le scénario est cette fois plus dense, plus abouti, avec des personnages plus approfondis et ambigus. L’intrigue à tiroirs arrive à manier l’ambiguïté et les faux-semblants tout en se révélant captivante. « Dans le premier film, on voulait vraiment relever le défi que représentent les attentes des fans de Star Trek », raconte le producteur Bryan Burk. « Avec ce deuxième épisode, je pense que J.J. est allé plus loin dans la complexité et que les gens pourront quitter le cinéma en étant époustouflé par ce qu’ils viennent de voir. »Parmi les personnages les plus intéressants, Peter Weller, célèbre pour son rôle de policier manipulé par sa hiérarchie dans Robocop, incarne l’Amiral Marcus. Ainsi, JJ Abrams joue avec la culture geek avec une certaine ironie, sans pour autant tomber dans le cliché. Cependant, la véritable révélation du film apparaît sous les traits de l’acteur britannique Benedict Cumberbatch, le Sherlock Holmes de la série Sherlock, version modernisée et télévisuelle du célèbre détective londonien. Encore une fois, il joue un rôle à la fois très cérébral, mais aussi très physique, celui d’un méchant glacial, calculateur et dénué de scrupules qui ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Grâce à lui, Star Trek Into Darkness gagne en tension et en profondeur en évitant de dépeindre des personnages manichéens.
Avec ces deux protagonistes clés, que tout semble opposer, les scénaristes et le metteur en scène abordent la thématique de la manipulation et de la critique des élites. Le récit navigue alors à la frontière des notions de Bien et de Mal où la confrontation des intérêts de chacun rentrent en collision, rendant les choses plus complexes. Ces affrontements psychologiques sont mis en scène par de spectaculaires séquences spatiales dans lesquels les vaisseaux s’affrontent comme au temps des galions. Ainsi, au grand désespoir de certains fans, le côté théâtral de la série laisse la place à une mise en en scène plus dynamique, plus explosive.Déjà à la direction de la photographie sur Mission Impossible III et Star Trek, Dan Mindel embarque à nouveau à bord de l’Enterprise pour lui redonner un nouvel éclat : « Dan Mindel éclaire d’une manière qui apporte une dimension réaliste et émotionnelle à chaque scène », explique JJ Abrams. « Il utilise la caméra pour donner à l’histoire véracité et authenticité, et pour permettre aux personnages et à leur environnement d’exister. »Pour les scènes de dialogues, afin d’éviter ce côté figé qui marque certains films de la saga où les personnages semblent déclamer leur texte comme s’ils étaient sur les planches, JJ Abrams opte pour une lumière plus crue et des plans décadrés. Alliée à un montage en cut, elle donne au film une identité et un rythme plus énergiques.
Cependant, les thématiques abordées semblent être phagocytée par toute cette maestria technique, par cette forme blockbusterisée. Elles tournent à vide, comme si elles étaient le prétexte à un déluge d’effets spéciaux sans que cela amène réellement quelque part. Le scénario, pourtant bien écrit et consistant, donne cette impression d’être au service de la forme. Cette sensation provient surtout de la nature même de ce genre de production et des conjonctures actuelles où un certain cinéma est de moins en moins audacieux. Pour plaire à un plus grand public ? Une atmosphère sombre se doit d’être plus nuancée au détriment d’un traitement plus jusqu’au-boutiste. Ainsi, la critique manque de virulence et ne semble ni bénéficier d’un point de vue particulier ou original ni apporter de réflexions particulières en comparaison avec les films cités plus haut.Malgré ces défauts, Star Trek Into Darkness reste un blockbuster de bonne tenue, un divertissement de haute volée qui arrive à mêler humour, action et suspens. Voilà qui inaugure du meilleur pour le prochain Star Wars. Ainsi, peut être va-t-il réconcilier les fans de la saga initiée par George Lucas avec les trekkers ?
Star Trek Into Darkness
(USA – 2013 – 130min)
Réalisation : JJ Abrams
Scénario : Roberto Orci & Alex Kurtzman & Damon Lindelof
Directeur de la photographie : Dan Mindel
Montage : Maryann Brandon, Mary Jo Markey
Musique : Michael Giacchino
Interprètes : Chris Pine, Zachary Quinto, Zoë Saldana, Karl Urban, Simon Pegg, John Cho, Anton Yelchin, Bruce Greenwood, Peter Weller, Alice Eve…
Sortie en salles, le 12 juin 2013.

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