A l’occasion de son superbe L’Engloutie, Louise Hémon nous a accordé un interview. Elle y évoque les éveils libérateurs de son héroïne, la perméabilité entre le fantastique et la réalité, et la manière dont l’immensité des paysages devient celui du rêve.
Pourriez-vous me parler de votre parcours ? Qu’est ce qui décide une jeune cinéaste à se lancer dans un projet si ambitieux et singulier pour un premier long métrage de fiction : à costumes, dans les Alpes, avec un mélange d’acteurs non professionnels et professionnels ?
J’ai déjà beaucoup exploré ce cinéma du réel par le biais du film documentaire. J’ai aussi fait de la mise en scène de théâtre en duo avec Émilie Rousset, une autre metteuse en scène. J’avais donc à la fois ce goût de la rencontre du réel, mais aussi des acteurs professionnels et de l’abstraction. Tout cela m’a menée vers L’Engloutie, avec une envie de filmer des montagnes, que j’avais déjà filmées pour d’autres projets. Je ne me suis pas tout de suite rendu compte de l’ambition du film. La productrice a eu l’intelligence de ne pas me dire que c’était trop compliqué pour un premier long métrage. Moi, j’avais l’impression au contraire d’avoir écrit un film très simple : tout se passe au même endroit, avec peu de décors ; seulement les extérieurs et deux intérieurs de maison. Il n’y a pas de figuration, juste des personnages, tous habillés pareils tout au long du film. Et autour, c’est la nature, donc on n’a rien à construire. Plus tard, je me suis rendue compte, en effet, qu’il y avait des animaux indressables, des enfants, des acteurs non professionnels, les changements météo avec la neige, les conditions de froid, une double langue aussi : l’occitan alpin et le français. J’ai pris conscience de la difficulté en faisant la préparation avec tous les collaborateurs et les chefs de poste. Mais c’était un beau défi. Personnellement, je suis à l’aise dans cet environnement de la montagne parce que j’y ai grandi. J’ai invité mon équipe à découvrir ce monde, mais j’ai aussi voulu qu’il y ait beaucoup de techniciens locaux et d’acteurs non professionnels, pour que la rencontre soit fertile entre ceux qui ne connaissaient pas la montagne et ceux qui ne connaissaient pas le cinéma.

Je suppose qu’au niveau de l’adaptation de la lumière et de la photo, ça a dû être compliqué ?
Ce qui était compliqué, c’était que nous étions en altitude pour avoir une neige constante —à peu près à 2000 m d’altitude—, dans des villages sans électricité. L’avantage était que l’on n’avait pas besoin d’effacer les poteaux électriques numériquement, mais on manquait de ressources, ce qui limitait aussi l’utilisation de la lumière. Nous avions toute la lumière dont nous avions besoin, et les ressources électriques pour chauffer les loges, les poêles à bois, etc. Mais je ne pouvais pas me permettre d’avoir des camions qui montent avec du matériel difficilement transportable, comme des ventilateurs géants pour faire du vent, des énormes projecteurs ou des ballons pour renvoyer la lumière. Toute cette grosse machinerie n’était pas envisageable. Je n’avais pas non plus des envies démesurées. La démesure venait de la montagne, du vertige de l’histoire et de la mise en scène. Je voulais des mouvements de caméra simples, et, en effet, me servir de la lumière naturelle au maximum.
Le choix de Galatea Bellugi s’est-il imposé d’emblée ? Le rôle était-il écrit pour elle ?
Quand on commence à écrire un film et qu’on ne sait pas s’il va se faire, on ne l’écrit pas pour une actrice en particulier. En tout cas, moi, je n’en ressentais pas le besoin. Mais une fois que j’ai su que le projet allait se concrétiser, il fallait que je trouve une actrice pour achever de convaincre. Les financeurs ont besoin de se projeter. Pour le reste du casting, ça n’était pas la peine, puisque je leur ai expliqué mon principe de casting sauvage. Mais l’héroïne se devait d’être incarnée pour passer le cap du financement. Ma première idée était Galatea, parce que je l’avais vue dans L’apparition de Xavier Giannoli, où elle avait cette ferveur, chrétienne certes, mais qui m’aidait à me projeter dans une ferveur républicaine, cette croyance dans sa mission laïque, sa volonté. Et son côté un peu exalté révolutionnaire. Elle avait aussi une musicalité de voix qui me rappelait celle de Catherine Mouchet dans Thérèse de Cavalier. Galatea est la première que j’ai vue. On n’a pas fait plus d’une journée sur ce personnage, c’était tout de suite elle, et elle a accepté aussi pour le défi de jouer en altitude, dans la neige, dans des vêtements lourds, où il y avait une physicalité. Je lui ai tout de suite dit qu’on ne passerait pas spécialement par la psychologie, que ce serait un rôle très physique. En fait, dès qu’on a froid, évoluer d’un point A à un point B est compliqué pour ne pas s’enfoncer dans la neige. Il n’y a pas à réfléchir, l’incarnation est immédiate et provient de l’extérieur. Ce jeu avec le réel et les conditions climatiques, c’est attirant aussi. Galatea est intrépide, donc elle correspondait bien au rôle.
Est-ce que finalement la situation devant la caméra, compte tenu des conditions, était un peu en miroir de celle derrière la caméra ?
C’est super intéressant comme question. On est dans le passé, donc pas dans une station de ski où j’emmène un personnage et il y a des vrais personnages contemporains. Là, on est censé croire qu’on est dans le passé : elle est en robe mais à côté elle a son portable dans la main, il y a quelqu’un à côté qui à un manteau synthétique. Donc je pense qu’il n’y a rien n’aidait justement pour y croire. Parce qu’en fait elle nous voit tout le temps. Et quand on est dans les veillées, ils ne sont pas tous seuls, il y a tellement de matériel, de réflecteurs tout autour. C’est une pure croyance dans les forces du cinéma, que le spectateur va y croire.
Comme je vous disais tout à l’heure, ce qui a aidé Galatea dans son jeu, ce sont les conditions climatiques : elle a vraiment froid, elle claque vraiment des dents et a vraiment des difficultés à marcher dans la neige. Par exemple, à un moment, j’ai dit à Matthieu Lucci qui joue Eno : « Arrête de foncer les sourcils, on dirait que tu veux la tuer, je veux que tu la regardes avec douceur », et il m’a répondu qu’il ne pouvait plus bouger, car il avait le front congelé. C’était un jour de grand froid. On a pas eu froid tous les jours en réalité, mais quand les personnages tombent dans le film, ce sont de vraies chutes. C’est d’ailleurs amusant car j’avais écrit des chutes dans le scénario qu’on a faites avec un régleur de cascade, que je n’ai finalement pas gardées au montage parce qu’elles n’étaient pas assez réelles. Par contre, j’ai gardé les vrais accidents du film, comme quand Mathieu fait une galipette dans la neige ou quand Galatea se rétame sur le verglas. Heureusement, ils ne se sont pas blessés. Ce rapport au décor les a aidés tout comme jouer avec des non professionnels qui parlent une langue qu’ils ne connaissaient pas et non pas les codes du plateau, ou avec des enfants qui, quand ils jouent, y croient vraiment !
L’Engloutie est un film d’atmosphère redoutable, notamment par sa photographie très particulière qui travaille le mystère, et cette neige envahissante qui fait contraste avec la tenue sombre d’Aimée. Pouvez nous parler de l’atmosphère que vous avez voulu créer avec cette photographie ?
Ce qui m’intéressait, c’était la blancheur éblouissante de la montagne quand il neige et qu’il y a de la brume, où on ne voit rien à un mètre. La nuit, on a des nuits américaines naturelles, tout est bloqué, tout est étrange. Je voulais qu’on capte ces phénomènes pour leur réalité tellurique —c’est notre monde, dans lequel on vit encore aujourd’hui—, mais en même temps leur étrangeté. Cela nous met dans un état onirique à l’image de ces nuits de pleine lune à la montagne. Je voulais chercher l’étrangeté du film dans les phénomènes et la luminosité naturels. Ne pas rajouter des projecteurs violets et oranges pour créer une sensation de giallo par exemple, car cela ne correspondait pas au film. Pour les intérieurs, il fallait partir du fait qu’il faisait sombre, qu’on n’y voyait pas grand-chose, car les chandelles coûtent cher et les ouvertures des fenêtres sont petites. Je voulais jouer de tout le mystère que va créer le travail sur l’obscurité. C’étaient vraiment les lignes de force que j’ai émises à Marine Atlan.

Avez-vous eu des références picturales en tête que vous avez indiquées à votre directrice photo ? Dès qu’on évoque l’éclairage à la bougie, on cite De La Tour, mais j’ai plutôt pensé aux Frères Le Nain.
Dès qu’on filmait les extérieurs dans la neige avec les petits personnages, il y avait plutôt un côté Brueghel. Je disais tout le temps à Marine qu’il ne fallait pas que que le film ressemble à une peinture, pour que ça ne soit pas figé comme des santons de Provence. Finalement, on pensera peut-être à De La tour ou à Caravage, mais mon objectif n’était pas de travailler la photo ainsi. À mon sens, ce qui a permis d’éclater les coutures de cet aspect pictural, c’était aussi le fait d’avoir des acteurs non professionnels, avec une vibration liée à un naturalisme qui me vient du documentaire. J’avais dans l’idée d’éviter de penser au pictural pour penser à la vie ; à la vibration du réel comme matière. J’admire beaucoup Pialat pour cela : il est peintre et en même temps il se sert de la matière du cinéma. Je voulais également éviter toute dimension théâtrale artificielle. J’ai besoin qu’on y croie. Dans L’Engloutie, on est dans le passé, mais il faut qu’il y ait une vérité : pas forcément un réalisme, mais une vérité qui nous porte à y croire. Je fais miens tous les documents que je pioche pour ma reconstitution et je ne garde que ce qui m’intéresse. Par exemple montrer des femmes filant la quenouille à côté de la cheminée – ce qui est une réalité – moi ça ne m’intéresse pas, j’ai l’impression de voir un cliché, une image d’Epinal.
Pour poursuivre dans l’élaboration de l’atmosphère, pouvez-vous me parler de votre collaboration avec Emile Sornin, Monsieur Forever Pavot, qui avait déjà composé une magnifique partition pour La Morsure de Romain de Saint-Blanquat ? Il y a parfois des petites notes giallesques et même des réminiscences de Qui l’a vue mourir de Aldo Lado avec sa musique de Morricone.
Tout à fait. En fait, Émile a écrit sa première BO pour un de mes documentaires : Une vie de château. Je suis allée le voir car j’adorais son groupe Forever Pavot. Le contact est très bien passé, et il a fait la musique de deux de mes pièces et de trois ou quatre de mes films avant L’Engloutie. C’est un compagnonnage qui fait qu’on se connaît bien et qu’il connaît mes goûts. Il savait que je ne souhaiterais pas une musique romantique orchestrale avec plein de violon qui ne collerait pas à ce film. J’aime son côté bricoleur qui détourne les instruments de fortune. Je suis donc allée le voir avec mon idée de vielle à roue. Je voulais que le personnage de Daniel en joue dans la fête, pour créer un côté hypnotique, avec le son en continu comme le vent, dans une tonalité obsédante qui mène à la transe. Je lui avais aussi dit, pour ne pas que ça arrive comme un cheveu sur la soupe, que je voulais que cet instrument soit présent tout le long du film dans la BO. Emile est donc parti de cela, de la musique folklorique détournée et également d’inspirations de Morricone, de western… Je lui ai dit que mon film avait d’ailleurs un peu quelque chose du western, avec cette idée d’une étrangère qui arrive dans une communauté isolée, dans les grands espaces. Emile a donc eu l’idée des chants scandés à la Morricone : quelque chose de polysémique, qui se compose à la fois la voix d’Aimée, du chœur des enfants, de l’âme sauvage de la montagne et le sabbat de sorcière. Cela peut être lu de plein de manières différentes. Dès le début, cette musique casse le côté anthropologique de chronique rurale. On plonge tout de suite dans une étrangeté de l’ordre du conte ou du film de genre.
Il a bien retravaillé une musique folklorique en musique répétitive lancinante ?
Exactement, c’est tout à fait cela. Sur le plateau, ça n’était pas sa musique à lui, car nous avions un chorégraphe violoneux qui jouait du rigodon, la danse de la région. On a fait deux week-ends de répétition pour qu’ils apprennent la danse. Il jouait à son violon, ou mettait ses morceaux enregistrés de rigodon, car il ne pouvait pas leur apprendre une danse traditionnelle sur une autre musique. Moi, je savais que je n’incorporerais pas cette musique à l’image. La musique intradiégétique devait être liée à la musique du film. Donc Emile a détourné le rigodon, en gardant juste le même tempo, mais en musique plus répétitive, avec la vielle à roue. J’aimais beaucoup car à l’image, cela créait un décalage. Eux dansaient de manière très rythmée, et la musique est plus flottante, ce qui suscite l’ivresse et l’étrangeté.
Il y a quelque chose que j’aime particulièrement dans votre film : la manière dont il joue sur une méticulosité historique à la René Allio, par exemple, pour mieux glisser vers le fantastique. Quel monde avez-vous voulu créer ? Est-ce celui des légendes et celui qui fait naître les légendes aussi ?
Je pense que votre dernière phrase est parfaitement représentative : c’est le monde qui fait naître des légendes, mais il s’agit de notre monde réel. En fait, c’est mon propre rapport à la montagne, parce que la montagne est source de délires. On voit des espaces énormes, démesurés par rapport à nous, qui ont l’air d’être là depuis la nuit des temps. Pour moi, il y a un vertige physique et un vertige temporel. J’ai l’impression de voir les sédiments, les plaques tectoniques, les dinosaures. Et puis ces formes de la montagne : quand on la regarde, avoir l’impression d’apercevoir les choses qu’on ne voit pas en réalité. C’est très suggestif : j’avais l’impression que l’héroïne, qui ne connaît pas la montagne, ressentait le même effet. Toute la part fantastique du film vient de son point de vue. En littérature fantastique, chez Poe par exemple, il y a vraiment la vision altérée du réel, mais du point de vue du héros soumis à ses peurs, à ses fantasmes, qui commence à délirer la réalité. J’avais vraiment envie de ce fantastique en particulier, avec cette suspicion progressive du village contre l’héroïne, cette interprétation du réel par les villageois qui commencent à la regarder comme une succube ou une sorcière. Mais rien dans le film ne dit cela. Ce sont des effets de montage, d’association, et de pensée magique.
La nature a horreur du vide, et la pensée superstitieuse, par exemple, va toujours associer les éléments. L’anthropologue Jeanne Favret-Saada a travaillé notamment avec Michel Foucault sur Pierre Rivière. Dans les années 70, elle a étudié la sorcellerie dans le bocage, et tous les effets de superstitions : le fait que si son troupeau meurt, que deux poules sont malades, et qu’un enfant se casse sa jambe, c’est que quelqu’un vous en veut. Et qu’il n’y a pas d’effet de coïncidence. Cette perspective m’intéressait beaucoup : comment on la confronte à un personnage cartésien. Quelles vont être ses armes ? La pensée scientifique va être le doute méthodique pour aboutir au « je sais que je ne sais rien », à l’idée qu’un grand mystère préexiste ? Même un chercheur en science toute sa vie, va chercher, va trouver peut-être, ce qui va ouvrir vers de nouvelles questions. Prenez la physique quantique par exemple : c’est un monde infini. Je trouve intéressant de montrer ces deux systèmes de croyances, les frottements et comment créer un film de sensations, d’émotions. On va aussi ressentir les choses et se poser les mêmes questions qu’Aimée, car tout est vécu de son point de vue à elle : on est avec elle à s’interroger, à fouiller les plans, à ne pas bien saisir ce que l’on voit. Je voulais passer de l’obscurité à l’éblouissement avec l’héroïne. L’Engloutie est un film sur le lâcher prise : le contrôle puis le lâcher prise ; à quel moment l’esprit lâche ?
J’ai vraiment l’impression qu’un tel cinéma est plus que nécessaire en ce moment, par opposition à notre époque, justement…
On est dans une période de post-vérité, de doute et d’obscurantisme. Du coup, j’ai l’impression que c’est aussi très intéressant d’interroger ces thèmes là de manière non frontale, en essayant de comprendre comment c’était il y a 100 ans, et d’où on vient.

J’aimerais revenir sur la scène de transition du film : cette merveilleuse scène de danse, le dernier temps naïf vers la bascule du film. Pouvez-vous me parler de cette bascule, ce moment décisif où le film prend une tournure différente ?
Je voulais effectivement voir cette scène comme une bascule. Même si en réalité, l’école publique date de 1882, j’ai un peu reculé l’événement dans le temps parce que j’avais très envie de faire cette bascule d’un siècle à l’autre. Il s’agit d’un jour à l’autre, de la nuit au jour, mais aussi de vingt siècles à l’autre. Je voulais ajouter ce vertige temporel au vertige des montagnes, au vertige physique qui a aussi un temps élastique. Aimée va même évoquer l’an 2000. Ce moment pivot où le film bascule vers la mort, ou en tout cas vers une atmosphère plus sombre, arrive juste après un moment d’extase, de fête et de délire, où enfin l’héroïne est intégrée dans la communauté. Après cet étourdissement, il y a une angoisse. Et j’ai l’impression que cette angoisse était accentuée par le fait de parler des siècles et de créer un temps élastique. Aimée leur dit d’ailleurs que le temps passe différemment pour chacun. C’est ici qu’affleure une dimension philosophique.
Il y a bien sûr une grande interrogation autour de la sexualité, perçue comme une malédiction ; le charnel d’une relation entre Aimée et un homme se ponctuant par sa disparition. Est-ce qu’on peut y tenter une lecture féministe autour de la libération ?
Le personnage d’Aimée est dans le contrôle et le cartésianisme, et j’avais envie de traiter du thème de la jeune fille derrière l’uniforme, loin de la société, de la famille et des institutions. Quelque part, même si c’est effrayant, c’est son premier espace de liberté, où elle peut se laisser aller à son plaisir, à avoir des relations sexuelles qui ne seront pas sues, à le faire dans le secret. Comme je voulais que l’expérience du film soit celle d’un personnage rationnel plongé dans l’irrationnel et observer jusqu’où son esprit va tenir, faire advenir l’irrationnel d’événements inexplicables en lien avec sa sexualité m’a aidée à la pousser dans ses retranchements. Car c’est son inconscient qui parle : la sexualité, c’est ce qu’elle ne peut pas contrôler. Je voulais jouer avec ce mythe de la sexualité punitive, de la femme dangereuse qui n’est rien d’autre que l’objet du regard du village. Je voulais jouer avec le spectateur sur ces mythes qui nous ont tous construits, divertis, et fait frissonner. Mais encore une fois, c’est une interprétation. Car il y a des soupçons qui grandissent ; elle est celle qui dérange, la dernière arrivée. Et comme l’inexplicable n’est pas acceptable, il existe forcément un lien pour eux entre son arrivée et les disparitions. Je voulais que ce fantasme de la sorcière, ou de la créature qui erre dans la forêt et qui entraine les hommes dans le précipice crée une puissance chez ce personnage, et qu’on ait du plaisir à la voir être effrayante. Les personnages de sorcières ont été totalement réincorporés et réhabilités par le féminisme depuis les années 70. En réalité, c’étaient les femmes savantes qui menaient une vie différente. Je voulais jouer avec ces contours-là dans L’Engloutie.
Je ne sais pas si on peut parler de mise en abyme, mais au fur et à mesure que le film se construit, on à la sensation de voir se créer sous nos yeux un nouveau conte, avec les histoires au coin du feu, les légendes se perpétuent et l’oralité du conte. Vous inscrivez-vous vous-même dans un héritage du conte, et aimeriez-vous que l’on vous qualifie aussi de conteuse ?
C’est une très bonne question. En fait c’est exactement ça, le film. Quand j’en parlais à Anaïs Telenne, je lui disais : « Elle va se transformer peu à peu en un personnage légendaire, on va quitter le réalisme » et elle me répondait : « Mais oui, on va comprendre comment une légende peut se former ». La fin du film n’est plus du point de vue d’Aimée, mais du muletier qui fait la sieste et voit cette apparition, même si les derniers plans récupèrent le regard d’Aimée sur la nuque de l’homme. J’avais envie que peut-être ce soit lui qui raconte ensuite l’histoire de cette institutrice au coin du feu, et qu’en effet, on puisse sentir d’où viennent nos légendes et nos mythes. C’est une possibilité d’interprétation du film.
Et vous, ne tirez-vous pas une certaine fierté d’être à votre tour conteuse ?
Je ne sais pas, car je ne me considère pas comme conteuse mais comme metteuse en scène…Mais c’est très intéressant. L’Engloutie est un film sur l’oralité, sur le conte, sur les mythes qui se transforment… et qui parviennent jusqu’à nous…Vous avez raison !
Merci à Louise Hémon pour sa disponibilité et à Frank Nesme pour l’organisation de cet entretien.
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